INTERVIEW DE MICHÈLE FITOUSSI pour la sortie de son dernier livre LA FAMILLE DE PANTIN

La famille de Pantin est le dernier livre de la journaliste et écrivaine, Michèle Fitoussi.

C’est un livre multiple et universel. En retournant sur les traces de ses origines, elle raconte la famille, la transmission, l’exil, l’histoire des Juifs de Tunisie et le nécessaire besoin de savoir de quoi on est fait. En faisant rejaillir tout un passé, son récit résonne en chacun de nous.

Après l’avoir lu, j’ai eu envie d’en savoir plus. Michèle a accepté de répondre à mes questions sur la génèse de son livre. Je la remercie de s’être livrée avec sincérité et générosité.

Apparemment, ce n’est pas votre premier essai. Vous aviez déjà essayé d’écrire sur vos origines. Pourquoi cela ne s’est pas fait ?

J’ai écrit un roman il y a une trentaine d’années sur la Tunisie des années 20 à 50. J’avais interrogé ma grand-mère, mon oncle, une grand-tante, ma mère aussi je crois et compulsé des tonnes d’archives. J’avais même travaillé à la bibliothèque nationale de Tunis, située dans la Medina, au souk El Attarine, celui des Parfumeurs, elle a changé  d’adresse depuis, et lu des tas de journaux. À l’époque, ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui, il n’y avait pas internet ni tous ces sites consacrés aux Juifs de Tunisie, ni même une littérature importante sur le sujet. Les publications ont commencé dans les années quatre-vingt-dix. 

Ce livre venait après deux gros best-sellers, Le Ras le Bol des Super Women et Lettre à mon fils, qui m’avaient fait connaître. Mais mon éditeur d’alors ne l’a pas aimé et, dépitée, je l’ai rangé dans un fichier de mon ordinateur. Toute cette histoire me trottait cependant  dans la tête, j’y pensais souvent. Surtout quand on allait en famille au cimetière de Pantin et que se déroulait cette première scène qui ouvre le livre et qui me faisait sourire intérieurement.

Et puis un jour je me suis dis qu’il fallait que j’y retourne et c’était sans doute le bon moment. Entre temps, j’avais perdu la moitié du roman, oublié tout ce que j’avais lu, il me restait des notes même pas triées, je repartais quasiment de zéro…

Que vous a apporté l’écriture de ce livre de plus que le voyage en Tunisie ?

 Une déconstruction puis une reconstruction de mes souvenirs, de mon identité, de mes idées, de mes croyances. Une mise au point personnelle. Un voyage intérieur. Et des pièces d’un puzzle qui s’assemblent enfin.

Est-ce que ce livre a été difficile à écrire ? Ça a été une souffrance ? Un bonheur ? Facile ? Compliqué ?

Horriblement difficile. Je l’ai commencé véritablement en mars 2020, lors du premier confinement, sans réussir à écrire une ligne pendant des mois,  et d’une façon générale, j’ai eu un mal fou à l’écrire. J’ai énormément travaillé, coupé, recoupé, réécrit, suivi les conseils de mes éditeurs quand ils lisaient mes versions successives. J’étais très angoissée par l’idée de ne pas être à la hauteur de mon sujet. J’ai terminé avec un eczéma géant…

Avez-vous parlé de votre projet de livres à vos proches (enfants, tante Pim ) ou leur avez-vous fait lire une fois terminé ?

Oui bien sûr.

Comment ont-ils réagi ?

Mes deux  enfants, Léa et Hugo Domenach, m’avaient précédé en écrivant un livre sur leur famille paternelle, Les Murs Blancs , paru en 2021 aux éditions Grasset. Ils ont parfaitement compris ma démarche même si mon livre n’a que peu de rapport avec le leur. Mais dans les deux cas, c’est une histoire de transmission qui n’a pas été faite. Eux ont transmis et moi j’ai voulu leur transmettre… Tante Pim, oncle Pap, mon père, je les ai beaucoup interrogés. Je voulais le point de vue de ma famille, pas de celle des autres. J’ai interrogé mes grands cousins aussi. Mais personne n’a rien lu avant parution à part mes éditeurs, mon agente et mon compagnon. J’étais stressée à l’idée que ma famille n’aime pas, ou que certains m’en veuillent de m’être appropriée une histoire qui est aussi la leur, et ils ont tous adoré.

Aviez-vous conscience en l’écrivant qu’il était aussi « universel » ? Qu’il pouvait résonner avec l’histoire des gens, même s’ils ne sont ni juifs ni tunisiens ?

Je l’espérais, mais on ne sait jamais. Je me rends compte qu’il touche beaucoup de monde car les réactions sont assez  unanimes. Paloma Grossi, mon éditrice, m’a dit après avoir lu une ou deux versions : je ne suis ni Juive ni Tunisienne mais suis très touchée par ce texte. Ces mots m’ont fait comprendre que oui, ce livre s’adressait à tout le monde en réalité même si je l’ai d’abord chuchoté à moi-même.

Allez-vous retourner régulièrement en Tunisie ? En ressentez-vous le besoin ?

J’espère y présenter mon livre. Un ami éditeur là-bas voudrait en faire une version pour les Tunisiens, plus abordable. Ce n’est pas un pays qui me manque mais j’aime bien y aller. J’aime bien superposer mes souvenirs avec ce que j’en vois. Mais ma nostalgie tient plus du fantasme que de la réalité.

Que diriez-vous à l’adolescente que vous étiez et qui avait du mal à assumer ses origines ? 

Qu’il est bon d’empiler les strates. Que les identités multiples sont une richesse.

Que dirait l’adolescente à l’adulte que vous êtes devenue ?

Tu as réussi à atteindre tes rêves même si tous ne se sont pas réalisés.

Quand vous regardez votre parcours, personnel et professionnel, y-a-t-il des choses que vous expliquez mieux maintenant à la lumière de votre histoire, de vos origines ?

Oui sans doute. Il faut du temps pour se comprendre. Et quelques bonnes années d’introspection sur le divan.

Y’a t’il une phrase en particulier ou un passage qui est important pour vous et qui est la clé du livre ?

« Je suis une nostalgique de la nostalgie » . Et puis cette phrase d’Albert Memmi que j’ai mise en exergue : « On n’en a jamais fini avec son pays natal ».

Depuis la sortie du livre, avez-vous eu des retours inattendus, originaux ?

Oui, celui de Myriam Thibaut qui m’interrogeait la semaine dernière au cours d’une rencontre à la librairie de L’Instant. Elle a lu cinq ou six de mes livres à la file pour l’occasion puisque le thème de cette rencontre portait sur « Les coulisses de l’écriture » et elle m’a dit : «  Il y a un thème commun à tous vos livres. C’est l’exil ». Et effectivement, toutes mes héroïnes, Helena Rubinstein, Janet Flanner, Malika Oufkir, Loumia Hiridjee, sont des exilées. Comme moi. Comme ma famille. Ça m’a scotchée.

Quels sont vos livres préférés ?

Difficile de répondre… Je vous donne en vrac ce qui me vient à l’esprit : Vie et destin de Vassili Grossman, Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durell, Le lièvre aux yeux d’ambre de Edmund de Waal, Corps et Âmes de Frank Conroy, Le chapiteau vert de Ludmilla OulitskaÏa, Dernier été en ville de Gianfranco Galigarich, Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe, Une femme fuyant l’annonce de David Grossman, Une histoire d’amour et de ténèbres d’Amos Oz… C’est tellement peu exhaustif. Parce que je lis énormément en vérité et de tout. Ces livres correspondent surtout  à des moments de ma vie. Quand j’aime un livre j’en parle tout le temps, je suis mono maniaque. Jusqu’au suivant…

Le mot de la fin ?

En faut-il un ? Tout a déjà une fin…

LA FAMILLE DE PANTIN de Michèle Fitoussi

Un peu que je connais Michèle !

Je suis une fidèle lectrice de ELLE donc j’ai lu régulièrement ses éditoriaux et divers articles, vu sa photo qui les accompagnait. Bref, elle fait un peu partie de mes connaissances.

J’en ai l’image d’une femme de convictions, investie dans des causes (bon, lesquelles, j’en sais rien), cultivée et curieuse. Son écriture, quel que soit le sujet, fait mouche à chaque fois. Elle est précise, juste et authentique.

En revanche, je n’ai jamais lu ses romans.

Voilà d’où je partais.

J’apprends qu’elle sort un livre, La famille de Pantin. Elle y raconte ses origines, les siens et l’histoire des juifs en Tunisie.

Pourquoi ce livre plutôt qu’un autre ? Aucune idée mais il me fait envie.

Bon sang qu’elle est chouette la famille de Pantin !

Michèle va faire un voyage à rebours. Quand on convoque notre histoire, ce sont toujours les morts qui imposent la trajectoire. Les êtres chers qu’elle a aimés vont la guider. Leurs lieux d’inhumation d’abord, puis là où ils ont vécu. Pantin pour le cimetière, la Tunisie où tout a commencé pour elle.

Elle raconte sa famille. Les souvenirs affluent. Elle ne cherche ni à les retenir ni à les trier. Ça fuse et ça jaillit sous sa plume. C’est haut en couleurs, il y a des odeurs, de la chaleur, du caractère, des défauts, des valeurs et surtout de l’amour. Ça parle fort, on a l’impression de les entendre, de les voir. Les petites habitudes du quotidien, les victuailles dressées sur une table lors d’une fête. On est comme une petite souris à les regarder. À l’évocation d’un détail on fait le rapprochement avec nos disparus. La nostalgie nous prend mais c’est joyeux. Tant qu’on se souvient, les morts sont vivants.

C’est un véritable tour de force que Michèle accomplit : nous faire participer à son histoire intime et personnelle. Son écriture est généreuse, spontanée. Ça fait un bien fou. On en ressent une énergie et une force incroyable.

À travers la mémoire de sa famille, elle distille des informations factuelles, concrètes et au final c’est toute l’histoire des juifs en Tunisie qui apparaît en filigrane.

Quel bonheur et quelle bouffée d’amour que ce livre ! Il fait du bien à tout le monde : à Michèle de l’écrire et à nous de le lire.

Je terminerai cette chronique sur une réflexion plus pragmatique. L’auteure nous dit que de ses origines tunisiennes, elle a longtemps gardé une impulsivité, une émotion exacerbée et parfois même une agressivité. Bon sang de bonsoir que ça fait plaisir de lire ça. Moi qui avais l’image d’une femme parfaite, réfléchie, pondérée, calme et tout le tintouin… Mais give me five Michèle 😂

LES ANNÉES de Annie Ernaux

Ça va pas être la chronique la plus rigolote, mais quel livre !

Moi qui suis encline à la nostalgie et la mélancolie, WoW, j’ai été servie. Ça m’a bien mise à l’envers.

Je ne sais même pas par où commencer.

Par le début, peut-être.

Ce livre embrasse les années de 1941 jusqu’à 2006. Sa vie.

Elle part de photos d’elle prises à différentes époques, en noir et blanc, puis en couleurs. À partir de ces archives qu’elle décrit minutieusement – le lieu, la pose, les habits, le sourire ou l’absence de sourire – elle égrène ses souvenirs, entre dans l’intime puis dans l’époque. Comme les ondulations de l’eau quand on fait un ricochet, le prisme s’amplifie.

À quoi pensait cette petite fille, cette adolescente, cette femme ? Quels étaient ses rêves, sa vie, son état d’esprit. Où était-elle ? Comment vivaient les gens ? Elle nous parle de la grande histoire et de la petite. Son récit sociologique réussit à nous embarquer. Les élections qui apportent leur lot d’espoir et de désillusions, les avancées, les reculs, les révoltes, les faits divers qui ont secoué ces années-là, les publicités, les films. Tout y passe, la reconstruction de la France d’après-guerre, les hypermarchés, les autoroutes, la société de consommation, mai 68, Jean-Claude Killy, le mange-disques.

Elle évite la narration auto-centrée en utilisant la troisième personne du singulier. À la fois pour prendre de la distance avec ses souvenirs, ne pas laisser l’affect prendre le dessus et pour qu’on puisse s’approprier le livre. Avec des mots simples, justes, qui disent le passé, le temps qui passe et les disparus.

Il y a peu de ponctuations, les souvenirs affluent, fusent tels des diables sortant de leur boîte. Il faut que ça sorte.

Contrairement aux autres livres que j’ai lus d’elle, c’est une structure horizontale. Il n’est pas construit autour d’un thème principal : la condition de la femme ou le transfuge de classe. Tout est évoqué qui peut permettre de restituer l’époque. Les souvenirs sont à la fois prétexte et essence du livre.

C’est un véritable tour de force, écrire une autobiographie qu’elle s’astreint à rendre impersonnelle. C’est notre passé commun qu’elle ressuscite, notre mémoire collective.

Et c’est comme ça qu’on se retrouve à chialer.

A partir de la moitié du livre, je me souviens de tout, Ranucci, les brigades rouges, « À la pêche aux moules, moules, moules ». Je me revois dans la salle à manger de mes grand-parents, assise en tailleur sur le tapis, devant les informations. Je revois cette voiture, coffre ouvert où on a retrouvé le corps d’Aldo Moro.

J’essaie de plaisanter pour faire fuir les larmes : « C’est pas rassurant de me souvenir de la quasi-totalité de l’autobiographie d’une femme qui a 30 ans de plus que moi « .

Et pourtant j’y retourne, accro à cette mélancolie douce et sucrée qu’est le temps qui ne reviendra plus. J’y reviens à ce goût doux-amer, je m’y vautre même, avec complaisance. Ça fait mal mais c’est bon.

Puis, je me demande si ce livre parlerait à mes filles. Je ne sais pas s’il est accessible à tous, à toutes les générations, s’il est « universel » comme on dit. Il y a tellement de références temporelles.

Et le début 🤩, et la fin 🤩 !

C’est sobre, c’est brut, dépouillé, presque violent. Comme si elle nous l’imposait.

C’est Annie et son supplément d’âme, celui qui fait de ses livres une œuvre.

🤣 de Frédéric Beigbeder

L’éternel noceur…

Un dandy déjanté traversant la vie, une coupe de champagne à la main : voilà l’image que je me fais de Frédéric. Son fond de commerce est un parfait mélange de flegme, d’excès, d’arrogance et de talent. Beigbeder, c’est une valeur sûre : on sait qu’on va passer un bon moment, ça se lit facilement et vite, sans prise de tête. Le temps passe mais sa plume reste toujours aussi talentueuse et acérée. Il est divinement cynique, délicieusement cruel, il traverse les époques en en extrayant la substantifique moelle et pas dans ce qu’elles ont de meilleur. Il le sait, il les a vécues. Comme si, pour se livrer à une critique de notre société, l’observer ne lui suffisait pas : il doit s’y plonger, en expérimenter les excès, qu’il finit par condamner. J’en suis, j’en profite, j’en abuse… mais je ne suis pas dupe. En bon publicitaire qu’il a été, il vise toujours juste tant dans le fond que dans la forme. Percutant et efficace. Preuve en est le titre de son dernier livre : un emoji.

Comme en pub, l’important c’est d’y avoir pensé en premier…

Et, c’est Beigbeder qui l’a fait ! Pour la première fois, le titre d’un roman n’est pas constitué de mots mais d’une unique émoticône. « Les ennemis de l’intelligence auront gagné quand les romans auront pour titre ces petits visages à la symétrie stupide« . Comme pour signifier l’issue inexorable, c’est lui qui ouvre le bal. Tant qu’à aller dans le mur, autant y aller avec panache ! Les médias ne s’y trompent pas. Il squatte TV, radio et presse pour la promotion de son livre. C’est un excellent client, spirituel, acerbe et surtout malin comme un singe. Il anticipe parfaitement les critiques… en leur coupant l’herbe sous le pied. Il est méchant tout d’abord envers lui-même. Cela fait partie des avantages de l’auto-dérision : on s’en envoie d’abord plein la gueule, ne laissant que quelques miettes aux détracteurs et ensuite, on a une autoroute pour distribuer les bourre-pifs. Je le sais, je fonctionne comme ça. 

Haro sur les médias !

Après la pub, la mode… TADAM… Frédéric s’attaque donc aux médias, mètre étalon par excellence de la société. Et Dieu sait s’ils s’en prennent plein la figure en ce moment. Le timing est donc parfait. Ces médias, qui, à l’image de la société, tourneraient tout en dérision, à la recherche de la vanne ultime qui tue le game et si possible l’adversaire. Tout ne serait plus qu’humour et l’on vivrait tous dans un immense cirque, au milieu de battles de sarcasmes. Plus de réflexion, de profondeur ni d’humanité, seule subsisterait la tyrannie du rire.

Ça ne vous rappelle pas un film ? Une autre époque ? Ridicule, où une vie pouvait se retrouver brisée sur l’autel d’un bon mot.

Frédéric (ou Octave ?) raconte donc sa chute. Il retrace la soirée et la nuit précédant son éviction de France Inter.

J’ai beaucoup aimé ce livre. Il est brillant. Même si, plus la nuit avance, plus la narration devient foutraque, répétitive, jusqu’à cette fin qui fleure un peu trop la rédemption « bon teint ». J’aurais aimé qu’Octave (ou Frédéric ?) assume jusqu’au bout ce qu’il a été.

Je vous conseille de lire ce livre, il fait rire (sans tyrannie) et réfléchir… c’est déjà énorme.

UN BON PETIT DIABLE de la Comtesse de Ségur

Qu’est-ce que j’en ai mangé, des livres de la Comtesse de Ségur…

… mais celui qui m’a le plus marquée est, sans conteste, Un Bon Petit Diable.

D’abord, le livre en lui-même. C’était un ouvrage de la bibliothèque rose, usé d’avoir été lu et relu. Je m’imaginais ma mère et ses sœurs, enfants, se caler dans un coin tranquille pour le parcourir. L’idée de lire la même histoire, les mêmes phrases, les mêmes mots, de tourner les mêmes pages que ces femmes, qui avaient été des petites filles, me procurait un plaisir intense. Comme si je mettais mes pas dans les leurs, comme si ça pouvait me faire grandir subitement, comme si j’étais une petite souris ayant le pouvoir de regarder une scène définitivement disparue. Puis la couverture. Une gravure qui montrait une vieille marâtre à l’air cruel admonestant un jeune garçon aux cheveux roux comme le feu et en kilt (le genre d’image qui peut vous foutre une enfance en l’air ! 🥶). Enfin, le titre : un diable pouvait être bon !

Hormis le pitch – un jeune orphelin est recueilli par une vieille cousine lointaine (une vraie salope, oui 🤡) qui lui fait toutes les misères les plus cruelles possible – j’ai tout oublié. Sauf une seule scène qui est resté gravée dans ma mémoire, tellement l’illustration me terrifiait (je précise que j’avais sept ans et, oui, je suis ultra sensible et émotive ! C’est une fille qui pleure devant La Soupe aux Choux qui vous le dit 😩 ) : l’orphelin décide de se venger des multiples brimades subies. Sachant qu’il va recevoir une correction, il se colle un masque de diable sur les fesses. La vieille lui ordonne de se déculotter (pédophile, en plus) pour le fouetter et hurle de terreur à la vision de Satan sur son cul (petite nature 😏).

Chipie un jour, chipie toujours

J’ai toujours eu une tendresse particulière pour la Comtesse de Ségur, car elle représente mes premières fois.

Ma première méchante. Dans mes histoires pour enfants, il y avait toujours des méchants, mais ils étaient tellement caricaturés qu’ils en devenaient rassurants : ces méchants ne pouvaient pas exister dans la vraie vie. Ce livre changeait la donne pour la première fois. Le personnage de Madame Mac’Miche était tout à fait réaliste, loin du loup du Petit Chaperon Rouge ou du vilain sorcier dans Rahan (j’adooooorais Rahan 😍). C’était juste une vieille femme aigrie, avare, méchante et violente. Et ce « juste » faisait toute la différence et rendait son existence possible dans la réalité.

Ma première confrontation à la violence. Son écriture est très concrète et détaillée. Elle n’édulcore pas les scènes difficiles, de châtiments corporels, de brimades. On n’est pas juste face à une fessée un peu forte ou à une bataille contre un dragon. Elle parle de douleur, de cris, de marques, de souffrances infligées à un enfant.

Ma première révélation. Même si son discours est empreint de morale et de charité chrétienne 😇, ses héros sont de vrais chenapans 😈 ! Les enfants sages comme une image n’y font que de la figuration. Elle sanctuarise l’enfance, son droit à l’insouciance, à la légèreté… et aux conneries ! J’avais enfin l’autorisation : c’était écrit noir sur blanc et par une Comtesse, en plus !!!

Mon plus grand échec (Pas mon premier… et pas mon dernier 😫). J’ai essayé de convaincre mes filles de lire ses livres. Tout y est passé : supplications, chantages, cris, châtiments corporels (mais oui, je déconne 🤪). Rien n’y a fait !

Mais je ne lâche JAMAIS l’affaire 😏 et même si elles sont censées avoir passé l’âge, je reviens régulièrement à la charge !


ADIEU POULET de Pierre Granier-Deferre

Vous le savez (mais si, vous le savez) que je vais vous parler des Dossiers de l’Écran !

Je suis un pur produit des années 70 !

J’ai porté des sous-pulls orange, des pantalons en velours pattes d’éph marron, des cagoules, j’ai gueulé à tue-tête Le Lundi au Soleil dans une 2 chevaux … et tous les mardis soirs, j’allais dormir chez mon pépé et ma mémé.

Et tous les mardi soirs, c’était le même cérémonial : après le repas, ils se calaient dans leur fauteuil, moi assise par terre entre les genoux de mon grand-père et on regardait, dans un silence quasi religieux, les informations d’Antenne 2, suivies des Dossiers de l’Écran (oui ! On était Antenne 2, certainement pas TF1, on avait le respect du service public dans la famille 😂). Autant vous dire que, concernant le prime, il n’y avait pas les avertissements pour public sensible et autres pastilles « -10 », « -14 », et j’en ai vu des scènes de meurtres et parfois de torture.

Sauf le sexe ! Ça, il faut avouer que ma famille était d’une rapidité déconcertante quand il fallait m’éloigner d’une scène de cul. Surtout qu’ils n’avaient pas la télécommande hein, fallait se lever pour changer de chaîne ! La misère !!! En revanche, totale tolérance pour la violence !

Comme tout le monde, la musique du générique me remplissait à la fois de terreur mais aussi d’une jubilation secrète : j’allais me coucher tard et regarder un programme pour les grands.

Pourquoi je vous parle de tout ça ?

Car, il y a quelques mois, Arte a diffusé Adieu Poulet. Et tout est remonté à ma mémoire, ce film étant typique des années 70 !

Un film avec Dewaere et Ventura, c’est plus une affiche, c’est un feu d’artifice !

BE620CFE-A071-41DB-9BBE-491BFF540AF7

Je m’assure donc que les mioches n’ont pas prévu une OPA sur la télé, je me cale (ou plutôt me vautre) sur le canapé et c’est parti !

L’immersion dans les 70’s commence dès le générique 😱😱😱 !

Une typo blanche d’outre-tombe, qui bave sur un fond orange. Une musique jazzy-mélancolique (que si tu fermes les yeux tu voies un flic, sous la pluie, sous un réverbère, dans une rue déserte, avec son col de pardessus remonté, le genre de flic qui est toujours seul contre tous).

Le film commence… et je gueule « Qui a touché aux réglages de la télé ??? ». Personne 😩😩😩. Eh oui, ce petit filtre bleu sur les images, c’est d’époque !

Mais quel bonheur de revoir Dewaere, son charme de sale gamin, à la fois sympathique et dérangeant, et Ventura, toujours bougon, incorruptible, du côté des petits, ceux qui ne possèdent rien mais qui tiennent à une seule chose : leur honneur.

Et me vient une bouffée de nostalgie, ma petite minute « c’était mieux avant », en pensant à tous ces films français que j’ai vu le mardi soir et où tout semblait simple : les gentils contre les méchants, les honnêtes contre les pourris, les courageux contre les lâches, les fragiles contre les forts. C’était pas forcément les meilleurs qui gagnaient mais, WHAOUUUU, les Michel Piccoli, les Romy Schneider, les Noiret, Fabian (Françoise pas Lara 😉), Rochefort, Jobert et tous les autres, qu’est-ce que ça avait de la gueule !

Et au milieu de tout ça, Dewaere, qui n’en revenait pas d’être là, qui dévorait chaque miette tellement c’était bon, comme s’il savait que ça ne durerait pas (je vous avais dit que c’était ma minute réac. J’ai prévenu, j’y ai droit !).

Bon, OK, mais c’est quoi le pitch ?

Je vais faire court, car beaucoup connaissent.

À Rouen, en pleine campagne électorale, un candidat de droite, Lardatte, défend l’ordre et la morale. Ses hommes de main attaquent des colleurs d’affiches du camp adverse (oui, à l’époque, il n’y en avait que deux : la droite et la gauche 😉). Deux morts. Le commissaire Verjeat et le jeune inspecteur Lefèvre, chargés de l’enquête, vont vite se heurter au monde politique.

Les dialogues sont savoureux (cette répartie ! “Verjeat ? Il est pas là Verjeat ! Il est à Montpellier Verjeat ! » 😍😍😍), les acteurs excellents, je m’habitue même au filtre bleu !

Je ne suis peut-être pas très objective (sûrement pas, d’ailleurs), mais c’était chouette de le revoir. Comme une madeleine de Proust, la découverte de ses vieux jouets dans une boîte oubliée. Un petit retour en arrière qui fait du bien et qui rend triste aussi. Une nostalgie douceâtre qui s’installe dès le film terminé et la télé éteinte.

Ça ne dure pas longtemps, Fifille N°2, gueulant, comme un cochon qu’on égorge, que quelqu’un est entré dans sa chambre, Népoux, furax que Fifille N°3 ait piqué son portable et Fifille n°1 ralant que, dans cette maison, y’a jamais rien à manger.

Alors, je pense à mon pépé et ma mémé, qui, là où ils sont, me regardent peut-être, moi et ma p’tite famille. Ils doivent sourire… et je leur souris aussi.

 

 

 

LA BOHÈME de Charles Aznavour

Je pourrais écouter cette chanson en boucle… et partir faire du macramé dans le Larzac 😂

BC00081D-1713-4BFC-9850-41966261F6E61201D7FB-56CE-4D37-9E22-86799187BE7B

Je vous parle d’un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître
Montmartre en ce temps-là
Accrochait ses lilas
Jusque sous nos fenêtres
Et si l’humble garni
Qui nous servait de nid
Ne payait pas de mine
C’est là qu’on s’est connu
Moi qui criait famine
Et toi qui posais nue
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On est heureux
La bohème, la bohème
Nous ne mangions qu’un jour sur deux
Dans les cafés voisins
Nous étions quelques-uns
Qui attendions la gloire
Et bien que miséreux
Avec le ventre creux
Nous ne cessions d’y croire
Et quand quelque bistro
Contre un bon repas chaud
Nous prenait une toile
Nous récitions des vers
Groupés autour du poêle
En oubliant l’hiver
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
Tu es jolie
La bohème, la bohème
Et nous avions tous du génie
Souvent il m’arrivait
Devant mon chevalet
De passer des nuits blanches
Retouchant le dessin
De la ligne d’un sein
du galbe d’une hanche
Et ce n’est qu’au matin
Qu’on s’asseyait enfin
Devant un café-crème
Épuisés mais ravis
Fallait-il que l’on s’aime
Et qu’on aime la vie
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On a vingt ans
La bohème, la bohème
Et nous vivions de l’air du temps
Quand au hasard des jours
Je m’en vais faire un tour
À mon ancienne adresse
Je ne reconnais plus
Ni les murs, ni les rues
Qui ont vu ma jeunesse
En haut d’un escalier
Je cherche l’atelier
Dont plus rien ne subsiste
Dans son nouveau décor
Montmartre semble triste
Et les lilas sont morts
La bohème, la bohème
On était jeunes
On était fous
La bohème, la bohème
Ça ne veut plus rien dire du tout

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑