UN CERTAIN MONSIEUR PIEKIELNY de François-Henri Désérable

Monsieur Piekielny, le figurant le plus célèbre de la littérature française !

Pour les amoureux d’ouvrages classiques en général et de Romain Gary en particulier, il est impossible de ne pas connaître Monsieur Piekielny ! C’est le plus grand hold-up jamais réalisé dans un roman. Ce n’est pas un personnage principal, encore moins secondaire, il n’est présent que trois pages dans un livre qui en compte 464 (il représente très exactement 0,6 % de l’œuvre, c’est quand même très très léger, on est largement en-dessous du quart d’heure de gloire revendiqué par Warhol). C’est énorme de parler d’un quidam pendant trois pages ! Autant vous dire qu’aussitôt sorti de l’obscurité, il aurait dû y retourner illico et n’en plus jamais sortir. Mais c’est sans compter sur le pouvoir de l’écriture de Romain Gary. En quelques lignes, il décrit un homme qui représente à lui-seul la condition humaine. Une ombre à la vie banale, sans éclat, qui subit, qui obéit et qui souffre aussi dans l’indifférence la plus totale. Que cet homme effacé, insignifiant, puisse avoir une requête et la porter devant un enfant, en hésitant puis en l’implorant, est d’une force émotionnelle incroyable. Et quelle requête ! Celle de laisser une trace de son passage sur cette terre, donner un sens à son existence ! Le désir ultime de tout être humain ! Ces trois pages racontent ça, NE RACONTENT QUE ÇA et pourtant elles érigent Monsieur Piekielny au rang de héros de la littérature.

Je ne suis pas la seule à le penser car, que vois-je, début 2019 ? Il fait les gros titres. On lui consacre un roman entier presque 50 ans après la sortie de La Promesse de l’Aube.

Je dois lire ce livre, mais je me pose une question 🤔

C’est qui François-Henri Désérable ?

François-Henri 😱 : je penche pour un vieux issu d’une lignée noble, mais qui, après avoir perdu la particule, a tout misé sur le prénom. Pas du tout ! Il est jeune, mignon tout plein et a un parcours totalement atypique. Passionné de hockey sur glace 😱, il devient joueur professionnel puis s’inscrit en Droit pour rassurer sa maman. Études de droit qu’il abandonne pour se consacrer à l’écriture. Ça, c’est pour Wikipédia.

Je me découvre un point commun avec lui (en plus de son admiration pour Romain Gary) : son aversion pour le 15e arrondissement de Paris. Mais tout pareil ! C’est l’arrondissement qui ne choisit pas son camp, qui essaie d’être tout à la fois : huppé, bourgeois, populaire, branché… et qui, au final, n’est rien. Tous les quartiers sont tristes (je le sais, je les ai tous écumés) : Javel, Grenelle, Mirabeau, Convention, Pasteur, même Montparnasse est chiant côté 15e ! Les jeunes ont l’air vieux, les vieux le sont. JE HAIS le 15e 👿!

Stop ! Revenons à son livre.

De quoi parle-t-il exactement ?

François-Henri, amoureux de La Promesse, décide d’enquêter sur ce Monsieur Piekielny. A-t-il seulement existé ? Quelle était sa vie ? Quelle a été sa fin ?

Et commence alors un grand bringuebalement pour le lecteur.

  • L’histoire, d’abord, qui a pour point de départ Monsieur Piekielny, mais qui n’est rien d’autre qu’une déclaration d’amour à Romain Gary, aux hommes de bien et parfois de rien. L’histoire qui nous entraîne à Vilnius en Lituanie, pays que l’on imagine gris, triste et froid, parfait linceul pour ces Juifs qui y sont morts par milliers. Piekielny en faisait-il partie ? Et puis l’auteur, au milieu de tout ça, qui essaie de trouver sa place, de mettre son histoire dans l’Histoire, sans prétention, avec malice et élégance.
  • La forme, ensuite, qui virevolte entre enquête rigoureuse et imaginaire fécond et débridé de l’auteur. Cela donne un ouvrage foisonnant et tourbillonnant.
  • Le style, enfin. François-Henri jongle avec tous les styles, avec une décontraction et une aisance apparentes. On passe de l’humour (FH est très très drôle) à la tristesse, de la légèreté à la gravité, de la vérité au mensonge. Seul bémol : à avoir tant de talent, parfois FH en fait trop. Certains passages manquent de simplicité, sont un peu trop pompeux, l’auteur se regarde écrire (libre adaptation par moi-même 😜).
J'ai pris énormément de plaisir à lire ce livre. C'est un bel hommage à Romain Gary et à un certain Monsieur Piekielny !

La guerre, ce massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas.  Paul Valéry

Et par le pouvoir d'un nom
Je recommence Ta vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Piekielny

LAISSEZ-MOI de Marcelle Sauvageot

Pourquoi ?

Depuis que j’ai lu ce texte, je n’éprouve que des mauvais sentiments… Jalousie de ne pas l’avoir écrit, regret de ne pas l’avoir lu plus tôt, colère de ne jamais avoir entendu parler de Marcelle….

C’est d’abord (comme souvent) sa couverture qui m’a attirée. La photo est célébrissime (Les plongeursGeorge Hoyningen-Huene) mais surtout trompeuse. Un couple en maillot de bain, pose de profil en nous tournant la tête, assis sur ce qui semble être un plongeoir, face à la mer. En réalité, cette photo des années 30 a été prise sur les toits de Paris.

Je prends le livre, le tourne et découvre des critiques pleines de louanges teintées d’incompréhension et de tristesse que cet ouvrage n’ait pas fait date dans la littérature.

Zou ! Je l’achète et le lirai pendant les vacances ! On va voir s’il va faire date !

Les facéties de la vie ont voulu que, je lise ce livre, bloquée sur un lit d’hôpital. Quelle ironie ! S’immerger dans une histoire de femme malade (et condamnée ?) dans un sanatorium quand on est soi-même coincée dans une ambiance gériatrie 👌👌👌.
J’ai toujours eu un excellent sens de l’à-propos.

Alors, date ou pas date ?

Au diable le suspense ! Date bien sûr !!! Ce texte est tout à la fois un récit, une lettre, un manifeste, un adieu. Il est court, 123 pages, sans emphase, sans effet de style et pourtant… L’écriture est simple, fulgurante, tellement juste et belle, à la fois douce et violente. Un peu comme l’eau vive et glacée d’un torrent. Y plonger est une évidence mais qui n’a rien de confortable. Après vous avoir rafraîchi, la froidure vous saisit et vous oblige à nager pour ne pas perdre pied, pour éviter l’engourdissement.

Car c’est de cela qu’il s’agit, ne pas s’engourdir, jamais, ni pendant une histoire, ni après une rupture.

Jamais je n’ai été aussi proche de la vérité d’une rupture, jamais je n’ai lu un texte qui exprime tout à la fois les émotions, l’affect mais aussi l’intelligence, la distance, la force. Comme l’autopsie enflammée et lucide que l’on ferait d’un amour mort. 

Entrez dans la lumière…

L’héroïne, soignée dans un sanatorium dont elle ne ressortira peut-être pas vivante, illumine ses journées en pensant à son amant. Jusqu’au jour où elle reçoit une lettre « Je me marie… Notre amitié demeure. »

Malgré le choc, elle ne subira pas. Elle a décidé d’aimer cet homme, elle va décider de le désaimer… presque pour les mêmes raisons. Femme libre, amoureuse, délaissée, mais libre avant tout. Elle est forte. Personne ne pourra détruire ce qu’elle est intrinsèquement. À force de tout faire pour plaire à l’autre on se perd et c’est le pire, comme une trahison à soi-même, comme une solitude supplémentaire qui s’ajoute à nos renoncements. Elle évoque « le petit coin qui ne vibre pas, même au plus profond du bonheur », ce refuge accessible de vous seul et dans lequel vous conservez votre intégrité. Un lieu à soi. « Vous êtes parti, mais je me suis retrouvée… Je ne me sens pas seule ».

Certains diront que c’est le charme de la passion, de tout vivre intensément, de toucher le fond, de s’oublier… Je pense, au contraire, comme Marcelle : on ne doit jamais s’oublier, jamais s’effacer devant qui que ce soit.

Ce livre est un bijou brut, à lire et à relire… Et puis, cela n’a rien à voir, ne légitime rien, n’apporte rien … Mais Marcelle était belle, tellement belle.

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