Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s’amusent au parterre
Et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s’ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue, MariePar les gosses battus, par l’ivrogne qui rentre
Par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l’humiliation de l’innocent châtié
Par la vierge vendue qu’on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue, MariePar la vieille qui, trébuchant sous trop de poids
S’écrie « mon Dieu ! » Par le malheureux dont les bras
Ne purent s’appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne
Je vous salue, MariePar les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l’on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue, MariePar la mère apprenant que son fils est guéri
Par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid
Par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée
Par le baiser perdu par l’amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue, Marie
L’ETRANGERE de Louis Aragon
Amour fou, grand amour ou simple romance… Qu’importe ! Du moment que le cœur s’emballe avec insolence !

Il existe près des écluses
Un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s’use
À démêler le tien du mien
En bande on s’y rend en voiture,
Ordinairement au mois d’août,
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux.
On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains,
On n’a pas le temps de le croire
Il fait grand jour et c’est demain.
On revient d’une seule traite
Gais, sans un sou, vaguement gris,
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit.
J’ai pris la main d’une éphémère
Qui m’a suivi dans ma maison
Elle avait des yeux d’outremer
Elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon,
J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant !
Celle-ci parla vite vite
De l’odeur des magnolias,
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia.
En ce temps-là, j’étais crédule
Un mot m’était promission,
Et je prenais les campanules
Pour des fleurs de la passion.
À chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit,
Et la plus banale romance
M’est éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme
Un long jour, une courte nuit,
Puis au matin : « Bonsoir madame »
L’amour s’achève avec la pluie.

LE TESTAMENT de Georges Brassens
Je serai triste comme un saule
Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira, la main sur l’épaule:
« Va-t’en voir là-haut si j’y suis. »
Alors, du ciel et de la terre
Il me faudra faire mon deuil…
Est-il encor debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil?
Est-il encor debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil?
S’il faut aller au cimetière,
J’prendrai le chemin le plus long,
J’ferai la tombe buissonnière,
J’quitterai la vie à reculons…
Tant pis si les croqu’-morts me grondent,
Tant pis s’ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Avant d’aller conter fleurette
Aux belles âmes des damné’s,
Je rêv’ d’encore une amourette,
Je rêv’ d’encor’ m’enjuponner…
Encore un’ fois dire « Je t’aime »…
Encore un’ fois perdre le nord
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.
Dieu veuill’ que ma veuve s’alarme
En enterrant son compagnon,
Et qu’pour lui fair’ verser des larmes
Il n’y ait pas besoin d’oignon…
Qu’elle prenne en secondes noces
Un époux de mon acabit:
Il pourra profiter d’mes bottes,
Et d’mes pantoufle’ et d’mes habits.
Il pourra profiter d’mes bottes,
Et d’mes pantoufle’ et d’mes habits.
Qu’il boiv’ mon vin, qu’il aim’ ma femme,
Qu’il fum’ ma pipe et mon tabac,
Mais que jamais – mort de mon âme! –
Jamais il ne fouette mes chats…
Quoique je n’ai pas un atome,
Une ombre de méchanceté,
S’il fouett’ mes chats, y’a un fantôme
Qui viendra le persécuter.
S’il fouett’ mes chats, y’a un fantôme
Qui viendra le persécuter.
Ici-gît une feuille morte,
Ici finit mon testament…
On a marqué dessus ma porte:
« Fermé pour caus’ d’enterrement. »
J’ai quitté la vi’ sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me v’là dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.
Me v’là dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.