LE MAGE DU KREMLIN de Giuliano da Empoli

En voilà un titre et un nom d’auteur qui en jettent !

« Un ouvrage indispensable pour comprendre ce qui se joue en Russie », « Un roman passionnant qui se dévore », « Un livre nécessaire qui vous éclairera sur l’âme russe ».

Les critiques sont bonnes et vu que je m’y connais autant en âme russe qu’en point de croix, ce livre est pour moi !

Et, Giuliano da Empoli, quel nom !!! Rien que de le prononcer à voix haute, je me mets à parler avec les mains et j’ai envie de manger des pâtes.

Tour à tour journaliste, conseiller politique pour l’Italie et la Suisse, il a écrit plusieurs essais. Ce livre est son premier roman. Bref, une tête bien pleine.

Le Mage du Kremlin ou la formidable ascension d’un petit-fils de paysan

Ce mage, c’est Vadim Baranov, un russe au parcours éclectique, qui a vécu l’effondrement de son pays et vu la corruption prospérer sur les cendres de l’ex-URSS. Désormais, elle était accessible à tous. Un monde sans lois où tout était possible pour qui avait un maximum d’ambition et un minimum de principes. De metteur en scène underground, il devient producteur de télé-réalité mainstream pour terminer comme éminence grise de Poutine. Mystérieux, invisible, il est nulle part et partout. Chaque décision de Poutine est susceptible d’être la sienne. Jusqu’au jour où il disparaît des écrans radar. Disgrâce ou choix ? Qu’importe ! La légende n’en devient que plus forte. Puis, une nuit, il va se confier au narrateur et tout lui raconter.

Analyse en trois points

Le thème : il est passionnant. Moi qui adore l’actualité et essaie (vainement, je vous rassure) de capter les enjeux géopolitiques du monde, ce sujet est parfait. On y croise des gens qui existent dans la vraie vie : Poutine, Gorbatchev, Clinton. Vous avez l’impression d’être en terrain connu, au coeur du pouvoir, et surtout de pénétrer dans ses coulisses, là où se forgent les décisions et les trahisons.

La forme : ça se lit d’une traite. C’est fluide, accessible et la narration vous happe. Une sorte de thriller politique. En Russie, même la politique est romanesque. Pas besoin de beaucoup forcer, ce pays a toujours pondu des personnages à la fois dantesques et truculents.

Le fond : eh bien je m’interroge encore, plus d’un mois après l’avoir lu. Est-ce un très bon roman doublé d’un cours magistral de géopolitique ou juste un très bon roman ? Je vais essayer de m’expliquer. Ce livre nous donne l’impression de comprendre la Russie, les russes et leur rapport au monde. Mais ce n’est peut-être qu’un leurre. Il nous dit ce qu’on veut entendre. Si je caricature :

  • les russes ne connaissent rien d’autre que la souffrance et les privations. C’est à la fois leur étendard et leur supériorité face à un occident imbu de lui-même et paralysé par le confort. Deux mondes qui ne jouent pas dans la même cour et n’ont pas les mêmes aspirations. Ça nous rassure, on a l’impression de mieux appréhender et maîtriser une situation incontrôlable. 
  • Et surtout, une question me taraude après la lecture de ce roman. L’auteur nous livre-t-il un enchaînement implacable qui ne peut qu’aboutir à la situation actuelle ? Ou est-il parti de la situation actuelle pour en déduire son raisonnement ? Comme si on avait déjà le résultat d’un problème de maths, voyez ? Ce qui n’est pas du tout pareil et peut remettre en cause la justesse de son analyse (oui, me prendre la tête, ma passion).

Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’est l’âme russe, elle conserve tout son mystère et c’est très bien comme ça. Ce roman est très bon et je vous le conseille. Cherry sur la pavlova, il figure dans la première sélection du Goncourt.

MALEVIL de Robert Merle

Robert Merle, Robert Merle 🤔

Un poète ? Un vieux poète ? Grabataire ? Mort ? Bon sang, je ne sais rien de lui, je le connais de nom mais après, c’est le vide intersidéral. Forcément, on me l’a conseillé, je ne pense pas à Robert Merle le matin en me rasant.

« Si, si, c’est vraiment bien, je suis sûre que tu aimeras », « Malevil a marqué mon adolescence ». Diantre ! Carrément ? En voilà une personne audacieuse et qui ne manque pas d’air.

On va déjà le googleliser pour voir sa tête. Robert. On me propose Roberto Alagna, Robert Palmer, Robert Mitchum. Manifestement, y’a pas que moi qui suis passée à côté.

Je l’ai ! J’apprends qu’il est né en Algérie en 1908 et mort en 2004 dans les Yvelines. Ça ne m’avance pas beaucoup. En revanche, coup de tonnerre, c’est lui qui a écrit « La mort est mon métier ». Saperlipopette, j’ai déjà lu du Robert Merle. J’apprends que son premier roman est « Week-end à Zuydcoote » qui a obtenu le prix Goncourt dans la foulée et une adaptation cinématographique 15 ans plus tard avec Jean-Paul Belmondo.

C’est de l’excellent pedigree, je me laisse donc convaincre. Zou pour « Malevil » !

Ça commence comme du Pagnol….

Emmanuel, le narrateur raconte sa vie dans la France des campagnes. Il dit sa région et ses habitants hauts en couleur. Ça fleure bon le terroir, les champs, le pâté de campagne et la vie simple ; pas forcément plus heureuse mais plus simple en apparence. La narration est fluide et maîtrisée. Le language est multiple, châtié, patoisé. C’est drôle, émouvant, époustouflant. C’est vif comme un animal sauvage, gouleyant comme un bon vin.

L’Événement

Emmanuel nous parle de sa vie et de ses bornes c’est-à-dire les étapes clés qui l’ont jalonnée. Il y en a 7. Jusqu’à l’Événement. Au stade où j’en suis je me dis que l’Événement est un accident de voiture qui l’a laissé paralysé ou la découverte qu’il est le fils caché du chatelain du coin ou encore qu’il a un oncle en Amériques qui, en mourant, lui lègue toute sa fortune. AhAhAh, que nenni ! Putain, l’Événement ! Mais l’Événement bon sang ! Heureusement que je n’ai pas googlelisé le livre avant, ça m’aurait volé le choc et l’incrédulité que j’ai ressentis.

A partir de l’Événement, un deuxième livre commence.

Oubliez tout ce que vous savez, on change de paradigme. Exit ce quotidien rural, rassurant, éternel. Sans changer de lieu, on se découvre perdus, vulnérables et terriblement imparfaits.

Momo

Emmanuel n’est pas seul. Il y a La Menou, Peyssou, Meyssonnier, Miette, Colin, La Falvine et Thomas, pour ne citer qu’eux.

Et il y a Momo. Momo, c’est le fils de La Menou. Un grand costaud de 49 ans, simple d’esprit, que sa mère protège, couve et rabroue.

Momo c’est mon coup de ❤️. Il m’a fait rire et pleurer. Il s’exprime difficilement, déteste se laver. Je le voyais, sous mes yeux, en train de courir se cacher quand sa mère l’appelait pour la douche. Et quel couple avec sa mère ! Ils ont été tous les deux mes plus grands fous rires de l’été.

 Je ne peux pas vous en dire plus. Lisez-le, mais sans vous renseigner sur internet avant, sans lire le résumé. Soyez vierge de toute cette histoire et laissez-vous porter. Que c’est beau un livre singulier qui vous saisit comme ça.

Je finirai avec Momo et une de ses fameuses phrases : « Mé bouémalabé oneieu emebalo ».

A vous de trouver sa traduction !

LE JEUNE HOMME de Annie Ernaux

Vous ai-je déjà dit que j’aime Annie ?

Et pourtant. Elle raconte une autre époque, un autre milieu social.

Et pourtant. Elle me parle tellement. Des rêves, ceux qu’on a façonnés pour nous, des rêves tellement universels qu’on a cru que c’était les nôtres. De notre comportement, la bonne élève, à tout bien respecter. Même l’impertinence, c’est la dose tolérée, pas plus. Une façon de faire son chemin, d’acheter sa tranquillité, surtout. On finit par y croire jusqu’au jour où on les reconnait plus, ces rêves. On se sent perdue. Au mieux, un malentendu, au pire, une imposture. J’ai aussi l’impression qu’elle me dit ce que ma mère ne s’est jamais autorisée à me raconter et que je ne lui ai jamais demandé.

Mais pourquoi « Le jeune homme » ?

Elle raconte son aventure avec un homme de 30 ans de moins qu’elle, il y a plus de 30 ans. Pourquoi cette nouvelle ? Qui est abrupte, lapidaire, sèche presque évidente. Trop évidente. Annie c’est le quotidien, des choses qui vous paraissent insignifiantes et qui finissent par créer un ensemble, une vérité, par raconter l’histoire des Femmes. Annie, c’est le temps long. Et là, tout est trop court. 37 pages. 37 PAGES ! Mais merde, c’est pas Annie, 37 pages !

Et l’éditeur qui en rajoute une couche : « Ce texte est une clé pour lire l’œuvre d’Annie Ernaux — son rapport au temps et à l’écriture. »

Je lis le livre en une heure et encore, je savoure, mâche, me dis que ça va avoir du goût, que ça va piquer. Je reste avec le livre en main. En colère. Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse de ce truc ? Une clé pour son oeuvre ? Ben j’ai pas la serrure.

Je le pose, le mets dans un coin, l’oublie, passe à autre chose.

Ça ne peut pas se terminer comme ça

Inconsciemment ça me travaille. Je me surprends à y réfléchir et de plus en plus. Pourquoi a-t-elle eu besoin de raconter cette aventure ?

  • « Ecrire, ça justifie une vie ».
  • « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont seulement été vécues ».

Pourquoi devait-elle justifier ou mettre un terme à cette aventure ?

Elle dit que cette aventure a été le déclencheur pour écrire « L’événement ». Besoin de se replonger dans sa jeunesse pour trouver la force d’en écrire le dernier chapitre ? De la revivre par procuration ; lieux, classe sociale, vigueur, provocation ?

Finalement ce livre, aussi court soit-il, n’est peut-être pas aussi anecdotique que ça. Ce jeune homme ne se réduit ni à un prétexte ni à une passade ni à une provocation. Il est tout ça mais pas seulement ça.

Alors oui, c’est court. Mais après tout, quel meilleur format qu’une nouvelle pour écrire une aventure ?

Je ne sais pas quoi en penser, toujours est-il qu’il continue de me trotter dans la tête.

LA NEIGE de Marina Tsvétaïéva / Le ciel brûle Extrait

Poème écrit en français en 1923

Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre

Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave…

Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !

Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.

Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.

L’ANOMALIE de Hervé le Tellier

Tout ça, c’est la faute de Pascale !

« Pour redémarrer facile, fonce sur ce bouquin. Tu vas voir, aucune pression, que du bonheur, tu vas le lire d’une traite ». Elle savait que depuis un an je ne lisais plus rien, elle savait que la reprise allait être dure et qu’il fallait me conseiller quelque chose de facile. En toute décontraction, elle me recommande un Goncourt. Mais bien sûr Pascale ! T’as pas pensé à la Pléiade, aussi ? Histoire de m’achever ? Bref, j’en viens à penser que les confinements successifs l’ont complètement ravagée. Si jeune, c’est triste. Et puis, je me dis pourquoi pas ?

Bureau des idées reçues, bonjour !

Enfin quand même, j’hésite ! C’est un Goncourt ! Et les Goncourts, on sait tous comment c’est. Chiant ! Enfin, presque tous. D’abord, c’est quoi la recette de ce prix ?

Dans une jatte, dans une jatte plate 🎼🎼🎼, versez les ingrédients suivants :

  • un obscur auteur dont personne n’a jamais entendu parler (moi en tous cas). Genre chercheur universitaire, pas tout jeune, qui a souffert (très important ça, d’avoir souffert), le cheveu long et gras, une chemise à carreaux et une élocution que personne ne comprend (serais-je en train de décrire Houellebecq 🙀 ?),
  • Un sujet bien sérieux et surtout pas mainstream (quelle vulgarité). Le genre de sujet dont tout le monde se fout, genre l’impact de la mondialisation dans le développement des communautés vaudoues vu du prisme d’un petit village de Haute-Saône (je rappelle que ce paragraphe concerne les idées reçues, hein ?!).
  • Un style littéraire qui te fait passer pour un demeuré total, avec un dico qui t’accompagne jusqu’à la fin du livre, si tant est que tu l’atteins.

Si on m’avait dit un jour de ne pas spoiler un Goncourt !

J’achète donc le livre. Je voyage léger, je sais juste que L’Anomalie a eu un succès phénoménal (vendu à plus d’1 million d’exemplaires, en deuxième position derrière L’Amant de Marguerite Duras). Je sais aussi que son sujet fait écho à ce que nous vivions lors de sa sortie, en pleine pandémie : une situation extraordinaire.

Je l’ai lu d’une traite.

Qu’est-ce que je peux vous dire sur ce livre sans spoiler ? Ben, rien. 

Je peux juste vous dire qu’il va se passer quelque chose lors d’un vol Paris-New-York en mars 2021. Pour le reste, je vais continuer dans la recette de cuisine, mais après les ingrédients, voici les proportions :

  • 1/3 de roman choral
    • vous savez, ces romans où il y a plein de personnages différents, qui ne se connaissent pas, n’ont apparemment rien en commun et pourtant, au final, quelque chose les lie. 
    • Bon courage si vous avez la mémoire d’un poulpe parce que vous allez devoir en retenir une bonne douzaine (et ils ont de la famille 🤪).
  • 1/3 de science-fiction
    • ou d’anticipation ? Parce que vu ce qu’on voit en ce moment, je suis prête à tout.
    • ou de cyberpunk ? Parce que ça décrit un futur contemporain, avec quand même pas mal d’anti-héros désabusés, et, finalement, ça me conforte dans l’idée que moins on en sait, mieux on se porte.
    • ou d’uchronie ? Avec comme point de départ, des turbulences en avion 😈.
  • 1/3 de thriller
    • Bon sang, je n’ai pas décroché. Comment Hervé va-t-il réussir à terminer ça ? Quelles précautions prendre lors de mon prochain voyage en avion ? Peut-on aller à New-York en train, je préfèrerais autant ? Les théories scientifiques évoquées existent-elles réellement (oui, j’en suis là 😫).

C’est prenant, c’est drôle et c’est déstabilisant. L’histoire se déroule de nos jours, vous y croisez des lieux, des notions, des personnages connus (Macron, Trump et plein d’autres). Et quelque chose arrive à des gens comme vous et moi. Quelque chose de tellement hors norme que tout est convoqué : la science, la politique, le religieux, la philosophie. En ce sens, ça m’a fait penser au Grand Secret de Barjavel.

Je ne peux que vous le conseiller à mon tour. Merci Pascale 😘

BROADWAY de Fabrice Caro

Ladies and gentlemen, Mister Fabrice Caro 🥳

J’ai découvert Fabrice Caro il y a deux ans à l’occasion de la sortie de son deuxième roman, « Le Discours ». J’ai rarement autant ri à la lecture d’un livre. Attention, je ne parle pas d’un rire discret, élégant, qu’on réussit à maîtriser, à doser, qui signifie « Oh oh oh, Dieu que ce livre est gai ». Non. Je parle d’un rire qui fuse, exubérant, incontrôlable, rabelaisien, qui signifie « Bordel, faut que je réussisse à reprendre mon souffle ». Vous l’aurez compris, avec Fabrice, on ne sourit pas, on se dilate la rate, on se fend la poire, on s’en paye une bonne tranche. Ça a été un tel coup de foudre que j’ai voulu en savoir plus. Je le croyais romancier, c’est avant tout un auteur de bande dessinée. J’ai découvert son univers, son style et surtout son acuité et son talent pour nous croquer mieux que personne. Il sort un nouveau roman : « Broadway ».

Si ça s’appelle Broadway, c’est qu’il y a une raison

Il y a des titres d’ouvrages qui n’apportent pas grand chose. Celui-ci donne toute la mesure du livre. 

C’est la vie quotidienne transposée à Broadway. Nos angoisses, nos ennuis, nos renoncements deviennent le centre d’une comédie musicale pleine de paillettes, de rythme et de légèreté. Ça danse, ça fuse, ça jaillit. Quoiqu’il arrive, the show must go on !

Le pitch ? On va faire sobre. Un homme marié, père de famille, reçoit un courrier pour le dépistage du cancer colorectal. Chose normale à partir de 50 ans… sauf qu’il en a 46. C’est à partir de là que tout déraille.

Son sens du rythme et ses portraits de losers prennent le relais. Ses perdants sont tellement magnifiques qu’on en viendrait à les envier. Si seulement la vie pouvait être un livre de Fabrice Caro, les derniers seraient les premiers et moi, la reine du monde ! Les coaches en lose fleuriraient, on voudrait tous être maladroits, ridicules et un peu lâches.

J’adore sa façon de saisir les travers de notre époque entre humour et absurdité, entre tendresse et causticité.

Dans sa construction, ce livre s’apparente plus à une BD qu’à un roman. Je l’ai trouvé moins mélodieux que « Le Discours », qui était plus resserré autour d’une intrigue.

Mais Fabrice reste une sacrée valeur sûre, je vous le conseille. La période est suffisamment sinistre pour ne pas se priver de se taper le cul par terre !

LA FEMME GELÉE de Annie Ernaux

Annie Ernaux, la discrète.

Je ne suis attentive à son nom que depuis quelques mois 😱. Au début, son évocation glissait sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard. De la même façon que je suis capable de juger sur les apparences, je peux juger un prénom et un nom, de façon totalement subjective. Et la sentence était tombée, comme une condamnation, sans défense possible : je l’avais remisée dans la catégorie « Intérêt limité ». Je la lirai un jour, plutôt à ce moment-là.

À partir de cet instant et comme pour me signifier mon erreur, je n’arrêtais pas de la croiser : tel article la mentionnait, tel écrivain la citait, tel philosophe l’invoquait.

Nom d’un petit pois ! En pestant contre moi-même, je lui accordais une ascension fulgurante et la plaçais dans la catégorie « À lire d’urgence ». J’achetais deux livres : « La femme gelée » et « La place ».

C’est quoi, une femme gelée ?

C’est une petite fille qui grandit en province dans les années 50. Milieu modeste mais heureux. Pas de grandes théories d’éducation, juste des valeurs et de la liberté. Pas de différence « filles-garçons », pas encore. La petite fille pousse comme un herbe folle, encouragée à lire et à étudier par sa mère. Son père fait la cuisine, sa mère fait les comptes, et elle-même est un garçon manqué. Et alors ? Elle imagine sa vie d’être humain : un futur de découvertes et de voyages, avec pour seules limites celles qu’elle se fixera. L’adolescence va se charger de lui faire comprendre qu’avant d’être un être humain, elle est d’abord une femme en devenir. Les filles ne doivent pas se mélanger aux garçons, chacun ses rôles, chacun ses codes. Mais qu’importe, elle n’est pas genre à se décourager. Les études seront son salut !

Sauf qu’il est plus facile de s’extraire de sa condition sociale que de sa condition de femme. Elle va l’apprendre à ses dépens. Le déterminisme, c’est pas fait pour les chiens !

Le triomphe du quotidien.

C’est ce qui me semble définir le mieux, à la fois l’histoire et le style d’Annie Ernaux.

L’écriture d’Annie est simple, visuelle, pulsée. Des petits riens, ténus, tendres, délicats, bruts, drôles, cruels. Et ces petits riens mis bout à bout, ça fait une vie, une condition, un statut. Sans emphase, avec dépouillement, banal. C’est comme les comptines qu’on chante quand on est enfant, c’est simple, rassurant, joyeux… on en oublie presque qu’elles sont toutes cruelles.

Ses parents m’ont rappelé les miens, son adolescence m’a rappelé la mienne. C’est la force de l’auteure : au travers une histoire unique, la sienne, raconter une histoire universelle.

C’est une impression bizarre que vous laisse ce livre, ou plutôt une multitude d’impressions : douce nostalgie, joie simple, espoir, et amertume de voir cette femme si vivante s’étioler dans les conventions, l’air de rien, tout doucement, imperceptiblement.

J’ai beaucoup aimé ce livre. J’aimerais que mes filles le lisent, il est tellement beau et plus efficace que bien des grands discours et de belles phrases sur le féminisme.

LA PENDULE De Raymond Queneau

Sous ce physique de banquier austère se cache l’un des poètes français les plus fous et les plus talentueux !

Je mbaladais sulles boulevards 
Lorsque jrencontre lami 
Bidard 
Il avait lair si estomaqué 
Que jlui ai dmandé dsesspliquer

Eh bien voilà me dit-il 
Jviens davaler ma pendule 
Alors jvais chez lchirurgien 
Car jai une peupeur de chien 
Que ça mtombe dans les vestibules

Un mois après jrevois mon copain 
Il avait lair tout skia dplus rupin 
Alors je suis été ltrouver 
Et jlavons sommé dsesspliquer

Eh bien voilà me dit-il

Jgagne ma vie avec ma pendule J’ai su lestomac un petit cadran Je vends lheure à tous les passants En attendant qujai Icadran sulles vestibules

A la fin ltype issuissuida Lossquil eut vu qupersonne lopéra Et comme jarrivais juste sul chantier Moi je lui ai demandé qui vienne sesspliquer

Eh bien voilà me dit-il

Jen avais assez davoir une pendule Ça mempèchait ddormir la nuit Pour la remonter fallait mfaire un trou dans ldos
Jpréfère être pendu qupendule

Lorsquil fut mort jvais à son enterrement Cétnit 
Imatin ça mennuyait bien Mais lorsqui fut dans 
Itrou ah skon rigola Quand au fond dla bière le septième coup dmidi tinta

Eh bien voilà voilà voilà Il avait avalé une pendule Ça narrive pas à tous les chrétiens Même à ceux quont un estomm de chien Et du cœur dans les vestibules


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