BLONDE de Joyce Carol Oates

Qui est Joyce Carol Oates ?

Une géante de la littérature américaine.

Le premier livre que j’ai lu d’elle c’était « La fille du fossoyeur ». Il y a 15 ans. D’où en avais-je entendu parler ? Mystère et boule de gomme !

Ça raconte une famille juive allemande qui fuit le nazisme et échoue à côté de New-York. Le père, professeur en Allemagne, n’obtient qu’un poste de gardien de cimetière. Il va sombrer, entraînant sa famille avec lui. Trop de déclassement, d’affronts, de frustrations et de ressentiments. Sa fille réussira-t-elle à s’extirper de ce qui tourne à l’atavisme ?

Je suis entrée dans un monde et une écriture. L’Amérique des oubliés qui côtoient le rêve américain sans jamais le toucher ou alors trop peu. Ces travailleurs de première ligne qui permettent à l’Amérique de briller mais eux restent dans le noir, dans le sale. La noirceur des âmes aussi. Cette violence qu’il y a en chacun de nous et qui peut prendre des formes inattendues.

Car, quel que soit le sujet abordé, le point commun de ses livres c’est la violence : la violence intérieure, subie, reproduite, canalisée ou dépassée.

Lire Joyce, c’est entrer dans un shaker. Chaque phrase prise séparément est « normale », précise, réaliste, juste, mais « normale ». Mises bout à bout, cela donne un ouragan qui dévaste tout et vous conduit au chaos. Vous sortez de là rincé, épuisé mais envoûté.

BLONDE, le livre

Ce livre n’échappe pas à cette violence.

Pour éviter tout malentendu, il s’agit d’une autobiographie fictive de Marylin.

Bien sûr, elle part de sa vraie vie : son enfance, ses films, ses maris, son statut de sex symbol. Mais elle l’imagine sous l’angle de sa psyché. Elle imagine ses luttes intérieures. Lutte sociale pour s’extirper de son milieu et atteindre ses rêves, lutte affective pour étancher sa soif d’amour et enfin lutte contre l’énorme malentendu entre son statut de sex symbol et qui elle est vraiment. Parce que, putain, Marylin lutte.

Plus Norma Jean a du succès, plus il lui est difficile de rentrer dans la peau de Marylin. Elle en devient l’otage. De Norma Jean, elle passe à Marylin, puis à La Blonde. Toujours plus déshumanisée, toujours plus objet, toujours moins elle.

Et l’écriture de Joyce restitue ce combat pour finir à la limite de l’écriture automatique, saccadée presque sans logique ou, au contraire, en suivant une logique ultime.

Tout a été écrit sur Marylin. Tout, sauf ça.

BLONDE, le film sur Netflix

J’appréhendais de le voir. Je pensais impossible d’adapter un tel livre.

La lecture de certaines critiques m’a confortée dans cette hésitation ! Violent. Insoutenable. Outrancier. Précieux. Brutal. Répétitif. Abus d’effets artistiques grossiers. En plus, le film est interdit aux moins de 18 ans.

WOW !!! Ça va donner quoi ?

Insoutenable, non. Outrancier, non. Répétitif, non.

Violent ? Oui. Le film est violent car le livre dont il s’inspire est violent.

Réussi ? Oui. Oui. Oui. Trois fois oui. J’ai adoré. Le réalisateur, Andrew Dominik, réussit à retranscrire l’esprit du livre. Pas parfaitement, pas entièrement mais à ce stade c’est un exploit.

Et l’actrice ? On en parle de Ana de Armas ? Non, on n’en parle pas. On la regarde, on la contemple, on l’admire. Elle est tellement époustouflante que les mots manquent (en tous cas à moi 😍).

1110 pages, 2H46 minutes. On ne compte pas quand on aime.

LE PINGOUIN d’Andreï Kourkov

Ce livre est une surprise

Je dirais même une belle surprise made in Airbnb. Cet été, j’ai eu la chance de profiter d’une maison normande avec une bibliothèque incroyable, des livres partout jusque dans la cuisine ! Un mélange de classiques, de romans contemporains français et étrangers qui témoignaient d’une grande curiosité et de goûts très éclectiques avec une légère prédilection pour la littérature russe (ou en tout cas des pays de l’Est). Le plus dur était de faire un choix et de réussir à lire ma sélection en une semaine.

Je parcourais l’ensemble et éprouvais l’axiome « trop de choix tue le choix ». Bon sang, ma fille, concentre-toi ! Je m’arrêtais sur une tranche, enfin plutôt le titre d’une tranche : « Le Pingouin », livre publié en 1996. Et là, j’ai découvert le pitch le plus what the fuck jamais lu. Je m’en vais vous le narrer.

Le pitch

Ça se passe à Kiev, dans l’Ukraine post-soviétique. Victor, écrivain, journaliste, fauché et solitaire, a adopté un pingouin, histoire de combler sa solitude. Pas facile d’adopter un pingouin, ni commun. Mais le zoo de Kiev, n’ayant plus les moyens de nourir ses pensionnaires, a proposé à l’adoption les plus inoffensifs. Victor a choisi Micha, le pingouin.

Sauf que Micha ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Il bouffe du hareng à longueur de journée et le hareng, ça coûte cher. C’est alors que Victor tombe sur une petite annonce des plus étranges. Un grand journal cherche quelqu’un capable d’écrire des nécrologies originales.

Victor a besoin de harengs donc, zou ! Il postule sans grand espoir. Et il est pris !

Au début, il choisit lui-même les personnalités sur lesquelles il souhaite écrire : grands noms du spectacle, des médias, de la politique et des affaires. Puis petit à petit, le rédacteur en chef qui l’a pris sous son aile, lui distille quelques noms.

Tout se passe bien, ses chroniques répondent en tous points aux exigences de ses employeurs. Problème : personne ne meurt. Victor désespère d’être publié un jour.

Ça ne va pas durer longtemps. Les élus de ses nécrologies se mettent à tomber comme des mouches et parfois, il faut bien le dire, dans des accidents bêtes, mais bêtes (un peu comme en ce moment chez les oligarques russes, voyez).

Féroce et tendre

Le sujet est original, le livre se lit facilement. On s’immisce dans le quotidien des quidams dans les pays de l’est.

Victor est semblable à l’image que je me fais de ces peuples qui subissent soit la dictature soit la corruption (ou les deux). Ces hommes qui vivent dans l’absence de l’État, des lois et où l’ordre est régi par les plus forts. On ne se rebelle pas, on courbe juste l’échine pour passer sous les radars et vivre le plus en paix possible même si c’est chichement, même s’il y a des injustices. Et Victor y excelle. Il prend ce qu’il y a à prendre et, s’il se pose beaucoup de questions dont il devine aisément les réponses, il semble s’en accommoder. Mais attention à l’eau qui dort.

C’est un livre masculin avec beaucoup d’hommes. Les femmes sont soit des souvenirs soit des présences éthérées, pourvoyeuses de douceur à laquelle les hommes s’accrochent désespérément.

C’est surprenant de partir d’un sujet aussi incongru et de décrire aussi finement la société. C’est parfois drôle (certains enterrements valent le détour), parfois émouvant, parfois mélancolique, toujours pittoresque. Et beaucoup plus profond que le laisse penser le résumé.

Une phrase décrit très bien la sensation étrange éprouvée : « Tout semblait familier mais ce n’était qu’une impression ».

Et Micha dans tout ça ? Il est omniprésent, double de Victor et témoin silencieux.

Laissez-vous séduire par « Le Pingouin ». J’espère que vous aimerez autant que moi.

CHIEN 51 de Laurent Gaudé

Laurent se met au polar !

Ah mais j’accours ! On m’appelle la reine des lectrices du polar (non, pas du tout, c’est moi qui viens de m’autoproclamer 🤪). Mais c’est vrai que j’adore les polars.

Enfant, je passais tous les étés avec mes grands-parents en Normandie. Il y avait plein de livres, dont beaucoup d’Agatha Christie. Ça a été mes premiers livres « de grands », après le « Club des Cinq » et autres « Langelot ». C’était une vieille maison qui grinçait de partout. Autant vous dire que les serrures 3 points n’existaient pas chez eux, ni les volets d’ailleurs. Avec ou sans clés, on pouvait y entrer comme dans un moulin. Ma chambre était la première en montant les escaliers. Bref, en cas d’intrusion, j’aurais été la première à me faire trucider. Je flippais déjà naturellement à cette idée. Dans un saladier de bruits non identifiés, ajoutez une pincée de lecture d’Agatha Christie et vous obtenez une gamine traumatisée à vie.

Pas rancunière pour deux sous, ça reste mes meilleurs souvenirs de lecture et, depuis, les romans policiers sont des valeurs sûres pour moi.

Un polar d’anticipation ? Pas de problème, Laurent ! Je suis curieuse de nature et un bon polar reste un bon polar.

Le résumé

Ruinée, la Grèce a été achetée par une multinationale, GoldTex. Comme dans tout rachat, on garde le meilleur, le plus productif, le plus compétent et on se débarasse des déchets qui ne rapporteront rien et coûteront trop. Cut.

Trente ans après ce rachat, les jeunes n’ont rien connu d’autre et rêvent de réussite selon GoldTex, tandis que les vieux sont déjà un peu morts à l’intérieur et survivent.

C’est alors qu’un crime a lieu, suffisamment sordide pour mobiliser un duo de policiers qui ne devaient jamais se rencontrer. Zem Sparak, un homme fatigué, taiseux, enfermé dans sa souffrance, sa Grèce natale et son passé. Face à lui, Salia, jeune et ambitieuse.

Envoûtant !

L’ambiance est plus que noire. Poisseuse, sale, ça vous colle et ne vous lâche plus. Même les rares espaces ensoleillés n’apportent aucune lumière au récit. Ils sont couverts de cette crasse du simple fait qu’elle existe.

Ce roman est à la fois classique et original.

  • Classique, car on pense à « Bienvenue à Gattaca », « Soleil vert ». Des références qui ont déjà été exploitées.
  • Original par son point de départ (le rachat d’un pays par une entreprise) et la construction. Cette enquête, comme le point final d’une histoire encore individuelle qui résiste et doit disparaître. Seule la narration collective de GoldTex a sa place.

On se rend compte que détruire un individu, c’est simple. Il suffit de l’amener à trahir ou de le persuader qu’il a trahit. Il ne faut pas le briser entièrement, non, juste suffisament pour qu’il survive et obéisse. En agitant devant lui un misérable espoir. Car ne nous ne sommes que ça, des tourmentés qui cherchent la rédemption.

C’est palpitant, hypnotique et angoissant. Comme toute dystopie, il suffirait de pas grand-chose pour que ça se produise. Et puis le monde de GoldTex est déjà là, sous nos yeux. Pas besoin d’aller chercher très loin pour le reconnaître.

Je n’avais jamais lu de romans de Laurent Gaudé. Je suis contente d’avoir commencé par ce livre. Je vous le conseille.

LE MAGE DU KREMLIN de Giuliano da Empoli

En voilà un titre et un nom d’auteur qui en jettent !

« Un ouvrage indispensable pour comprendre ce qui se joue en Russie », « Un roman passionnant qui se dévore », « Un livre nécessaire qui vous éclairera sur l’âme russe ».

Les critiques sont bonnes et vu que je m’y connais autant en âme russe qu’en point de croix, ce livre est pour moi !

Et, Giuliano da Empoli, quel nom !!! Rien que de le prononcer à voix haute, je me mets à parler avec les mains et j’ai envie de manger des pâtes.

Tour à tour journaliste, conseiller politique pour l’Italie et la Suisse, il a écrit plusieurs essais. Ce livre est son premier roman. Bref, une tête bien pleine.

Le Mage du Kremlin ou la formidable ascension d’un petit-fils de paysan

Ce mage, c’est Vadim Baranov, un russe au parcours éclectique, qui a vécu l’effondrement de son pays et vu la corruption prospérer sur les cendres de l’ex-URSS. Désormais, elle était accessible à tous. Un monde sans lois où tout était possible pour qui avait un maximum d’ambition et un minimum de principes. De metteur en scène underground, il devient producteur de télé-réalité mainstream pour terminer comme éminence grise de Poutine. Mystérieux, invisible, il est nulle part et partout. Chaque décision de Poutine est susceptible d’être la sienne. Jusqu’au jour où il disparaît des écrans radar. Disgrâce ou choix ? Qu’importe ! La légende n’en devient que plus forte. Puis, une nuit, il va se confier au narrateur et tout lui raconter.

Analyse en trois points

Le thème : il est passionnant. Moi qui adore l’actualité et essaie (vainement, je vous rassure) de capter les enjeux géopolitiques du monde, ce sujet est parfait. On y croise des gens qui existent dans la vraie vie : Poutine, Gorbatchev, Clinton. Vous avez l’impression d’être en terrain connu, au coeur du pouvoir, et surtout de pénétrer dans ses coulisses, là où se forgent les décisions et les trahisons.

La forme : ça se lit d’une traite. C’est fluide, accessible et la narration vous happe. Une sorte de thriller politique. En Russie, même la politique est romanesque. Pas besoin de beaucoup forcer, ce pays a toujours pondu des personnages à la fois dantesques et truculents.

Le fond : eh bien je m’interroge encore, plus d’un mois après l’avoir lu. Est-ce un très bon roman doublé d’un cours magistral de géopolitique ou juste un très bon roman ? Je vais essayer de m’expliquer. Ce livre nous donne l’impression de comprendre la Russie, les russes et leur rapport au monde. Mais ce n’est peut-être qu’un leurre. Il nous dit ce qu’on veut entendre. Si je caricature :

  • les russes ne connaissent rien d’autre que la souffrance et les privations. C’est à la fois leur étendard et leur supériorité face à un occident imbu de lui-même et paralysé par le confort. Deux mondes qui ne jouent pas dans la même cour et n’ont pas les mêmes aspirations. Ça nous rassure, on a l’impression de mieux appréhender et maîtriser une situation incontrôlable. 
  • Et surtout, une question me taraude après la lecture de ce roman. L’auteur nous livre-t-il un enchaînement implacable qui ne peut qu’aboutir à la situation actuelle ? Ou est-il parti de la situation actuelle pour en déduire son raisonnement ? Comme si on avait déjà le résultat d’un problème de maths, voyez ? Ce qui n’est pas du tout pareil et peut remettre en cause la justesse de son analyse (oui, me prendre la tête, ma passion).

Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’est l’âme russe, elle conserve tout son mystère et c’est très bien comme ça. Ce roman est très bon et je vous le conseille. Cherry sur la pavlova, il figure dans la première sélection du Goncourt.

MALEVIL de Robert Merle

Robert Merle, Robert Merle 🤔

Un poète ? Un vieux poète ? Grabataire ? Mort ? Bon sang, je ne sais rien de lui, je le connais de nom mais après, c’est le vide intersidéral. Forcément, on me l’a conseillé, je ne pense pas à Robert Merle le matin en me rasant.

« Si, si, c’est vraiment bien, je suis sûre que tu aimeras », « Malevil a marqué mon adolescence ». Diantre ! Carrément ? En voilà une personne audacieuse et qui ne manque pas d’air.

On va déjà le googleliser pour voir sa tête. Robert. On me propose Roberto Alagna, Robert Palmer, Robert Mitchum. Manifestement, y’a pas que moi qui suis passée à côté.

Je l’ai ! J’apprends qu’il est né en Algérie en 1908 et mort en 2004 dans les Yvelines. Ça ne m’avance pas beaucoup. En revanche, coup de tonnerre, c’est lui qui a écrit « La mort est mon métier ». Saperlipopette, j’ai déjà lu du Robert Merle. J’apprends que son premier roman est « Week-end à Zuydcoote » qui a obtenu le prix Goncourt dans la foulée et une adaptation cinématographique 15 ans plus tard avec Jean-Paul Belmondo.

C’est de l’excellent pedigree, je me laisse donc convaincre. Zou pour « Malevil » !

Ça commence comme du Pagnol….

Emmanuel, le narrateur raconte sa vie dans la France des campagnes. Il dit sa région et ses habitants hauts en couleur. Ça fleure bon le terroir, les champs, le pâté de campagne et la vie simple ; pas forcément plus heureuse mais plus simple en apparence. La narration est fluide et maîtrisée. Le language est multiple, châtié, patoisé. C’est drôle, émouvant, époustouflant. C’est vif comme un animal sauvage, gouleyant comme un bon vin.

L’Événement

Emmanuel nous parle de sa vie et de ses bornes c’est-à-dire les étapes clés qui l’ont jalonnée. Il y en a 7. Jusqu’à l’Événement. Au stade où j’en suis je me dis que l’Événement est un accident de voiture qui l’a laissé paralysé ou la découverte qu’il est le fils caché du chatelain du coin ou encore qu’il a un oncle en Amériques qui, en mourant, lui lègue toute sa fortune. AhAhAh, que nenni ! Putain, l’Événement ! Mais l’Événement bon sang ! Heureusement que je n’ai pas googlelisé le livre avant, ça m’aurait volé le choc et l’incrédulité que j’ai ressentis.

A partir de l’Événement, un deuxième livre commence.

Oubliez tout ce que vous savez, on change de paradigme. Exit ce quotidien rural, rassurant, éternel. Sans changer de lieu, on se découvre perdus, vulnérables et terriblement imparfaits.

Momo

Emmanuel n’est pas seul. Il y a La Menou, Peyssou, Meyssonnier, Miette, Colin, La Falvine et Thomas, pour ne citer qu’eux.

Et il y a Momo. Momo, c’est le fils de La Menou. Un grand costaud de 49 ans, simple d’esprit, que sa mère protège, couve et rabroue.

Momo c’est mon coup de ❤️. Il m’a fait rire et pleurer. Il s’exprime difficilement, déteste se laver. Je le voyais, sous mes yeux, en train de courir se cacher quand sa mère l’appelait pour la douche. Et quel couple avec sa mère ! Ils ont été tous les deux mes plus grands fous rires de l’été.

 Je ne peux pas vous en dire plus. Lisez-le, mais sans vous renseigner sur internet avant, sans lire le résumé. Soyez vierge de toute cette histoire et laissez-vous porter. Que c’est beau un livre singulier qui vous saisit comme ça.

Je finirai avec Momo et une de ses fameuses phrases : « Mé bouémalabé oneieu emebalo ».

A vous de trouver sa traduction !

CHER CONNARD de Virginie Despentes

LA star de la rentrée littéraire

Elle est partout ! Dans les émissions littéraires, les magazines féminins, dans les devantures de (presque) toutes les librairies. Certain-e-s s’en offusquent : plus de place pour les autres, les premiers romans, les moins connus, elle monopolise tout !

C’est pas faux. Mais honnêtement, je comprends. Avec Despentes, on sait qu’il va se passer quelque chose et on ne sait pas quoi. De plus, depuis le 3ème tome de « Vernon Subutex », elle n’avait rien publié. Et il s’en est passé des choses depuis 2017 : MeToo, les femmes, la jeunesse… La société évolue à vitesse grand V. Elle a forcément un avis, va en parler et ça va décoiffer. Bref, une excellente cliente de promo et une excellente lecture en vue.

Virginie et moi

Je l’aime bien. Plus, même. J’ai beaucoup de tendresse pour elle. Avant même de lire des livres d’elle. J’ai toujours aimé son franc parler, son naturel, sa façon de s’assumer et d’assumer. Il y a un mélange de force et de fraîcheur qui se dégage d’elle en interview. Comme si elle n’avait pas conscience qu’elle puisse choquer ou tout du moins interloquer. Comme si elle était étonnée d’être la seule à s’être frottée à la vraie vie.

Côté livres, j’en ai lu deux.

  • Le premier « Vernon Subutex ». Energique, féroce, drôle, triste. J’ai vraiment essayé d’aimer. Mais je n’y suis pas arrivée.
  • Et « Baise-moi », un coup de coeur énorme (chronique ICI). Vraiment. Et finalement, je suis bien contente de l’avoir lu 20 ans après sa sortie. Dépouillé de tous les scandales qui l’ont accompagné.

Cher connard

Je vais donc parler d’un livre que je n’ai pas terminé et que je ne finirai pas. Là encore, j’ai essayé et j’ai abdiqué au premier tiers. Autant vous dire que ce ne sera pas la chronique la plus juste ou fidèle ou inspirée ou tout ce que vous voudrez. Mais il faut que j’en parle.

« Cher connard » c’est deux paumés qui s’écrivent par mail (ou sur les réseaux, j’ai rien compris). Enfin, deux paumés… L’un est un écrivain qui a une certaine notoriété et qui se prend MeToo en pleine figure alors qu’il s’est toujours cru irréprochable. L’autre est une actrice vieillissante qui commence à se fatiguer de tout le cinéma autour du cinéma. Malgré leur statut prestigieux (écrivain et actrice, merde, ça en jette), ils restent paumés dans leur tête, la condition, le succès et la notoriété n’y changent rien. Il paraît que lorsqu’on a été gros, enfant, on peut perdre tous les kilos qu’on veut, on restera toujours gros dans sa tête. Ben là c’est pareil, sauf qu’ils sont pas gros, ils sont paumés.

Il y a également une 3ème protagoniste, une jeune attachée de presse qui accuse l’écrivain de harcèlement sexuel (personnage sans aucun intêret, en tous cas jusqu’à la page 70).

Tout y passe, MeToo, le féminisme, les addictions, le milieu social, les parents, la société. On voulait entendre Virginie, ben on va l’entendre ! Sauf qu’il y a tellement d’affirmations, tout et son contraire que je m’y perds. J’en arrive à ne plus savoir ce que je pense.

Et ça chouine, ça geint, ça assène des certitudes à la pelle. Deux personnes qui se raccrochent à des convictions comme des naufragés à une planche pourrie. C’est poussif. Je trouve les certitudes fatiguantes, choquantes, agressives, plus que la violence ou le verbe cru. J’aime les hésitations, les doutes, les mauvaises décisions, j’aime quand on va dans le mur et qu’on y va franchement. Je n’aime pas cette (pseudo) rédemption à 2 balles, même si c’est peut-être une forme de sagesse. J’avais envie de leur hurler : « mais sortez dehors, vivez, arrêtez de causer, vous êtes chiants ».

Je ne dis pas ça pour le plaisir de brûler une idole. Je l’aime toujours Virginie. Mais pas « Cher connard ».

LE JEUNE HOMME de Annie Ernaux

Vous ai-je déjà dit que j’aime Annie ?

Et pourtant. Elle raconte une autre époque, un autre milieu social.

Et pourtant. Elle me parle tellement. Des rêves, ceux qu’on a façonnés pour nous, des rêves tellement universels qu’on a cru que c’était les nôtres. De notre comportement, la bonne élève, à tout bien respecter. Même l’impertinence, c’est la dose tolérée, pas plus. Une façon de faire son chemin, d’acheter sa tranquillité, surtout. On finit par y croire jusqu’au jour où on les reconnait plus, ces rêves. On se sent perdue. Au mieux, un malentendu, au pire, une imposture. J’ai aussi l’impression qu’elle me dit ce que ma mère ne s’est jamais autorisée à me raconter et que je ne lui ai jamais demandé.

Mais pourquoi « Le jeune homme » ?

Elle raconte son aventure avec un homme de 30 ans de moins qu’elle, il y a plus de 30 ans. Pourquoi cette nouvelle ? Qui est abrupte, lapidaire, sèche presque évidente. Trop évidente. Annie c’est le quotidien, des choses qui vous paraissent insignifiantes et qui finissent par créer un ensemble, une vérité, par raconter l’histoire des Femmes. Annie, c’est le temps long. Et là, tout est trop court. 37 pages. 37 PAGES ! Mais merde, c’est pas Annie, 37 pages !

Et l’éditeur qui en rajoute une couche : « Ce texte est une clé pour lire l’œuvre d’Annie Ernaux — son rapport au temps et à l’écriture. »

Je lis le livre en une heure et encore, je savoure, mâche, me dis que ça va avoir du goût, que ça va piquer. Je reste avec le livre en main. En colère. Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse de ce truc ? Une clé pour son oeuvre ? Ben j’ai pas la serrure.

Je le pose, le mets dans un coin, l’oublie, passe à autre chose.

Ça ne peut pas se terminer comme ça

Inconsciemment ça me travaille. Je me surprends à y réfléchir et de plus en plus. Pourquoi a-t-elle eu besoin de raconter cette aventure ?

  • « Ecrire, ça justifie une vie ».
  • « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont seulement été vécues ».

Pourquoi devait-elle justifier ou mettre un terme à cette aventure ?

Elle dit que cette aventure a été le déclencheur pour écrire « L’événement ». Besoin de se replonger dans sa jeunesse pour trouver la force d’en écrire le dernier chapitre ? De la revivre par procuration ; lieux, classe sociale, vigueur, provocation ?

Finalement ce livre, aussi court soit-il, n’est peut-être pas aussi anecdotique que ça. Ce jeune homme ne se réduit ni à un prétexte ni à une passade ni à une provocation. Il est tout ça mais pas seulement ça.

Alors oui, c’est court. Mais après tout, quel meilleur format qu’une nouvelle pour écrire une aventure ?

Je ne sais pas quoi en penser, toujours est-il qu’il continue de me trotter dans la tête.

LE MOT de Victor Hugo

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ;
Tout, la haine et le deuil !
Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs
Et que vous parlez bas…
Ecoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille du plus mystérieux
De vos amis de cœur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot, que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l’homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. »
Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.

J’AI PAS FAIT BAC+5 et alors ?! de Marie-Laure Deschamp

J’aime pas les coachs

Y’en a partout ! Pour tout !

Y’en a tellement qu’ils sont obligés de trouver de nouveaux noms pour se différencier.

Sur Linkedn, on voit fleurir des facilitateurs de vie, des révélateurs de richesses cachées et autres « T’as aucun problème ? T’inquiète, on va t’en trouver ».

En plus, ils me rajoutent des injonctions supplémentaires : croire en soi, se libérer des carcans, révéler ses talents etc. 

Même les entreprises s’y mettent ! C’est à celle qui dégainera le plus d’outils pour nous rendre heureux !

Du coup, quand t’y arrives pas, bonjour la culpabilité !

Alors, pourquoi parler du livre d’une coach ?????

Parce qu’il est sacrément bon !

Il est facile à lire, pas de blabla, de phrases ampoulées, c’est simple, ça va à l’essentiel.

Il est rythmé, fonctionne par étapes, et surtout, c’est un échange, une discussion à laquelle vous participez. Marie-Laure vous encourage, vous donne les outils et vous permet la mise en pratique.

Il est foisonnant. Entre étapes clés, boîte à outils, témoignages, tout est fait pour baliser votre chemin.

Il est passionnant. On apprend plein de choses sur les autres, sur soi. Vous savez quel est votre driver dominant, vous ?

Il est positif, bienveillant, drôle… comme son autrice.

Car, je peux vous l’avouer maintenant, je la connais un peu, à la fois dans son ancienne vie professionnelle et dans sa nouvelle.

Vous vous posez des questions sur votre vie personnelle et/ou professionnelle ? Lisez son livre et allez la découvrir sur son site http://www.mldeschamp.fr

Si elle continue comme ça, elle va me faire aimer les coachs 😱

Pssst, si vous avez fait Bac+5, ce livre est (aussi) pour vous 😉.

COMMENT JE M’APPELLE de Anne Sylvestre

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, vous me le direz

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Quand j’étais petite et que j’étais belle

On m’enrubannait de ces noms jolis

On m’appelait fleur sucre ou bien dentelle

J’étais le soleil et j’étais la pluie

Quand je fus plus grande hélas à l’école

J’étais la couleur de mon tablier

On m’appelait garce on m’appelait folle

J’étais quelques notes dans un cahier

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, vous me le direz

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Quand j’ai pris quinze ans que s’ouvrit le monde

Je crus qu’on allait enfin me nommer

Mais j’étais la moche et j’étais la ronde

J’étais la pleurniche et la mal lunée

Quand alors j’aimai quand je fus sourire

Quand je fus envol quand je fus lilas

J’appris que j’étais ventre même pire

Que j’étais personne que j’étais pas

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, vous me le direz

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Quand je fus berceau et puis biberonne

J’oubliais tout ça quand je fus rosier

Puis me réveillais un matin torchonne

J’étais marmitasse et pierre d’évier

J’étais ravaudière et j’étais routine

On m’appelait soupe on m’appelait pas

J’étais paillasson carreau de cuisine

Et j’étais l’entrave à mes propres pas

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, vous me le direz

Si vous le savez comment je m’appelle

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Vous me le direz, je l’ai z’oublié

Puis un jour un jour du fond ma tombe

J’entendis des voix qui se rappelaient

Plaisirs et douleurs souvenirs en trombe

Et j’étais vivante et on m’appelait

Peu importe alors l’état de la cage

Le temps qu’il faudra pour s’en évader

Je saurai quoi mettre en haut dans la marge

Pour recommencer mon nouveau cahier

Je sais maintenant comment je m’appelle

Je vous le dirai je vous le dirai

Je sais maintenant comment je m’appelle

Et c’est pas demain que je l’oublierai

Et c’est pas demain que je l’oublierai

Et c’est pas demain que je l’oublierai

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