LA MAISON de Emma Becker

Ce livre n’est pas un bonbon.

Dans ma dernière chronique je vous parlais de livres qui étaient comme des bonbons, doux, agréables et sucrés.

Et puis il y en a d’autres. Qui picotent, râpent la langue, font grimacer.

La Maison en fait partie.

C’est un récit qu’on n’attend pas, qui va à contre-courant de la pensée dominante de l’époque, et qui dérange. Pourtant, ça parle de choses qui existent, qui sont vraies, pas d’une vérité absolue mais tout du moins réelles. On fait quoi face à une réalité qui ne correspond pas à notre schéma de pensée ? On réfute ? On oublie ? On fuit ?

La Maison d’Emma Becker

Une femme décide de se prostituer, le revendique, l’assume, en retire même des plaisirs et des moments de bonheur. Ça chatouille hein ?

Si, encore, il s’agissait d’une femme lambda, personnage imaginaire tout droit sortie du cerveau d’Emma… ou à la limite (mais vraiment extrême limite) d’une femme qu’elle a rencontrée et dont elle raconte l’histoire. On pourrait mettre le récit à distance, le balayer d’un revers de main : « c’est totalement inventé, c’est l’exception qui confirme la règle, c’est une nymphomane, elle fait genre mais elle est profondément malheureuse… ». Et on replongerait nos mains allègrement dans le paquet de bonbons avec la satisfaction que rien ne peut troubler nos convictions.

Mais non ! C’est d’elle dont elle parle ! Pas de mise à distance possible, pas de dédain à opposer, parce qu’en plus, elle a de la répartie, Emma ! Elle est là, à vous regarder droit dans les yeux : « c’est mon histoire, c’est mon choix et je ne suis pas la seule ».

La première fois que je l’ai vue c’était à La Grande Librairie (bon sang, je devrais me faire payer tellement je fais de pub à cette émission). Et, croyez-moi, Emma a picoté tous les invités, hommes et femmes. Et c’est parti pour une série de réactions empruntées : « oui, le livre est vraiment intéressant mais attention à ne pas glorifier la prostitution », « je suis un peu dérangée quand même ». Comme si ce livre était forcément plus qu’un témoignage et légitimait toutes formes de prostitution, la recommandait comme une voie royale. Allez zou ! Cursus en 5 ans chez Sup de Pute, c’est l’assurance d’une carrière d’avenir !

Parce que c’est bien connu, une pute, ça doit être exclusivement une victime, faut quand même flatter un minimum notre moralité, nos valeurs. OK, c’est une pute mais elle n’a pas le choix, on la force. Elle attend d’être sauvée.

Mais une pute qui n’attend rien, ça met méchamment à mal nos certitudes, nos batailles, les avancées de la condition féminine passées et à venir. Et si la véritable avancée c’était la liberté ? Liberté pour les femmes de disposer de leur corps sans être jugée y compris par leurs sœurs ? Liberté de se défaire des règles et injonctions du patriarcat sans tomber dans celles des féministes ?

Et le livre, dans tout ça ?

Je comprends le malaise qui se déroule en 2 temps :

  • Le sujet. Il serait somme toute assez commun, avec son charme belle époque si justement l’époque n’était contemporaine (il existe donc encore des maisons closes de nos jours ?).
  • Ce que l’auteure a fait pour écrire ce livre, ou plutôt ce que ce livre lui a permit (autorisé) de faire
  • Enfin, l’atmosphère du livre et de la Maison, un univers caché, feutré, protégé du monde, bruissant d’une charmante ambiance féminine. On a envie d’y être.

Que c’est agréable de lire un livre bien écrit avec un beau style.

Et drôle, ce que je ne soupçonnais pas, car en promotion, Emma becker est beaucoup de choses – belle, énigmatique, (on la regarde comme une bête curieuse) douce et forte (pas besoin de parler plus fort et il ne viendrait a personne l’idée d’être malotru avec elle) – mais pas drôle

RHAPSODIE DES OUBLIÉS de Sofia Aouine

La Grande Librairie a encore frappé !

Mercredi 18 septembre. François annonce depuis plusieurs jours, sur les réseaux sociaux, une interview exclusive de Joyce Carol Oates, MA Joyce, que j’adore, que je vénère 🤩 !

Autant vous dire que mieux installée que moi sur le canapé, ce n’est pas possible. Zou ! C’est parti !

L’interview sera diffusée en fin d’émission (malin, le François 😤). Pas le choix, je vais donc regarder l’intégralité du programme. Je ne connais aucun des invités. Le thème, « Sexe et pouvoir » est alléchant bien comme il faut et promet une émission passionnante. Promesse tenue ! Ça a été un des numéros les plus enthousiasmants de la rentrée ! Mais, surtout, j’ai découvert Sofia.

Comment ai-je pu vivre sans Sofia ?

Quand elle arrive sur le plateau, on ne voit qu’elle !

  • Sofia, c’est d’abord un physique. Elle ne répond à aucun des canons de beauté en vigueur, elle est grosse (ce n’est pas une insulte, c’est factuel), sa tenue chatoyante jure parmi le trio de teintes « Bleu / Gris / Noir » des autres invités. Bref, elle est sublime ! Elle sourit, plante ses yeux droits dans ceux de son interlocuteur, a le regard teinté de malice même si on n’est pas forcément là pour rigoler. Elle est magnifique, je VEUX que ce soit ma copine  🥳 !
  • Elle n’est pas connue (enfin, par moi), ne bénéficie d’aucune notoriété, c’est son premier roman.
  • Elle a 41 ans, n’a plus la candeur de la prime jeunesse (si tant est qu’elle l’ait eu un jour vu son parcours). Elle a mieux ! L’énergie et la rage de ceux qui ont bien galéré pour s’en sortir.
  • Peu importe, elle irradie. Vous êtes irrésistiblement attirée dans son sillage, vous avez envie de la connaître, de profiter de son aura, comme si cela pouvait vous donner un peu de sa détermination que vous devinez, de son appétit de vivre, de son audace. Elle me fait penser à une ogresse, une sorcière, une guérisseuse, tous ces noms qui ont servi à dévaloriser, détruire, soumettre les femmes mais qui, au contraire, devraient les libérer, les définir. Elle est LA femme !

Quand elle parle, tout le monde se tait !

  • Elle dit ce qu’elle veut, comme elle veut. François, les invités, moi, (la France entière 😂) sommes suspendus à ses lèvres, à ses mots.
  • Des mots justes, précis et précieux pour se raconter et raconter son livre.

Et son livre, alors ?

François annonce la couleur très rapidement en précisant qu’il s’agit de son coup de  ❤️ de la semaine. Je l’ai lu, j’ai adoré ! Et je comprends maintenant les références à La vie devant soi, faites au cours de l’émission. Abad, le jeune héros de 13 ans est le frère de Momo. Le quartier a changé, les protagonistes aussi mais la misère humaine reste la même. Injuste, rageante, triste… et drôle aussi, d’autant plus qu’elle est vue par l’œil d’un adolescent qui apporte sa franchise, son bon sens et son effronterie.

Facile à aborder, facile à lire, ce livre se dévore. Le langage peut être cru ou drôle ou plein d’amour, mais il m’a toujours touché.

C’est aussi une formidable déclaration d’amour :

  • à la Goutte-d’Or, ce quartier mal-aimé de Paris et à ceux qui le peuplent. Ces invisibles qui ne me ressemblent pas, qui me font peur et que, souvent, je préfère ignorer. C’est vrai, c’est tellement plus facile et confortable de les aimer au travers d’un livre.
  • et surtout aux femmes, les premières victimes mais surtout les seules capables d’assez d’abnégation pour distiller de l’espoir.

Ce n’est pas le roman du siècle, ce n’est pas La vie devant soi, c’est Rhapsodie des oubliés et c’est bien !

BAISE-MOI de Virginie Despentes

Entre Virginie Despentes et moi, c’était pas gagné !

Il y a deux ans, je me suis résignée (oui, vous avez bien lu, RÉ-SI-GNÉE) à lire un livre d’elle. Elle fait partie des auteur·e·s incontournables en France, elle est régulièrement invitée dans les émissions littéraires ou dites de « divertissement ». Elle se retrouve plus souvent qu’à son tour en tête de gondole à la Fnac. Bref, j’étais obligée ! Histoire de l’avoir lue, « comme tout le monde » et d’avoir un avis, « comme tout le monde » (paradoxalement, j’aime bien le concept « être comme tout le monde » de temps en temps🥺).

Restait le choix du bouquin ! Ça allait se jouer entre les trois titres les plus connus : Baise-Moi, King Kong Théorie ou, le dernier en date, Vernon Subutex.

La sélection se fait naturellement. King Kong Théorie est un essai, je veux un roman. Baise-Moi traîne une réputation sulfureuse, c’est peut-être un peu too much pour moi, petite chose sensible. Je pars sur Vernon Subutex tome 1 (sensible, mais logique 🤪) !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le coup de foudre ! Je me suis traînée jusqu’à la fin. La lente descente aux enfers de Vernon m’a paru interminable. Le genre de type attachant mais qui s’incruste et qu’on n’arrive plus à dégager. Même l’intrigue n’a pas suffit pour que je rentre dans cette galerie de portraits d’une génération déchue. Même ses errances dans Paris, même les multiples références aux années 80, qui sont trop pointues pour moi. Je n’ai pas détesté, j’ai aimé l’écriture brute, sans concession, qui exprime tellement bien la désillusion, la détresse, le dégoût, la marginalisation. Mais j’ai refermé le livre en ne sachant pas trop quoi en penser. Et c’est mauvais signe…

Il ne faut jamais dire « jamais » !

Il y a quelques semaines, je tombe par hasard sur une interview croisée entre Virginie Despentes, Béatrice Dalle et Casey sur le féminisme. Chaque intervention de Virginie est juste, brillante, radicale. Première étape du coup de foudre. Je ne peux pas rester sur un avis tiède, je décide de lire Baise-Moi !

Coup de foudre définitif et irréversible ! Je l’ai terminé depuis cinq jours et Nadine et Manu sont toujours avec moi. Je n’ai démarré aucune autre lecture tant j’ai peur que leur présence s’estompe, tant j’ai envie de rester avec elles, tant ça m’a pris aux tripes.

Et pourtant, c’est tout sauf amazing 🥳🥳🥳 !!!

Une banlieue sinistre, qui transformerait n’importe quel winner en paumé toxico et alcoolo. Une banlieue que même quand t’as encore l’envie et une chance de t’en sortir, elle te calme bien comme pour te signifier qu’on ne perturbe pas indûment la hiérarchie sociale. N’Y PENSE MÊME PAS !

Et puis, il y a Nadine et Manu. Elles ne se connaissent pas, mais ont la même histoire. Deux filles à qui personne n’a jamais fait de cadeau et encore moins la vie. Elles ont appris à esquiver les coups, si besoin à les encaisser. Elles ne se laissent pas marcher sur les pieds mais savent faire profil bas quand il le faut. Elles ont des plaisirs simples, baise et alcool, l’un finançant l’autre. Elles tiennent à leur tranquillité ; se défoncer nécessite un minimum de sérénité. Ça pourrait les faire passer pour asociales et amorales, mais ce n’est pas le cas : elles ont des accointances (le terme « amitiés » serait un chouïa exagéré) et leur propre code d’honneur.

Quand elles se rencontrent, elles ont déjà savouré la violence chacune de leur côté, elles vont juste mettre en commun leur savoir-faire, parfaire leur technique, une sorte de joint-venture du sang.

Elles assument tout,  en cela ce sont les personnages les plus féministes que j’ai jamais croisés. Elles sont libres. Une liberté grisante, choquante, absolue, qui s’obtient au détriment des autres par ceux qui n’ont plus rien à perdre. C’est totalement gratuit, c’est totalement flippant, c’est totalement enivrant ! Des Thelma et Louise trashs. « On est en train de rattraper toute une vie en quelques jours ».

Il est des livres que vous ne voudriez jamais finir. J’aurais pu les suivre au bout du monde.

Je laisserai la phrase de fin à Nadine : « ce qui convient à la main, c’est le flingue, la bouteille et la queue ».

Ni plus… ni moins. 

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