IL N’Y A PAS DE AJAR de Delphine Horvilleur

Commençons par les présentations

Qui est Delphine ?

C’est une journaliste, écrivaine, philosophe et femme rabbin française.

WoW ! Niveau intellectuel, ça se pose bien là ! Elle est très médiatisée. Normal, elle est très médiatique. Déjà, une femme rabbin, on n’en croise pas tous les jours. Mais surtout, sa parole est raisonnée, argumentée, claire, posée et lumineuse. Dans une époque troublée, c’est précieux. Et puis elle est belle (oui, on a dit pas le physique, mais bon sang qu’elle est belle).

Elle a écrit plusieurs livres que je n’ai jamais lus. Mais celui-ci, en folle raide dingue de Romain Gary, je ne pouvais pas m’y soustraire.

Ça commençait mal entre Delphine et moi

Je vous avoue que quand j’ai vu le sous-titre, Monologue contre l’identité, j’ai eu trois réactions :

  • encore l’identité !
  • Mon dieu, que ça va être chiant ! Identité et monologue, le combo pourri et soporifique.
  • Dans quelle galère va-t-elle me mettre MON Romain ?

En plus, c’est mensonger. Ce livre est en deux parties.

Pourquoi Ajar ?

Dans ce qui pourrait s’apparenter à une préface, Delphine commence par dire son lien particulier et son amour pour Gary. S’ensuit une réflexion qui aurait pu être une conversation entre elle et lui. Lui, qui a choisi de disparaître pour mieux se réinventer sous le pseudonyme d’Ajar. Elle, qui raconte une vieille légende du Talmud, l’histoire d’un homme qui, lui aussi, a choisi de renaître selon ses propres choix, par sa seule volonté. Deux récits différents pour un même sujet : l’identité. Celle qu’on nous assigne mais également, toutes celles qui nous attendent. Elle y questionne la religion juive, la littérature. Tout ce dont elle s’est saisie pour se construire.

Puis vient le monologue d’Abraham Ajar, fils d’Émile Ajar. Et oui, Ajar a eu un fils (si, si !). Ça vous en bouche un coin ?!

Et, croyez-moi, ce monologue est tout sauf barbant. Ça fuse, ça virevolte, c’est drôle, c’est mélancolique et c’est intelligent.

Arrêtez tout ! Ce petit livre est un trésor.

Il ne ressemble à rien mais il contient un monde, le monde.

Chacune de ses 88 pages est précieuse, vous illumine. Enfin ! Enfin une parole qui vous élève, qui dévoile une évidence devant vous, évidence ternie et occultée par tous les discours et injonctions délétères de notre société.

C’est comme une renaissance. Vous êtes au monde. Vous savez ? Avant qu’on vous enferme dans une origine, une religion, une couleur, une éducation, des traditions. Soudain, vous êtes riche de tout ce que vous avez été mais surtout de tout ce que vous serez. Tout est possible, rien ne nous limite, surtout pas notre identité.

C’est vertigineux ! Comme si les poids qui nous lestaient se détachaient (on va frôler le développement personnel 😂). On est enfin incomplet et toutes les possibilités qui s’offrent à nous sont grisantes (oui, j’ai vu la Vierge 🤪).

Après la lecture, on se sent riche de tout ce qu’on n’est pas. On se sent joyeux, libre, reconnaissant, un peu triste aussi parce que bon, y’a Gary, y’a Ajar, y’a Madame Rosa, parce que parfois, une révélation ça fait souffrir. Il faut lutter pour conquérir sa liberté.

Il devrait être obligatoire

C’est un plaidoyer contre les revendications, le renfermement, les certitudes… Un plaidoyer pour la liberté.

Et en plus, Delphine est drôle ! Elle s’amuse de tout, y compris de la religion. Yallah, enfin !

Et elle raconte si bien les histoires. On est transporté dans un monde de contes et légendes.

J’ai mis 1h30 à le lire. 1h30 de pur bonheur, ça n’a pas de prix.

UNE CHAROGNE de Charles Baudelaire

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

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