INTERVIEW DE MICHÈLE FITOUSSI pour la sortie de son dernier livre LA FAMILLE DE PANTIN

La famille de Pantin est le dernier livre de la journaliste et écrivaine, Michèle Fitoussi.

C’est un livre multiple et universel. En retournant sur les traces de ses origines, elle raconte la famille, la transmission, l’exil, l’histoire des Juifs de Tunisie et le nécessaire besoin de savoir de quoi on est fait. En faisant rejaillir tout un passé, son récit résonne en chacun de nous.

Après l’avoir lu, j’ai eu envie d’en savoir plus. Michèle a accepté de répondre à mes questions sur la génèse de son livre. Je la remercie de s’être livrée avec sincérité et générosité.

Apparemment, ce n’est pas votre premier essai. Vous aviez déjà essayé d’écrire sur vos origines. Pourquoi cela ne s’est pas fait ?

J’ai écrit un roman il y a une trentaine d’années sur la Tunisie des années 20 à 50. J’avais interrogé ma grand-mère, mon oncle, une grand-tante, ma mère aussi je crois et compulsé des tonnes d’archives. J’avais même travaillé à la bibliothèque nationale de Tunis, située dans la Medina, au souk El Attarine, celui des Parfumeurs, elle a changé  d’adresse depuis, et lu des tas de journaux. À l’époque, ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui, il n’y avait pas internet ni tous ces sites consacrés aux Juifs de Tunisie, ni même une littérature importante sur le sujet. Les publications ont commencé dans les années quatre-vingt-dix. 

Ce livre venait après deux gros best-sellers, Le Ras le Bol des Super Women et Lettre à mon fils, qui m’avaient fait connaître. Mais mon éditeur d’alors ne l’a pas aimé et, dépitée, je l’ai rangé dans un fichier de mon ordinateur. Toute cette histoire me trottait cependant  dans la tête, j’y pensais souvent. Surtout quand on allait en famille au cimetière de Pantin et que se déroulait cette première scène qui ouvre le livre et qui me faisait sourire intérieurement.

Et puis un jour je me suis dis qu’il fallait que j’y retourne et c’était sans doute le bon moment. Entre temps, j’avais perdu la moitié du roman, oublié tout ce que j’avais lu, il me restait des notes même pas triées, je repartais quasiment de zéro…

Que vous a apporté l’écriture de ce livre de plus que le voyage en Tunisie ?

 Une déconstruction puis une reconstruction de mes souvenirs, de mon identité, de mes idées, de mes croyances. Une mise au point personnelle. Un voyage intérieur. Et des pièces d’un puzzle qui s’assemblent enfin.

Est-ce que ce livre a été difficile à écrire ? Ça a été une souffrance ? Un bonheur ? Facile ? Compliqué ?

Horriblement difficile. Je l’ai commencé véritablement en mars 2020, lors du premier confinement, sans réussir à écrire une ligne pendant des mois,  et d’une façon générale, j’ai eu un mal fou à l’écrire. J’ai énormément travaillé, coupé, recoupé, réécrit, suivi les conseils de mes éditeurs quand ils lisaient mes versions successives. J’étais très angoissée par l’idée de ne pas être à la hauteur de mon sujet. J’ai terminé avec un eczéma géant…

Avez-vous parlé de votre projet de livres à vos proches (enfants, tante Pim ) ou leur avez-vous fait lire une fois terminé ?

Oui bien sûr.

Comment ont-ils réagi ?

Mes deux  enfants, Léa et Hugo Domenach, m’avaient précédé en écrivant un livre sur leur famille paternelle, Les Murs Blancs , paru en 2021 aux éditions Grasset. Ils ont parfaitement compris ma démarche même si mon livre n’a que peu de rapport avec le leur. Mais dans les deux cas, c’est une histoire de transmission qui n’a pas été faite. Eux ont transmis et moi j’ai voulu leur transmettre… Tante Pim, oncle Pap, mon père, je les ai beaucoup interrogés. Je voulais le point de vue de ma famille, pas de celle des autres. J’ai interrogé mes grands cousins aussi. Mais personne n’a rien lu avant parution à part mes éditeurs, mon agente et mon compagnon. J’étais stressée à l’idée que ma famille n’aime pas, ou que certains m’en veuillent de m’être appropriée une histoire qui est aussi la leur, et ils ont tous adoré.

Aviez-vous conscience en l’écrivant qu’il était aussi « universel » ? Qu’il pouvait résonner avec l’histoire des gens, même s’ils ne sont ni juifs ni tunisiens ?

Je l’espérais, mais on ne sait jamais. Je me rends compte qu’il touche beaucoup de monde car les réactions sont assez  unanimes. Paloma Grossi, mon éditrice, m’a dit après avoir lu une ou deux versions : je ne suis ni Juive ni Tunisienne mais suis très touchée par ce texte. Ces mots m’ont fait comprendre que oui, ce livre s’adressait à tout le monde en réalité même si je l’ai d’abord chuchoté à moi-même.

Allez-vous retourner régulièrement en Tunisie ? En ressentez-vous le besoin ?

J’espère y présenter mon livre. Un ami éditeur là-bas voudrait en faire une version pour les Tunisiens, plus abordable. Ce n’est pas un pays qui me manque mais j’aime bien y aller. J’aime bien superposer mes souvenirs avec ce que j’en vois. Mais ma nostalgie tient plus du fantasme que de la réalité.

Que diriez-vous à l’adolescente que vous étiez et qui avait du mal à assumer ses origines ? 

Qu’il est bon d’empiler les strates. Que les identités multiples sont une richesse.

Que dirait l’adolescente à l’adulte que vous êtes devenue ?

Tu as réussi à atteindre tes rêves même si tous ne se sont pas réalisés.

Quand vous regardez votre parcours, personnel et professionnel, y-a-t-il des choses que vous expliquez mieux maintenant à la lumière de votre histoire, de vos origines ?

Oui sans doute. Il faut du temps pour se comprendre. Et quelques bonnes années d’introspection sur le divan.

Y’a t’il une phrase en particulier ou un passage qui est important pour vous et qui est la clé du livre ?

« Je suis une nostalgique de la nostalgie » . Et puis cette phrase d’Albert Memmi que j’ai mise en exergue : « On n’en a jamais fini avec son pays natal ».

Depuis la sortie du livre, avez-vous eu des retours inattendus, originaux ?

Oui, celui de Myriam Thibaut qui m’interrogeait la semaine dernière au cours d’une rencontre à la librairie de L’Instant. Elle a lu cinq ou six de mes livres à la file pour l’occasion puisque le thème de cette rencontre portait sur « Les coulisses de l’écriture » et elle m’a dit : «  Il y a un thème commun à tous vos livres. C’est l’exil ». Et effectivement, toutes mes héroïnes, Helena Rubinstein, Janet Flanner, Malika Oufkir, Loumia Hiridjee, sont des exilées. Comme moi. Comme ma famille. Ça m’a scotchée.

Quels sont vos livres préférés ?

Difficile de répondre… Je vous donne en vrac ce qui me vient à l’esprit : Vie et destin de Vassili Grossman, Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durell, Le lièvre aux yeux d’ambre de Edmund de Waal, Corps et Âmes de Frank Conroy, Le chapiteau vert de Ludmilla OulitskaÏa, Dernier été en ville de Gianfranco Galigarich, Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe, Une femme fuyant l’annonce de David Grossman, Une histoire d’amour et de ténèbres d’Amos Oz… C’est tellement peu exhaustif. Parce que je lis énormément en vérité et de tout. Ces livres correspondent surtout  à des moments de ma vie. Quand j’aime un livre j’en parle tout le temps, je suis mono maniaque. Jusqu’au suivant…

Le mot de la fin ?

En faut-il un ? Tout a déjà une fin…

LA FAMILLE DE PANTIN de Michèle Fitoussi

Un peu que je connais Michèle !

Je suis une fidèle lectrice de ELLE donc j’ai lu régulièrement ses éditoriaux et divers articles, vu sa photo qui les accompagnait. Bref, elle fait un peu partie de mes connaissances.

J’en ai l’image d’une femme de convictions, investie dans des causes (bon, lesquelles, j’en sais rien), cultivée et curieuse. Son écriture, quel que soit le sujet, fait mouche à chaque fois. Elle est précise, juste et authentique.

En revanche, je n’ai jamais lu ses romans.

Voilà d’où je partais.

J’apprends qu’elle sort un livre, La famille de Pantin. Elle y raconte ses origines, les siens et l’histoire des juifs en Tunisie.

Pourquoi ce livre plutôt qu’un autre ? Aucune idée mais il me fait envie.

Bon sang qu’elle est chouette la famille de Pantin !

Michèle va faire un voyage à rebours. Quand on convoque notre histoire, ce sont toujours les morts qui imposent la trajectoire. Les êtres chers qu’elle a aimés vont la guider. Leurs lieux d’inhumation d’abord, puis là où ils ont vécu. Pantin pour le cimetière, la Tunisie où tout a commencé pour elle.

Elle raconte sa famille. Les souvenirs affluent. Elle ne cherche ni à les retenir ni à les trier. Ça fuse et ça jaillit sous sa plume. C’est haut en couleurs, il y a des odeurs, de la chaleur, du caractère, des défauts, des valeurs et surtout de l’amour. Ça parle fort, on a l’impression de les entendre, de les voir. Les petites habitudes du quotidien, les victuailles dressées sur une table lors d’une fête. On est comme une petite souris à les regarder. À l’évocation d’un détail on fait le rapprochement avec nos disparus. La nostalgie nous prend mais c’est joyeux. Tant qu’on se souvient, les morts sont vivants.

C’est un véritable tour de force que Michèle accomplit : nous faire participer à son histoire intime et personnelle. Son écriture est généreuse, spontanée. Ça fait un bien fou. On en ressent une énergie et une force incroyable.

À travers la mémoire de sa famille, elle distille des informations factuelles, concrètes et au final c’est toute l’histoire des juifs en Tunisie qui apparaît en filigrane.

Quel bonheur et quelle bouffée d’amour que ce livre ! Il fait du bien à tout le monde : à Michèle de l’écrire et à nous de le lire.

Je terminerai cette chronique sur une réflexion plus pragmatique. L’auteure nous dit que de ses origines tunisiennes, elle a longtemps gardé une impulsivité, une émotion exacerbée et parfois même une agressivité. Bon sang de bonsoir que ça fait plaisir de lire ça. Moi qui avais l’image d’une femme parfaite, réfléchie, pondérée, calme et tout le tintouin… Mais give me five Michèle 😂

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