ON VA DÉGUSTER PARIS de François-Régis Gaudry et ses amis

M’en vais vous expliquer pourquoi ce livre est le cadeau parfait !

Mais d’abord, qui est François-Régis ?

Journaliste, critique gastronomique, animateur radio et télévision, c’est un peu le Giroud de la cuisine (oui, je regarde le match 🤪). Son émission radio « On va déguster » est connue et reconnue et, depuis 2015, il la décline en livres. Après la France, l’Italie (un jour je vous causerai de l’Italie, Mamma Mia), c’est au tour de Paris d’être à l’honneur.

C’est un beau livre

Que dis-je ? Magnifique !

La couverture est sublime. Ça vire à l’objet de décoration d’intérieur. Même si on ne l’ouvre pas, il envoie du bois (enfin, ce serait vraiment très très con de ne pas l’ouvrir).

L’intérieur tient toutes les promesses faites par la couverture. La mise en page, le graphisme, les illustrations, les photos. C’est bien simple : tout est appétissant.

Seul bémol : les photos, trop petites (vive les verres progressifs).

C’est un gros livre bien lourd, le cadeau parfait

Par manque d’idées ou de moyens, on se rabat la plupart du temps sur les gadgets qui sont certes amusants mais qui finissent souvent au fond d’un tiroir. En plus, comme un gadget, c’est trop peu, on en achète plusieurs et finalement ça nous coûte un rein et ça ne servira pas.

Avec ce livre, qui pèse (oui, tout à fait, je l’ai pesé, je suis une psychopate 🤪) 1.883 kilos, qui est bien épais et d’une taille estimable, vous faites votre petit effet niveau cadeau.

Alors, bien sûr, il a un prix, 42.90 euros. Mais, imaginez : entre Odette qui veut de l’authentique, Bernard qui cache à peine sa déception en ouvrant le présent, leurs ados qui n’aiment que le fourbi qui se branche et ça, c’est que d’un côté de la famille !

Je vais donc vous dire ce qu’il va se passer : vous avez autant d’idées qu’un lendemain de cuite, vous allez partir dans une expédition digne d’Indiana Jones à essayer de fendre une foule au mieux hébétée, au pire excédée et enragée, à vous réjouir d’avoir mis la main sur la dernière clé USB pourrie, en forme de mammouth (ne me demandez pas pourquoi le mammouth), au prix de votre intégrité physique et mentale.

Eh bien ce cadeau vaut pour toute la famille ! Au pire, Bernard fera un bœuf mironton sauvant ainsi son couple et les mioches apprendront où déguster le meilleur kébab de la capitale.

Bref, vous vous en sortez à bon compte et faites plaisir à tout le monde avec un cadeau qui en jette.

C’est un livre multiple

  • Livre de cuisine. Avec des recettes emblématiques de Paris et y’en a pour tous les goûts. Vous connaissez, vous, les petits pois à la française ? La talmouse de Saint-Denis ? Les huit potages de Paris ? Et le vrai œuf mayo, la chouquette, on en prend plein les mirettes et on salive.
  • Livre d’histoire. Entre l’origine des us et coutumes culinaires, des plats emblématiques, du p’tit noir, des préférences de nos présidents, des chefs qui ont fait date… C’est toute l’histoire de Paris qui défile.
  • Livre de géographie. N’en déplaise aux provinciaux qui traitent le parisien de tête de veau, ce sont eux qui ont fait la renommée culinaire de la capitale. Entre les savoyards, les bougnats, les bretons, les alsaciens et j’en passe. C’est toute la France qu’on retrouve à Paris et même le monde !
  • Livre people. Vous découvrirez les secrets et les addictions des plus grands, Gainsbourg, Colette, Sagan, etc. Les établissements les plus hypes avec leurs stars, leur prix littéraire ou leur mur de célébrités.
  • Livre sociologique, d’architecture, culturel.

Bref, vous l’aurez compris, c’est un livre coup de cœur, une déclaration d’amour à Paris, une ode à la gastronomie, à la bouffe, à la tambouille, à l’ordinaire, à la popote.

Bon appétit et bonnes fêtes à tous !

LA MÉTAMORPHOSE de Franz Kakfka

Quand fifille fait des prescriptions lecture

Fifille N°2 a passé 6 mois à Prague. Elle en est revenue pleine de découvertes, de nouveaux amis et avec des livres de Kafka.

Persuadée que je connaissais, elle me demande mon avis. Ah ah ah. Non. Jamais lu. Hormis que son œuvre a donné naissance à l’adjectif kafkaïen, ça s’arrête là.

Et v’là-t’y pas qu’elle se met à me le conseiller. Non mais où va-t-on ? Ben, dans sa chambre, on lui pique le livre et on lit !

Le pitch

Je passerai très vite dessus tant il est connu.

Prague (enfin, je suppose), début du siècle. Gregor Samsa est un voyageur de commerce. Il habite chez ses parents, avec sa sœur. C’est le soutien de famille. Suite à la faillite de son père, il est chargé de rembourser ses dettes et de maintenir le niveau de vie familial.

Un matin, alors qu’il doit prendre un train très tôt pour son travail, il n’arrive pas à s’extraire de son lit. Il s’est transformé en un énorme cancrelat. Inquiète, sa famille toque à sa porte. Que faire ?

Faire simple, c’est ce qu’il y a de plus compliqué

C’est un roman court ou une longue nouvelle, 120 pages. Ça se lit vite, c’est simple, pas un ouvrage majeur au premier abord, je me demande pourquoi tout le monde en fait un foin pareil. Et pourtant ! C’est fulgurant et je n’arrête pas d’y penser.

Cette métamorphose qui semble pour le moins grotesque, permet en réalité de couvrir de multiples sujets : l’individu, la famille, la société. On atteint une réflexion quasi philosophique sur la vie.

Pourquoi choisir de transformer son héros en pire bestiole de la création ? Un cafard, un bousier, qui rampe, qui se cache, qui inspire le dégoût, qu’on écrase.

En réalité, c’est d’une intelligence pure. Au travers de cette simple et hideuse métamorphose, Kafka va pouvoir :

  • traduire le dégoût de soi, de sa vie, des autres,
  • provoquer les réactions les plus extrêmes. Il plante sa transformation, sans justifications, sans explications, sans jugements… et attend. Il n’a plus qu’à laisser venir et observer les réactions (monstrueuses, forcément monstrueuses) qui, à elles seules vont constituer une critique cruelle et définitive de la société.

Tout y passe : le travail et son aliénation, la famille et ses relations toxiques, la société, ses convenances et son hypocrisie.

Gregor est le soutien de famille à la place du père qui a failli. Les parents, la sœur, tous lui sont redevables jusqu’à finir inconsciemment par le détester. Quant à lui, il est tout entier à la tâche qu’on lui a assignée, jusqu’à s’oublier. Il n’y a pas d’issue dans une famille et une société sclérosées par les convenances et la respectabilité. Si, il y a une issue, la seule qu’il trouve : se désigner coupable d’une faute qu’il n’a pas commise, pour s’en libérer et en libérer les autres.

Ce livre est magnifique, une bombe à retardement qui vous obsède bien après l’avoir refermé. Et savez-vous à quoi j’ai pensé ?

D’abord, que ce livre pourrait être un outil formidable de réflexion et d’idées pour les coachs en développement personnel (oui Kafka va se retourner dans sa tombe en lisant ça 🤣).

Enfin, à l’écrivain Alexandre Vialatte (voir chronique ICI) qui a traduit les œuvres de Kafka en français et a permis la diffusion de son génie (ouais, carrément).

Bonne lecture à tous !

ENOLA HOLMES 1 & 2 réalisés par Harry Bradbeer

La magie de Noël a de l’avance.

Vous vous souvenez du week-end dernier ?

Chez vous, je ne sais pas mais à Paris, c’était grisaille, froid, pluie. Seule solution pour survivre : faire le sapin. S’avachir sur le canapé. Se recouvrir d’un plaid. Boire un chocolat chaud. Mater un truc divertissant mais alors TRÈS TRÈS TRÈS divertissant.

Où trouve-t-on le plus grand choix de choses divertissantes à mater ? Ben sur une plateforme et chez nous, c’est Netflix.

On laisse faire les filles vu que ce sont des professionnelles dans la recherche de trucs très très très divertissants.

Après quelques tâtonnements (plus elles grandissent, plus elles perdent la main 😤), elles s’arrêtent sur « Enola Holmes ». Encéphalogramme plat de ma part, je ne fais même pas le lien avec Sherlock. Je soupire intérieurement (suffisamment fort pour que ça se voit à l’extérieur). Génial. Encore une histoire d’ado, alors que je sors tout juste de cette période (pas moi, mes filles 🤪).

Vu qu’elles ne bougent pas de leur choix, autant que je m’y fasse, on va regarder ça. Donc je zieute de plus près.

ENOLA HOLMES ???? La petite sœur de Sherlock Holmes ? Ah non mais ça change tout !

On s’oriente vers un tiercé gagnant !

En troisième position, on applaudit la persévérance du canasson « Kostum ».

Eh oui, j’ai une vraie appétence pour les films d’époque. Attention, pas toutes les époques. Un film sur le moyen-âge, la préhistoire ou la bataille d’Alésia par exemple, faudrait vraiment que j’ai une grosse envie de toucher le fond. Mais le XIXème 😍, que l’histoire soit du côté des riches ou des miséreux, je prends tout : livres, films, documentaires.

En deuxième position, on retrouve une valeur sûre, j’ai nommé « Liberty« .

Car mon dada, c’est l’Angleterre période Victorienne. Je pourrais faire une indigestion de services à thé, scones, petits sandwichs au concombre, humour British, et autres Devon, tellement ça me rend dingue.

Enfin, on fait un triomphe à « Sherlock » qui a fait une superbe course.

J’ai été biberonnée à Agatha Christie et Arsène Lupin. Autant vous dire que j’en ai mangés des romans policiers, des enquêtes et énigmes de tous poils.

« Enola Holmes » rassemble donc ces trois ingrédients. Oh dear ! I’m so exciting 🤩 !

Des livres, deux films et un procès qui n’aura pas lieu.

Enola est donc la petite sœur de Sherlock et de Mycroft. Élevée par sa mère, elle reçoit une éducation aux antipodes des normes de l’époque, en tous cas pour une fille. Elle apprend à réfléchir, à se défendre, s’intéresse aux sciences et à la nature. Mais le jour de son 16ème anniversaire, sa mère disparaît. Mineure, elle va devoir composer avec ses deux frères et mener l’enquête.

C’est divertissant, rythmé, intelligent et pittoresque à souhait. Elona est une jeune fille sagace (mon dieu qu’elle est sagace), malicieuse, gaie, un chouïa rebelle, bref très attachiante comme le déclament beaucoup (trop) de tee-shirts.

Saupoudrez le tout d’une bonne dose de féminisme, de luttes sociales, d’humour et d’un style cinématographique pop et actuel (mise en scène et effets dynamiques, cuts, 4ème mur) et vous obtenez deux films diablement chouettes. Et quel casting ! Que du beau monde !

J’apprends que ces deux films sont tirés d’une série de romans policiers à succès de Nancy Springer, regroupés sous le titre « Les enquêtes d’Enola Holmes ». Jusqu’ici tout va bien. Enfin, tout va bien, jusqu’à ce que Netflix s’empare de ce phénomène littéraire jeunesse. Là, on passe dans une autre dimension, les choses deviennent sérieuses, on parle de Netflix, sacrebleu. Les ayants droit de Sir Arthur Conan Doyle veulent leur part du gâteau. Souci, le personnage cocaïnomane et sociopathe de Sherlock Holmes est dans le domaine public. Comment faire ? Ben au calme, on va argumenter que grand-tonton Arthur, sur la fin de sa vie, a doté Sherlock de traits de caractère plus gentils, plus empathiques, plus sensibles. Que ce qu’il a écrit en fin de vie n’est pas encore dans le domaine public donc zou, que la version bonnasse de Sherlock n’est pas encore dans le domaine public. Et qu’attendu que Nancy Springer et Netflix exploitent un Sherlock sympathique, ils vont devoir payer. CQFD. L’argumentation semble un peu perchée du point de vue du droit. Quoi qu’il en soit, les enjeux sont trop grands et pour être tranquille, Netflix préfère un arrangement avec les héritiers.

Ce qui nous permet de profiter de deux films « Enola Holmes » en toute décontraction et avec un chocolat chaud.

Ah ! J’oubliais ! Si vous aimez bien l’époque victorienne et le XIXème siècle, je vous conseille le blog de Lise Antunes Simoes. Je viens de le découvrir et il y a des pépites : https://www.liseantunessimoes.com

ENJOY !

LES ANNÉES de Annie Ernaux

Ça va pas être la chronique la plus rigolote, mais quel livre !

Moi qui suis encline à la nostalgie et la mélancolie, WoW, j’ai été servie. Ça m’a bien mise à l’envers.

Je ne sais même pas par où commencer.

Par le début, peut-être.

Ce livre embrasse les années de 1941 jusqu’à 2006. Sa vie.

Elle part de photos d’elle prises à différentes époques, en noir et blanc, puis en couleurs. À partir de ces archives qu’elle décrit minutieusement – le lieu, la pose, les habits, le sourire ou l’absence de sourire – elle égrène ses souvenirs, entre dans l’intime puis dans l’époque. Comme les ondulations de l’eau quand on fait un ricochet, le prisme s’amplifie.

À quoi pensait cette petite fille, cette adolescente, cette femme ? Quels étaient ses rêves, sa vie, son état d’esprit. Où était-elle ? Comment vivaient les gens ? Elle nous parle de la grande histoire et de la petite. Son récit sociologique réussit à nous embarquer. Les élections qui apportent leur lot d’espoir et de désillusions, les avancées, les reculs, les révoltes, les faits divers qui ont secoué ces années-là, les publicités, les films. Tout y passe, la reconstruction de la France d’après-guerre, les hypermarchés, les autoroutes, la société de consommation, mai 68, Jean-Claude Killy, le mange-disques.

Elle évite la narration auto-centrée en utilisant la troisième personne du singulier. À la fois pour prendre de la distance avec ses souvenirs, ne pas laisser l’affect prendre le dessus et pour qu’on puisse s’approprier le livre. Avec des mots simples, justes, qui disent le passé, le temps qui passe et les disparus.

Il y a peu de ponctuations, les souvenirs affluent, fusent tels des diables sortant de leur boîte. Il faut que ça sorte.

Contrairement aux autres livres que j’ai lus d’elle, c’est une structure horizontale. Il n’est pas construit autour d’un thème principal : la condition de la femme ou le transfuge de classe. Tout est évoqué qui peut permettre de restituer l’époque. Les souvenirs sont à la fois prétexte et essence du livre.

C’est un véritable tour de force, écrire une autobiographie qu’elle s’astreint à rendre impersonnelle. C’est notre passé commun qu’elle ressuscite, notre mémoire collective.

Et c’est comme ça qu’on se retrouve à chialer.

A partir de la moitié du livre, je me souviens de tout, Ranucci, les brigades rouges, « À la pêche aux moules, moules, moules ». Je me revois dans la salle à manger de mes grand-parents, assise en tailleur sur le tapis, devant les informations. Je revois cette voiture, coffre ouvert où on a retrouvé le corps d’Aldo Moro.

J’essaie de plaisanter pour faire fuir les larmes : « C’est pas rassurant de me souvenir de la quasi-totalité de l’autobiographie d’une femme qui a 30 ans de plus que moi « .

Et pourtant j’y retourne, accro à cette mélancolie douce et sucrée qu’est le temps qui ne reviendra plus. J’y reviens à ce goût doux-amer, je m’y vautre même, avec complaisance. Ça fait mal mais c’est bon.

Puis, je me demande si ce livre parlerait à mes filles. Je ne sais pas s’il est accessible à tous, à toutes les générations, s’il est « universel » comme on dit. Il y a tellement de références temporelles.

Et le début 🤩, et la fin 🤩 !

C’est sobre, c’est brut, dépouillé, presque violent. Comme si elle nous l’imposait.

C’est Annie et son supplément d’âme, celui qui fait de ses livres une œuvre.

UNE CHAROGNE de Charles Baudelaire

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

CEUX QUI RESTENT de Jean Michelin

Qui est Jean Michelin ?

Un militaire et écrivain français. Ça claque non ?

Comment je l’ai connu ? Diantre, sur Twitter !

Il y raconte des trucs… à tendance militaire vu qu’il en est. Mais pas que. Il alterne les tweets drôles, intéressants, érudits et empreints d’humanité (et parfois les 4 à la fois).

Je suis comme beaucoup, pas particulièrement passionnée par l’armée mais reconnaissante quand elle intervient dans des zones-où-personne-n’a-envie-d’être-mais-faut-bien-que-quelqu’un-s’y-colle. Et puis la vie a fait que je fréquente régulièrement l’hopital militaire Percy. Forcément vous croisez des soldats, certains fringuants, certains abimés, et alors, le temps d’un instant, ça devient concret et ça vous saute à la gueule.

Je savais qu’il avait écrit un premier livre sur l’une de ses missions en Afghanistan. « Jonquille », du nom de sa compagnie. J’apprends qu’il sort son premier roman : « Ceux qui restent ».

Il écrit bien. En tous cas ses tweets. Ça peut paraître anecdotique, mais c’est un exercice difficile : réussir à intéresser et à créer du lien en 280 caractères.

Et puis, le mec sur la couverture du livre est beau comme un camion.

Zou ! C’est parti !

Ceux qui restent

Le caporal Lucien Guyader, alias Lulu, a disparu. Pas sur le front, non. Il est parti de chez lui. il s’est évaporé. Tout pointe une disparition volontaire. L’histoire devrait se terminer au bout de deux pages. S’il ne réapparaît pas, il sera déclaré déserteur et basta. Mais c’est sans compter sur ses camarades. Stéphane, son ex-chef qui a quitté l’armée pensant trouver enfin la paix de l’âme après une mission à l’issue tragique. Charlier, le tout nouveau qui le remplace et qu’a pas les codes. Marouane, le gars solide, un peu trop, qui alerte tout le monde. Et Romain qui ne sait pas trop ce qu’il fait là et à qui on donne des habits trop grands pour lui.

Ces quatre hommes vont partir à la recherche de Lulu.

Un thriller

C’est une véritable enquête qui commence. Une enquête qu’ils mènent seuls, au risque de tout perdre, leur famille, leur métier.

Pourquoi retrouver Lulu est-il si important ? C’est un frère d’armes ? Ok, mais y’en a un qui le connaissait même pas. Et les trois autres, qui pensaient si bien le connaître, à grand renfort de souvenirs et d’anecdotes. Parce que qu’est-ce qui peut être plus authentique que l’épreuve du feu ? Hein ? On se met à nu au service du groupe. Et bien, ils n’en finissent pas de le découvrir.

Alors pourquoi courir après un indice, même minime qui les mènera nulle part ? Pourquoi sauver Lulu ?

Peut-être pour se sauver eux-mêmes. Peut-être parce que Lulu, c’est eux. Parce qu’eux aussi un jour ça peut craquer et ils peuvent partir. Et inconsciemment je crois qu’ils aimeraient que quelqu’un les cherche. Pour que ce soit pas complètement fini, complètement foutu. Que quelqu’un s’obstine et patiemment les ramène à la vie. C’est peut-être aussi ce que leur apporte cette quête.

Plus on avance dans le récit, plus la narration devient intense. Entre fantômes et fêlures, les personnalités s’affinent, se délitent ou s’affirment.

Il écrit bien Jean, surtout les sentiments, les émotions. C’est un maelström qui vous aspire.

Je les envie en lisant le livre. J’envie leur silence, leur complicité, leurs engueulades, leur amitié sans effusion. J’envie l’intensité de leur vie.  

Et puis, il m’aura appris l’orthographe de l’expression « par acquit de conscience ». C’est pas rien ça 🤪.

Et les femmes dans tout ça ?

Elles sont là, à chaque page. Il nous livre un magnifique portrait de femmes de militaires. Sans apitoiement. Sans glorification. Avec justesse. Elles aussi elles combattent, tous les jours. Autant, si ce n’est plus qu’eux.

Et je repense à ce jeune militaire à Percy, qui, au hasard d’une pause clope, m’avait parlé de sa copine, parce que ça va pas être simple, elle va peut-être pas tenir, je sais pas ce que l’avenir nous réserve. Et moi, qui avais essayé de lui remonter le moral en mode « civil », en bonne mère de famille. Mais faut pas désespérer. Bien sûr que c’est pas simple. Mais y’a pas de raison si vous vous aimez. Quelle conne.

Jean est désormais dans ma bibliothèque et j’attends avec impatience le livre suivant.

LIV MARIA de Julia Kerninon

Chaud / Froid

Avant même d’ouvrir le livre, j’ai fait le grand huit.

D’abord ce titre « Liv Maria ». Magnifique. Un prénom de femme qui raconte une histoire à lui seul.

  • Liv, les pays du nord, le froid, les grands espaces, la mer et la rudesse.
  • Maria, le sud, la chaleur, la liberté, l’excès.

Un prénom à part qui exprime aussi la solitude. Partout chez soi et nulle part. Le titre nous invite. Allez viens, je t’emmène en voyage. Ce sera pas forcément un voyage d’agrément, il y aura de la houle mais ce sera beau.

Et puis cette phrase de présentation qui gâche tout : « Je suis mère, je suis menteuse, je suis une fugitive et je suis libre ». Vous commenciez à imaginer et on vous met un gros STOP. Ma fille, on va pas te laisser divaguer, tu vas suivre le cadre fixé. Mais arrêtez avec les phrases de présentation ! C’est censé donner envie mais ça caricature, ça agresse et ça ment sur la marchandise.

Mais quand même, ce prénom, ça vaut le coup de creuser

C’est parti !

Liv Maria est une enfant sauvage. Thure, son père, marin norvégien, a rencontré Mado, sa mère, qui tient le café d’une petite île bretonne. Mado est secrète, taiseuse. Thure est gai, il raconte les histoires comme un marin, c’est-à-dire bien et éveille sa fille aux livres. La vie est rude sur la petite île mais elle est belle. Jusqu’au jour où Liv Maria, adolescente, se fait agresser sexuellement. Sa mère l’éloigne du danger et l’envoie à Berlin chez sa tante. Elle va y tomber amoureuse, follement, passionnément, connaître la douleur de la rupture puis revenir dans son île lors du décès prématuré de ses parents. S’ensuit alors une fuite en avant à travers le monde. Après tout, logique pour une fille de marin. Le destin lui offrira un deuxième amour. Mais le destin est farceur et parfois cruel.

C’est plus une escapade qu’un voyage

C’est un portrait de femme, intense, peut-être trop. Finalement la phrase de présentation aurait dû m’alerter. Et c’est dommage car l’auteur est forte pour donner vie à des ambiances et des personnalités complexes. Avec une économie de mots, elle réussit à retranscrire des émotions, des sensations. C’est une écriture aride et juste. Tout est concentré et dense.

Malheureusement, Liv Maria a trop de vies différentes. En voulant montrer une femme libre et extrême, Julia Kerninon se perd dans des séquences anecdotiques et trop romanesques. Trop d’événements fondateurs qui diluent l’histoire au lieu de la nourrir. Tout ça en 161 pages, à marche forcée.

Ce livre a été pour moi comme un rendez-vous manqué mais un rendez-vous quand même car Julia a des choses à dire et elle les dit bien.

A suivre….

BLONDE de Joyce Carol Oates

Qui est Joyce Carol Oates ?

Une géante de la littérature américaine.

Le premier livre que j’ai lu d’elle c’était « La fille du fossoyeur ». Il y a 15 ans. D’où en avais-je entendu parler ? Mystère et boule de gomme !

Ça raconte une famille juive allemande qui fuit le nazisme et échoue à côté de New-York. Le père, professeur en Allemagne, n’obtient qu’un poste de gardien de cimetière. Il va sombrer, entraînant sa famille avec lui. Trop de déclassement, d’affronts, de frustrations et de ressentiments. Sa fille réussira-t-elle à s’extirper de ce qui tourne à l’atavisme ?

Je suis entrée dans un monde et une écriture. L’Amérique des oubliés qui côtoient le rêve américain sans jamais le toucher ou alors trop peu. Ces travailleurs de première ligne qui permettent à l’Amérique de briller mais eux restent dans le noir, dans le sale. La noirceur des âmes aussi. Cette violence qu’il y a en chacun de nous et qui peut prendre des formes inattendues.

Car, quel que soit le sujet abordé, le point commun de ses livres c’est la violence : la violence intérieure, subie, reproduite, canalisée ou dépassée.

Lire Joyce, c’est entrer dans un shaker. Chaque phrase prise séparément est « normale », précise, réaliste, juste, mais « normale ». Mises bout à bout, cela donne un ouragan qui dévaste tout et vous conduit au chaos. Vous sortez de là rincé, épuisé mais envoûté.

BLONDE, le livre

Ce livre n’échappe pas à cette violence.

Pour éviter tout malentendu, il s’agit d’une autobiographie fictive de Marylin.

Bien sûr, elle part de sa vraie vie : son enfance, ses films, ses maris, son statut de sex symbol. Mais elle l’imagine sous l’angle de sa psyché. Elle imagine ses luttes intérieures. Lutte sociale pour s’extirper de son milieu et atteindre ses rêves, lutte affective pour étancher sa soif d’amour et enfin lutte contre l’énorme malentendu entre son statut de sex symbol et qui elle est vraiment. Parce que, putain, Marylin lutte.

Plus Norma Jean a du succès, plus il lui est difficile de rentrer dans la peau de Marylin. Elle en devient l’otage. De Norma Jean, elle passe à Marylin, puis à La Blonde. Toujours plus déshumanisée, toujours plus objet, toujours moins elle.

Et l’écriture de Joyce restitue ce combat pour finir à la limite de l’écriture automatique, saccadée presque sans logique ou, au contraire, en suivant une logique ultime.

Tout a été écrit sur Marylin. Tout, sauf ça.

BLONDE, le film sur Netflix

J’appréhendais de le voir. Je pensais impossible d’adapter un tel livre.

La lecture de certaines critiques m’a confortée dans cette hésitation ! Violent. Insoutenable. Outrancier. Précieux. Brutal. Répétitif. Abus d’effets artistiques grossiers. En plus, le film est interdit aux moins de 18 ans.

WOW !!! Ça va donner quoi ?

Insoutenable, non. Outrancier, non. Répétitif, non.

Violent ? Oui. Le film est violent car le livre dont il s’inspire est violent.

Réussi ? Oui. Oui. Oui. Trois fois oui. J’ai adoré. Le réalisateur, Andrew Dominik, réussit à retranscrire l’esprit du livre. Pas parfaitement, pas entièrement mais à ce stade c’est un exploit.

Et l’actrice ? On en parle de Ana de Armas ? Non, on n’en parle pas. On la regarde, on la contemple, on l’admire. Elle est tellement époustouflante que les mots manquent (en tous cas à moi 😍).

1110 pages, 2H46 minutes. On ne compte pas quand on aime.

LE PINGOUIN d’Andreï Kourkov

Ce livre est une surprise

Je dirais même une belle surprise made in Airbnb. Cet été, j’ai eu la chance de profiter d’une maison normande avec une bibliothèque incroyable, des livres partout jusque dans la cuisine ! Un mélange de classiques, de romans contemporains français et étrangers qui témoignaient d’une grande curiosité et de goûts très éclectiques avec une légère prédilection pour la littérature russe (ou en tout cas des pays de l’Est). Le plus dur était de faire un choix et de réussir à lire ma sélection en une semaine.

Je parcourais l’ensemble et éprouvais l’axiome « trop de choix tue le choix ». Bon sang, ma fille, concentre-toi ! Je m’arrêtais sur une tranche, enfin plutôt le titre d’une tranche : « Le Pingouin », livre publié en 1996. Et là, j’ai découvert le pitch le plus what the fuck jamais lu. Je m’en vais vous le narrer.

Le pitch

Ça se passe à Kiev, dans l’Ukraine post-soviétique. Victor, écrivain, journaliste, fauché et solitaire, a adopté un pingouin, histoire de combler sa solitude. Pas facile d’adopter un pingouin, ni commun. Mais le zoo de Kiev, n’ayant plus les moyens de nourir ses pensionnaires, a proposé à l’adoption les plus inoffensifs. Victor a choisi Micha, le pingouin.

Sauf que Micha ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Il bouffe du hareng à longueur de journée et le hareng, ça coûte cher. C’est alors que Victor tombe sur une petite annonce des plus étranges. Un grand journal cherche quelqu’un capable d’écrire des nécrologies originales.

Victor a besoin de harengs donc, zou ! Il postule sans grand espoir. Et il est pris !

Au début, il choisit lui-même les personnalités sur lesquelles il souhaite écrire : grands noms du spectacle, des médias, de la politique et des affaires. Puis petit à petit, le rédacteur en chef qui l’a pris sous son aile, lui distille quelques noms.

Tout se passe bien, ses chroniques répondent en tous points aux exigences de ses employeurs. Problème : personne ne meurt. Victor désespère d’être publié un jour.

Ça ne va pas durer longtemps. Les élus de ses nécrologies se mettent à tomber comme des mouches et parfois, il faut bien le dire, dans des accidents bêtes, mais bêtes (un peu comme en ce moment chez les oligarques russes, voyez).

Féroce et tendre

Le sujet est original, le livre se lit facilement. On s’immisce dans le quotidien des quidams dans les pays de l’est.

Victor est semblable à l’image que je me fais de ces peuples qui subissent soit la dictature soit la corruption (ou les deux). Ces hommes qui vivent dans l’absence de l’État, des lois et où l’ordre est régi par les plus forts. On ne se rebelle pas, on courbe juste l’échine pour passer sous les radars et vivre le plus en paix possible même si c’est chichement, même s’il y a des injustices. Et Victor y excelle. Il prend ce qu’il y a à prendre et, s’il se pose beaucoup de questions dont il devine aisément les réponses, il semble s’en accommoder. Mais attention à l’eau qui dort.

C’est un livre masculin avec beaucoup d’hommes. Les femmes sont soit des souvenirs soit des présences éthérées, pourvoyeuses de douceur à laquelle les hommes s’accrochent désespérément.

C’est surprenant de partir d’un sujet aussi incongru et de décrire aussi finement la société. C’est parfois drôle (certains enterrements valent le détour), parfois émouvant, parfois mélancolique, toujours pittoresque. Et beaucoup plus profond que le laisse penser le résumé.

Une phrase décrit très bien la sensation étrange éprouvée : « Tout semblait familier mais ce n’était qu’une impression ».

Et Micha dans tout ça ? Il est omniprésent, double de Victor et témoin silencieux.

Laissez-vous séduire par « Le Pingouin ». J’espère que vous aimerez autant que moi.

CHIEN 51 de Laurent Gaudé

Laurent se met au polar !

Ah mais j’accours ! On m’appelle la reine des lectrices du polar (non, pas du tout, c’est moi qui viens de m’autoproclamer 🤪). Mais c’est vrai que j’adore les polars.

Enfant, je passais tous les étés avec mes grands-parents en Normandie. Il y avait plein de livres, dont beaucoup d’Agatha Christie. Ça a été mes premiers livres « de grands », après le « Club des Cinq » et autres « Langelot ». C’était une vieille maison qui grinçait de partout. Autant vous dire que les serrures 3 points n’existaient pas chez eux, ni les volets d’ailleurs. Avec ou sans clés, on pouvait y entrer comme dans un moulin. Ma chambre était la première en montant les escaliers. Bref, en cas d’intrusion, j’aurais été la première à me faire trucider. Je flippais déjà naturellement à cette idée. Dans un saladier de bruits non identifiés, ajoutez une pincée de lecture d’Agatha Christie et vous obtenez une gamine traumatisée à vie.

Pas rancunière pour deux sous, ça reste mes meilleurs souvenirs de lecture et, depuis, les romans policiers sont des valeurs sûres pour moi.

Un polar d’anticipation ? Pas de problème, Laurent ! Je suis curieuse de nature et un bon polar reste un bon polar.

Le résumé

Ruinée, la Grèce a été achetée par une multinationale, GoldTex. Comme dans tout rachat, on garde le meilleur, le plus productif, le plus compétent et on se débarasse des déchets qui ne rapporteront rien et coûteront trop. Cut.

Trente ans après ce rachat, les jeunes n’ont rien connu d’autre et rêvent de réussite selon GoldTex, tandis que les vieux sont déjà un peu morts à l’intérieur et survivent.

C’est alors qu’un crime a lieu, suffisamment sordide pour mobiliser un duo de policiers qui ne devaient jamais se rencontrer. Zem Sparak, un homme fatigué, taiseux, enfermé dans sa souffrance, sa Grèce natale et son passé. Face à lui, Salia, jeune et ambitieuse.

Envoûtant !

L’ambiance est plus que noire. Poisseuse, sale, ça vous colle et ne vous lâche plus. Même les rares espaces ensoleillés n’apportent aucune lumière au récit. Ils sont couverts de cette crasse du simple fait qu’elle existe.

Ce roman est à la fois classique et original.

  • Classique, car on pense à « Bienvenue à Gattaca », « Soleil vert ». Des références qui ont déjà été exploitées.
  • Original par son point de départ (le rachat d’un pays par une entreprise) et la construction. Cette enquête, comme le point final d’une histoire encore individuelle qui résiste et doit disparaître. Seule la narration collective de GoldTex a sa place.

On se rend compte que détruire un individu, c’est simple. Il suffit de l’amener à trahir ou de le persuader qu’il a trahit. Il ne faut pas le briser entièrement, non, juste suffisament pour qu’il survive et obéisse. En agitant devant lui un misérable espoir. Car ne nous ne sommes que ça, des tourmentés qui cherchent la rédemption.

C’est palpitant, hypnotique et angoissant. Comme toute dystopie, il suffirait de pas grand-chose pour que ça se produise. Et puis le monde de GoldTex est déjà là, sous nos yeux. Pas besoin d’aller chercher très loin pour le reconnaître.

Je n’avais jamais lu de romans de Laurent Gaudé. Je suis contente d’avoir commencé par ce livre. Je vous le conseille.

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