L’ÉTRANGER de Albert Camus

Les plus belles rencontres commencent parfois par des rendez-vous manqués.

La première fois que je l’ai lu, j’ai détesté. Comme si on m’avait volée sur la marchandise. J’en attendais tellement. Trop ? J’imaginais déjà ce que j’allais lire. L’histoire, l’ambiance, les messages cachés. Avec le recul, je ne pouvais être que déçue. Forcément.

Je voulais tellement aimer Camus que je suis passée totalement à côté.

Trop simple, trop basique, trop facile, trop écrasé de chaleur. Et ce titre ? Mais c’est qui l’étranger ? Et pourquoi ?

Comme quand vous attendez trop de quelque chose ou quelqu’un. Vous imaginez la rencontre, prévoyez tout, anticipez. Vous savez exactement ce qui va être dit, fait, tout ce qui va se passer. Et rien ne se passe comme prévu. Alors, vous ne raisonnez plus, c’est la déception, telle une vague violente, qui emporte tout sur son passage.

Vous restez là, comme une imbécile qui a voulu trop forcer, imposer son histoire sans laisser de place à l’histoire de l’autre. 

J’ai détesté Camus, lui en ai voulu, comme une promesse secrète qu’il m’avait faite et qu’il n’a pas tenue. Je l’ai maudit, banni, évité, relégué dans les oubliettes de mon panthéon alors même que je lui destinais la première place.

Puis, au bout de quelques années, la curiosité et l’envie sont revenues, doucement. Je me suis décidée à relire L’Étranger.

Ne rien attendre, c’est peut-être le secret.

Ça n’a pas été une révélation, un éblouissement, un choc. Non, juste une évidence. Quelque chose de doux, de limpide, comme le soleil qui vous enveloppe de sa chaleur. Enfin, ça me parlait ! Enfin, je comprenais Meursault ! Cet homme que j’abhorrais lors de ma première lecture, que je trouvais lâche, indifférent, d’un détachement à la limite du demeuré, je l’ai enfin atteint.

C’est lui l’étranger, étranger au monde, à sa propre vie. Certains disent qu’il refuse de faire semblant. Refuser c’est déjà agir, se révolter. Non, il ne refuse pas, il ne sait pas faire semblant, il n’en éprouve ni besoin, ni envie, ça ne l’effleure même pas. Il est. Et ce qu’il est nous est incompréhensible car trop singulier, trop absolu, trop dérangeant. Alors, il faut détruire cet être impie qui menace notre vérité. La sienne risque de nous consumer.

Une femme lui propose le mariage, il ne l’aime pas. À la question évidente que tout le monde poserait, « pourquoi ? », il oppose la question « pourquoi pas ? ».

Le style est dépouillé, le récit minimaliste. Meursault est le narrateur. Il raconte son histoire, sans affect, sans fioritures, sans envie de vous convaincre. Vous la lirez… ou pas.

Je me suis trompée de bout en bout. Ce livre n’est pas simple, ce livre n’est pas vide.

Ce livre contient le monde.

UNE SORCIERE COMME LES AUTRES de Anne Sylvestre

Je voue un amour inconditionnel à Anne Sylvestre, la plus envoûtante de toutes les sorcières !

S’il vous plaît
Soyez comme le duvet
Soyez comme la plume d’oie
Des oreillers d’autrefois

J’aimerais
Ne pas être portefaix
S’il vous plaît
Faîtes vous léger
Moi je ne peux plus bouger

Je vous ai porté vivant
Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd
Pesant votre poids d’amour

Je vous ai porté encore
À l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs
Je vous ai morcelé mon coeur

Quand vous jouiez à la guerre
Moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières
Les barreaux de vos prisons

Quand vous mourriez sous les bombes
Je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe
Et tout le malheur dedans

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui parle
Ou qui se tait
Celle qui pleure
Ou qui est gaie
C’est Jeanne d’Arc
Ou bien Margot
Fille de vague
Ou de ruisseau

Et c’est mon coeur
Ou bien le leur
Et c’est la soeur
Ou l’inconnue
Celle qui n’est
Jamais venue
Celle qui est
Venue trop tard
Fille de rêve
Ou de hasard

[Refrain]
Et c’est ma mère
Ou la vôtre
Une sorcière
Comme les autres

Il vous faut
Être comme le ruisseau
Comme l’eau claire de l’étang
Qui reflète et qui attend

S’il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie
Ne m’inventez pas
Vous l’avez tant fait déjà

Vous m’avez aimée servante
M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez

Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue

Quand j’étais vieille et trop laide
Vous me jetiez au rebut
Vous me refusiez votre aide
Quand je ne vous servais plus

Quand j’étais belle et soumise
Vous m’adoriez à genoux
Me voilà comme une église
Toute la honte dessous

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Celle qui aime
Ou n’aime pas
Celle qui règne
Ou se débat
C’est Joséphine
Ou la Dupont
Fille de nacre
Ou de coton

Et c’est mon coeur
Ou bien le leur
Celle qui attend
Sur le port
Celle des monuments
Aux morts
Celle qui danse
Et qui en meurt
Fille bitume
Ou fille fleur

[Refrain]
Et c’est ma mère
Ou la vôtre
Une sorcière
Comme les autres

S’il vous plaît
Soyez comme je vous ai
Vous ai rêvé depuis longtemps
Libre et fort comme le vent

Libre aussi
Regardez je suis ainsi
Apprenez-moi n’ayez pas peur
Pour moi je vous sais par coeur

J’étais celle qui attend
Mais je peux marcher devant
J’étais la bûche et le feu
L’incendie aussi je peux

J’étais la déesse mère
Mais je n’étais que poussière
J’étais le sol sous vos pas
Et je ne le savais pas

Mais un jour la terre s’ouvre
Et le volcan n’en peut plus
Le sol se rompant
Découvre des richesses inconnues

La mer à son tour divague
De violence inemployée
Me voilà comme une vague
Vous ne serez pas noyé

Ce n’est que moi
C’est elle ou moi
Et c’est l’ancêtre
Ou c’est l’enfant
Celle qui cède
Ou se défend
C’est Gabrielle
Ou bien Eva
Fille d’amour
Ou de combat

Et c’est mon coeur
Ou bien le leur
Celle qui est
Dans son printemps
Celle que personne
N’attend
Et c’est la moche
Ou c’est la belle
Fille de brume
Ou de plein ciel

[Refrain]
Et c’est ma mère
Ou la vôtre
Une sorcière
Comme les autres

S’il vous plaît
S’il vous plaît
Faites-vous léger
Moi je ne peux plus bouger.


LES EFFARÉS de Arthur Rimbaud

Ça parle de misère, d’enfance sacrifiée. Ça aurait pu être de Victor Hugo, mais c’est Arthur qui l’a écrit à 16 ans….

 

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Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond

A genoux, cinq petits, – misère ! –
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair :

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Quand ce trou chaud souffle la vie ;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre,
Qu’ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,

Mais bien bas, comme une prière …
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,

Si fort, qu’ils crèvent leur culotte
Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d’hiver…

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