CHIEN 51 de Laurent Gaudé

Laurent se met au polar !

Ah mais j’accours ! On m’appelle la reine des lectrices du polar (non, pas du tout, c’est moi qui viens de m’autoproclamer 🤪). Mais c’est vrai que j’adore les polars.

Enfant, je passais tous les étés avec mes grands-parents en Normandie. Il y avait plein de livres, dont beaucoup d’Agatha Christie. Ça a été mes premiers livres « de grands », après le « Club des Cinq » et autres « Langelot ». C’était une vieille maison qui grinçait de partout. Autant vous dire que les serrures 3 points n’existaient pas chez eux, ni les volets d’ailleurs. Avec ou sans clés, on pouvait y entrer comme dans un moulin. Ma chambre était la première en montant les escaliers. Bref, en cas d’intrusion, j’aurais été la première à me faire trucider. Je flippais déjà naturellement à cette idée. Dans un saladier de bruits non identifiés, ajoutez une pincée de lecture d’Agatha Christie et vous obtenez une gamine traumatisée à vie.

Pas rancunière pour deux sous, ça reste mes meilleurs souvenirs de lecture et, depuis, les romans policiers sont des valeurs sûres pour moi.

Un polar d’anticipation ? Pas de problème, Laurent ! Je suis curieuse de nature et un bon polar reste un bon polar.

Le résumé

Ruinée, la Grèce a été achetée par une multinationale, GoldTex. Comme dans tout rachat, on garde le meilleur, le plus productif, le plus compétent et on se débarasse des déchets qui ne rapporteront rien et coûteront trop. Cut.

Trente ans après ce rachat, les jeunes n’ont rien connu d’autre et rêvent de réussite selon GoldTex, tandis que les vieux sont déjà un peu morts à l’intérieur et survivent.

C’est alors qu’un crime a lieu, suffisamment sordide pour mobiliser un duo de policiers qui ne devaient jamais se rencontrer. Zem Sparak, un homme fatigué, taiseux, enfermé dans sa souffrance, sa Grèce natale et son passé. Face à lui, Salia, jeune et ambitieuse.

Envoûtant !

L’ambiance est plus que noire. Poisseuse, sale, ça vous colle et ne vous lâche plus. Même les rares espaces ensoleillés n’apportent aucune lumière au récit. Ils sont couverts de cette crasse du simple fait qu’elle existe.

Ce roman est à la fois classique et original.

  • Classique, car on pense à « Bienvenue à Gattaca », « Soleil vert ». Des références qui ont déjà été exploitées.
  • Original par son point de départ (le rachat d’un pays par une entreprise) et la construction. Cette enquête, comme le point final d’une histoire encore individuelle qui résiste et doit disparaître. Seule la narration collective de GoldTex a sa place.

On se rend compte que détruire un individu, c’est simple. Il suffit de l’amener à trahir ou de le persuader qu’il a trahit. Il ne faut pas le briser entièrement, non, juste suffisament pour qu’il survive et obéisse. En agitant devant lui un misérable espoir. Car ne nous ne sommes que ça, des tourmentés qui cherchent la rédemption.

C’est palpitant, hypnotique et angoissant. Comme toute dystopie, il suffirait de pas grand-chose pour que ça se produise. Et puis le monde de GoldTex est déjà là, sous nos yeux. Pas besoin d’aller chercher très loin pour le reconnaître.

Je n’avais jamais lu de romans de Laurent Gaudé. Je suis contente d’avoir commencé par ce livre. Je vous le conseille.

LE CONSENTEMENT de Vanessa Springora

Ce que le livre dit d’elle.

Certains livres concourent à changer la société, Le Consentement en fait partie. Je viens de le refermer. C’est un choc. Je ne peux que vous conseiller de le lire. D’abord, parce qu’il est très bien écrit. Même si louer le style littéraire, dans ce cas précis, peut sembler dérisoire. Ensuite, le récit est fort, d’autant plus qu’il est autobiographique et qu’on le lit avec ses yeux à elle. Il se déploie simplement sans effet grandiloquent. Vanessa Springora reste au plus près de son histoire, de son ressenti avec courage, pudeur et honnêteté.

J’ai ressenti une multitude d’émotions à sa lecture. Des émotions contradictoires, qui se sont transformées à mesure de la prise de conscience et de l’évolution de l’adolescente. Pour moi, l’histoire a commencé l’air de rien. C’est tellement simple et tellement fluide. Une collégienne en manque de père qui est séduite par un homme qui pourrait l’être. Il est cultivé, drôle, brille en société, manie le verbe et la plume. Comment cette gamine pouvait y échapper, elle qui cherche la reconnaissance dans tous les regards masculins et qui se réfugie dans les livres ? Il a 50 ans, elle en a 14. Il est écrivain, elle est collégienne. Elle s’appelle Vanessa, elle le nommera GM. Elle s’engouffre dans ce qu’elle prend pour un amour absolu avec son lot de passion, de désir, le tout magnifié par le charisme et le raffinement de cet homme. Ce n’est pas une situation normale, bien sûr, mais tout est évident, presque limpide.

Puis, imperceptiblement, le récit glisse, le malaise prend corps. Elle prend conscience que quelque chose cloche. La différence d’âge, bien sûr, mais pas seulement. Elle se sent prisonnière, doute de l’authenticité, prend conscience de la manipulation qu’il exerce sur elle. Commence alors sa descente aux enfers. Son récit est digne, elle ne tombe jamais dans la violence, la vengeance aveugle. Au contraire, elle décortique, analyse froidement tous les mécanismes du piège jusqu’à son propre consentement. Elle dit les souffrances endurées, le dégoût de soi, la confiance impossible envers les adultes. Ce livre dit son courage et sa reconstruction.

Ce que le livre dit de nous.

J’ai hésité à le lire. Sa sortie a provoqué un tel tsunami. Personne n’y échappe, tout le monde en parle, chacun se doit de réagir. Donner un avis, donner des leçons ou présenter des excuses : peu importe, mais il faut en être et si possible, du bon côté, avec la meute. Ce livre impose une juste et nécessaire réflexion. Mais je suis dubitative face à l’hypocrisie qu’il provoque, comme si on voulait du sang avant de vouloir la justice. Une épuration. Je reste persuadée que ce n’est pas à nous, le peuple (terme dont tout le monde se prévaut pour avoir raison mais qui s’apparente plutôt à une entité monstrueuse), ni aux réseaux sociaux de juger un homme. Seule la justice le peut. Il est passé entre ses gouttes ? Sa pénitence sera de finir sa vie dans l’indignité, acculé par ce livre. La vieillesse, cette ultime période de la vie, où l’on dresse le bilan, où l’on s’évertue à rendre la plus honorable possible la trace laissée, cette vieillesse sera son chemin de croix. Ce qui s’abat sur lui n’est sûrement pas mesurable aux malheurs qu’il aura dispensés tout au long de son existence. Mais, quoi de pire qu’une déchéance publique pour un homme dont l’égo est aussi fort ? Lui qui rêvait d’une reconnaissance littéraire, il restera comme un vulgaire criminel, certes machiavélique mais criminel tout de même et de la pire espèce.

Les réactions à ce livre sont à la fois saines : l’indicible qui était admis ne l’est plus. Et malsaines. Tout le monde s’indigne, s’excuse à postériori. On essaie de refaire l’histoire.

On cherche aussi des complices. Pivot l’a invité ? Pivot au bûcher ! Il a reçu le prix Renaudot en 2013 ? Qui était membre du jury ? Zou ! Sur Google pour leur demander des comptes ! On distribue les bons et les mauvais points derrière nos écrans. Tellement facile de s’acheter une conscience ! C’est la faute du milieu littéraire germanopratin ! Peut-être, sûrement. Mais GM a participé à des émissions de télé. J’aimerais savoir si beaucoup de spectateurs se sont offusqués après son passage. Et la justice ? Tout était public. Elle n’y a rien trouvé à redire. Cela veut dire qu’il n’y avait que des salauds à cette époque ? Ça en fait beaucoup tout de même !

Ce livre ne dit pas des choses glorieuses sur la société. Une société qui a laissé faire et qui essaie de se rattraper pitoyablement 30 ans après en brassant du vent. Car ce n’est pas en supprimant une allocation vieillesse, ou que sais-je, à GM, qu’on le punira et surtout qu’on luttera contre les abus sexuels faits aux mineurs. Pourquoi ne pas les rendre imprescriptibles ? Seul moyen que certains criminels, comme lui, soient jugés par la justice des hommes… et non par les hommes.

1984 de George Orwell

A ce niveau-là ce n’est plus une lacune, c’est la faille de San Andreas !

B5010003-36A6-4D28-9918-485DEFF365B9

Non seulement tout le monde a lu ce classique dans mon entourage mais en plus, depuis des années, j’utilise une référence du livre sans le savoir.

Et ça se prétend bibliothécaire 😱😱😱 !

Tout a commencé quand j’ai vu Fifille N°3 le lire pendant les vacances, être captivée et me dire « tu devrais le lire, c’est trop bien ». Maintenant ce sont mes mioches qui font les critiques littéraires 😤. Je râle mais leurs conseils valent de l’or 😍.

Ensuite, j’en ai parlé autour de moi. « Mais tu l’as lu, toi ? 1984 ? ». Et là, florilège de «bien sûr que je l’ai lu, mais houlala, je ne m’en souviens plus trop bien, c’était en français en classe de troisième ou de seconde». J’avais envie de hurler « mais que foutait ma prof de français, bordel ?!!! ». Moi, à cette époque, je me tapais Balzac, Maupassant and Co. Non pas que ce ne soit pas bien, mais s’il y a un écrivain auquel je suis totalement hermétique, c’est bien Balzac, quant à Maupassant, il me donne envie de me tirer une balle !

Et invariablement de continuer « Quoi !!? Tu ne l’as JAMAIS lu ? Mais c’est une référence, faut ABSOLUMENT que tu le lises ! Tu sais de quoi ça parle quand même ??? ».

Evidemment ! J’en ai entendu parler 😤😤😤 !

D’ailleurs ce livre revient sur le devant de la scène régulièrement en fonction de l’actualité. Les américains se sont jetés dessus suite à l’affaire Snowden, puis il a été en rupture de stock après l’élection de Donald Trump, et l’adaptation de LA SERVANTE ÉCARLATE (autre dystopie prophétique) en série TV a été l’occasion d’en reparler.

Je savais que c’était un roman d‘anticipation, une dystopie (j’aime bien répéter ce mot car ça fait seulement un an que je le connais 😂), écrite fin des années 40 par un britannique qui a également écrit LA FERME DES ANIMAUX (que je n’ai pas lu non plus d’ailleurs).

Étant un chouïa vexée (c’est quand même moi la bibliothécaire, c ‘est moi qui ai un blog, merde !), j’embarque le livre de Fifille.

Big Brother is watching you !

Le choc ! Cette phrase, mondialement connue, que je répète à toutes les sauces, vient de là ! J’ai l’impression de rattraper des années de retard.

Passée la surprise, je dévore le livre.

Londres, 1984. Une jolie petite dictature surveille tout le monde. Plus de liberté d’expression, plus de liberté du tout. Tout le monde soupçonne tout le monde, les enfants sont encouragés à dénoncer leurs parents. Charmant, vous dis-je.

Il y a même un ministère de la Vérité chargé de modifier les archives au gré des versions officielles du Parti.

Forcément, il va y avoir un grain de sable dans la machine, ce grain de sable c’est le héros, Winston Smith. Travaillant au ministère de la Vérité, il est bien placé pour connaître toutes les manipulations du régime… de là à rentrer en dissidence, il n’y a qu’un pas.

Quel visionnaire ce George !

Que ce soit son analyse sur les sociétés, les classes sociales, la surveillance, la manipulation de l’information, TOUT est bluffant.

Alors, visionnaire ou pas ?

Bon, en même temps, niveau dictature, il avait largement de quoi s’inspirer. Le 20e siècle a quand même accouché du nazisme et du stalinisme.

On sait aussi que tous les régimes autoritaires obeïssent aux même règles pour asseoir leur pouvoir : rétention et manipulation de l’information, parti unique, propagande, désignation d’un ennemi, réduction de la liberté au profit de la sécurité etc.

Mais quand même, Georges est très fort.

Il rend le contexte de son histoire suffisamment intemporel pour être actuel.

Sa description des rouages, froide, mécanique, est tellement précise que vous vous projetez immédiatement.

Mais surtout, la vision qu’il donne du travail et du langage est saisissante.

Et comment ne pas faire le parallèle entre son récit sur la manipulation de l’information et les fake news ?
D’ailleurs pour terminer sur une note bien flippante, Courrier International a sorti récemment tout un dossier complet sur le sujet. Grâce aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle, on pourra bientôt manipuler photos et informations de façon indétectable. Et tout ceci est confirmé par un rapport officiel d’une cellule du ministère des Affaires Etrangères. Vous imaginez les risques de déstabilisation et de chaos ?

Pour vous quitter sur quelque chose de plus positif, saviez-vous que David Bowie s’était inspiré de 1984 pour son album Diamond Dogs ?

C980A401-EDBC-495F-8145-94E91E01A6DB

N’hésitez pas à vérifier ces informations… des fois que je vous manipule 😜

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑