CHATTERTON de George Sand (ou Alfred de Musset, mais il me plaît de mettre en avant George Sand)

La pièce de théâtre Chatterton d’Alfred de Vigny, s’étant faite descendre en bonne et due forme par les critiques, George Sand prit sa plume pour la défendre.

En réalité, ce poème serait d’Alfred de Musset qui l’aurait dicté à George Sand.

Tant pis pour Musset, cette semaine, j’ai envie de mettre George à l’honneur !

Quand vous aurez prouvé, messieurs du journalisme,
Que Chatterton eut tort de mourir ignoré,
Qu’au Théâtre-Français on l’a défiguré,
Quand vous aurez crié sept fois à l’athéisme,

Sept fois au contresens et sept fois au sophisme,
Vous n’aurez pas prouvé que je n’ai pas pleuré.
Et si mes pleurs ont tort devant le pédantisme,
Savez-vous, moucherons, ce que je vous dirai ?

Je vous dirai :  « Sachez que les larmes humaines
Ressemblent en grandeur aux flots de l’Océan ;
On n’en fait rien de bon en les analysant ;

Quand vous en puiseriez deux tonnes toutes pleines,
En les faisant sécher, vous n’en aurez demain
Qu’un méchant grain de sel dans le creux de la main ».

INTERVIEW DE MICHÈLE FITOUSSI pour la sortie de son dernier livre LA FAMILLE DE PANTIN

La famille de Pantin est le dernier livre de la journaliste et écrivaine, Michèle Fitoussi.

C’est un livre multiple et universel. En retournant sur les traces de ses origines, elle raconte la famille, la transmission, l’exil, l’histoire des Juifs de Tunisie et le nécessaire besoin de savoir de quoi on est fait. En faisant rejaillir tout un passé, son récit résonne en chacun de nous.

Après l’avoir lu, j’ai eu envie d’en savoir plus. Michèle a accepté de répondre à mes questions sur la génèse de son livre. Je la remercie de s’être livrée avec sincérité et générosité.

Apparemment, ce n’est pas votre premier essai. Vous aviez déjà essayé d’écrire sur vos origines. Pourquoi cela ne s’est pas fait ?

J’ai écrit un roman il y a une trentaine d’années sur la Tunisie des années 20 à 50. J’avais interrogé ma grand-mère, mon oncle, une grand-tante, ma mère aussi je crois et compulsé des tonnes d’archives. J’avais même travaillé à la bibliothèque nationale de Tunis, située dans la Medina, au souk El Attarine, celui des Parfumeurs, elle a changé  d’adresse depuis, et lu des tas de journaux. À l’époque, ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui, il n’y avait pas internet ni tous ces sites consacrés aux Juifs de Tunisie, ni même une littérature importante sur le sujet. Les publications ont commencé dans les années quatre-vingt-dix. 

Ce livre venait après deux gros best-sellers, Le Ras le Bol des Super Women et Lettre à mon fils, qui m’avaient fait connaître. Mais mon éditeur d’alors ne l’a pas aimé et, dépitée, je l’ai rangé dans un fichier de mon ordinateur. Toute cette histoire me trottait cependant  dans la tête, j’y pensais souvent. Surtout quand on allait en famille au cimetière de Pantin et que se déroulait cette première scène qui ouvre le livre et qui me faisait sourire intérieurement.

Et puis un jour je me suis dis qu’il fallait que j’y retourne et c’était sans doute le bon moment. Entre temps, j’avais perdu la moitié du roman, oublié tout ce que j’avais lu, il me restait des notes même pas triées, je repartais quasiment de zéro…

Que vous a apporté l’écriture de ce livre de plus que le voyage en Tunisie ?

 Une déconstruction puis une reconstruction de mes souvenirs, de mon identité, de mes idées, de mes croyances. Une mise au point personnelle. Un voyage intérieur. Et des pièces d’un puzzle qui s’assemblent enfin.

Est-ce que ce livre a été difficile à écrire ? Ça a été une souffrance ? Un bonheur ? Facile ? Compliqué ?

Horriblement difficile. Je l’ai commencé véritablement en mars 2020, lors du premier confinement, sans réussir à écrire une ligne pendant des mois,  et d’une façon générale, j’ai eu un mal fou à l’écrire. J’ai énormément travaillé, coupé, recoupé, réécrit, suivi les conseils de mes éditeurs quand ils lisaient mes versions successives. J’étais très angoissée par l’idée de ne pas être à la hauteur de mon sujet. J’ai terminé avec un eczéma géant…

Avez-vous parlé de votre projet de livres à vos proches (enfants, tante Pim ) ou leur avez-vous fait lire une fois terminé ?

Oui bien sûr.

Comment ont-ils réagi ?

Mes deux  enfants, Léa et Hugo Domenach, m’avaient précédé en écrivant un livre sur leur famille paternelle, Les Murs Blancs , paru en 2021 aux éditions Grasset. Ils ont parfaitement compris ma démarche même si mon livre n’a que peu de rapport avec le leur. Mais dans les deux cas, c’est une histoire de transmission qui n’a pas été faite. Eux ont transmis et moi j’ai voulu leur transmettre… Tante Pim, oncle Pap, mon père, je les ai beaucoup interrogés. Je voulais le point de vue de ma famille, pas de celle des autres. J’ai interrogé mes grands cousins aussi. Mais personne n’a rien lu avant parution à part mes éditeurs, mon agente et mon compagnon. J’étais stressée à l’idée que ma famille n’aime pas, ou que certains m’en veuillent de m’être appropriée une histoire qui est aussi la leur, et ils ont tous adoré.

Aviez-vous conscience en l’écrivant qu’il était aussi « universel » ? Qu’il pouvait résonner avec l’histoire des gens, même s’ils ne sont ni juifs ni tunisiens ?

Je l’espérais, mais on ne sait jamais. Je me rends compte qu’il touche beaucoup de monde car les réactions sont assez  unanimes. Paloma Grossi, mon éditrice, m’a dit après avoir lu une ou deux versions : je ne suis ni Juive ni Tunisienne mais suis très touchée par ce texte. Ces mots m’ont fait comprendre que oui, ce livre s’adressait à tout le monde en réalité même si je l’ai d’abord chuchoté à moi-même.

Allez-vous retourner régulièrement en Tunisie ? En ressentez-vous le besoin ?

J’espère y présenter mon livre. Un ami éditeur là-bas voudrait en faire une version pour les Tunisiens, plus abordable. Ce n’est pas un pays qui me manque mais j’aime bien y aller. J’aime bien superposer mes souvenirs avec ce que j’en vois. Mais ma nostalgie tient plus du fantasme que de la réalité.

Que diriez-vous à l’adolescente que vous étiez et qui avait du mal à assumer ses origines ? 

Qu’il est bon d’empiler les strates. Que les identités multiples sont une richesse.

Que dirait l’adolescente à l’adulte que vous êtes devenue ?

Tu as réussi à atteindre tes rêves même si tous ne se sont pas réalisés.

Quand vous regardez votre parcours, personnel et professionnel, y-a-t-il des choses que vous expliquez mieux maintenant à la lumière de votre histoire, de vos origines ?

Oui sans doute. Il faut du temps pour se comprendre. Et quelques bonnes années d’introspection sur le divan.

Y’a t’il une phrase en particulier ou un passage qui est important pour vous et qui est la clé du livre ?

« Je suis une nostalgique de la nostalgie » . Et puis cette phrase d’Albert Memmi que j’ai mise en exergue : « On n’en a jamais fini avec son pays natal ».

Depuis la sortie du livre, avez-vous eu des retours inattendus, originaux ?

Oui, celui de Myriam Thibaut qui m’interrogeait la semaine dernière au cours d’une rencontre à la librairie de L’Instant. Elle a lu cinq ou six de mes livres à la file pour l’occasion puisque le thème de cette rencontre portait sur « Les coulisses de l’écriture » et elle m’a dit : «  Il y a un thème commun à tous vos livres. C’est l’exil ». Et effectivement, toutes mes héroïnes, Helena Rubinstein, Janet Flanner, Malika Oufkir, Loumia Hiridjee, sont des exilées. Comme moi. Comme ma famille. Ça m’a scotchée.

Quels sont vos livres préférés ?

Difficile de répondre… Je vous donne en vrac ce qui me vient à l’esprit : Vie et destin de Vassili Grossman, Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durell, Le lièvre aux yeux d’ambre de Edmund de Waal, Corps et Âmes de Frank Conroy, Le chapiteau vert de Ludmilla OulitskaÏa, Dernier été en ville de Gianfranco Galigarich, Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe, Une femme fuyant l’annonce de David Grossman, Une histoire d’amour et de ténèbres d’Amos Oz… C’est tellement peu exhaustif. Parce que je lis énormément en vérité et de tout. Ces livres correspondent surtout  à des moments de ma vie. Quand j’aime un livre j’en parle tout le temps, je suis mono maniaque. Jusqu’au suivant…

Le mot de la fin ?

En faut-il un ? Tout a déjà une fin…

BOUCHE DE REINE de Louise de Vilmorin

La Reine en moi bercée
Me donne sa grandeur
Je suis la tour hantée
Dont les hommes ont peur.

Bouche de Reine
Sans un baiser,
Tour sur la plaine
Sans escalier.

Mes yeux sont les fenêtres
Où brillent ses beaux yeux,
La Reine va paraître
Chassant les amoureux.

Nul ne me dit :
« Viens ma maîtresse
Il est minuit
Dénoue tes tresses. »

Une Reine est en moi
Qui défie l’aventure,
Sa main est en mes doigts
Mon corps est son armure.

Et nul ne veut
De ma personne
Car je suis deux
Quand je me donne.

LES FABLES DE LA FONTANEL de Sophie Fontanel

Sophie Fontanel,

Une charmante donzelle,

A décidé, quelle aubaine,

D’imiter Jean de La Fontaine.

Car, pour tout brillant homme qu’il fut, 

Il n’avait pas exploré le cul.

Elle se chargea de cette mission

Qui ne se limitait pas qu’au fion.

Car c’est en sondant l’âme humaine

Qu’on y mesure toute sa peine.

Et de l’âme au sexe 

Il n’y a souvent qu’un prétexte.

Elle prit donc sa plus belle plume

Pour écrire des histoires de lune.

Astre attirant toutes les convoitises

Qui nous fait faire bien des bêtises.

Ce sujet léger s’il en est,

Qui occupe toutes nos pensées,

Peut s’avérer bien profond

Et nous rendre même complètement con. 

Voici donc la petite Sophie

Qui nous narre sa philosophie

Et avec quelle énergie !

Quel plaisir de la lire !

Quel plaisir de rire !

Ça jaillit, ça fuse et nous amuse.

Et puis, même si on s’en défend,

Même si on trouve ça agaçant,

Ça parle un peu beaucoup de nous,

Timide, complexé ou plein de bagout.

À la fin, chacun sa morale

Et attention, ça peut faire mal !

Mais peu importe nos défauts,

Peu importe qu’on ne soit pas les plus beaux,

Sophie nous encourage à être et surtout à écrire

Et on ne peut que l’applaudir.

Ce livre lui ressemble,

Il est drôle et il rassemble.

LA FEMME GELÉE de Annie Ernaux

Annie Ernaux, la discrète.

Je ne suis attentive à son nom que depuis quelques mois 😱. Au début, son évocation glissait sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard. De la même façon que je suis capable de juger sur les apparences, je peux juger un prénom et un nom, de façon totalement subjective. Et la sentence était tombée, comme une condamnation, sans défense possible : je l’avais remisée dans la catégorie « Intérêt limité ». Je la lirai un jour, plutôt à ce moment-là.

À partir de cet instant et comme pour me signifier mon erreur, je n’arrêtais pas de la croiser : tel article la mentionnait, tel écrivain la citait, tel philosophe l’invoquait.

Nom d’un petit pois ! En pestant contre moi-même, je lui accordais une ascension fulgurante et la plaçais dans la catégorie « À lire d’urgence ». J’achetais deux livres : « La femme gelée » et « La place ».

C’est quoi, une femme gelée ?

C’est une petite fille qui grandit en province dans les années 50. Milieu modeste mais heureux. Pas de grandes théories d’éducation, juste des valeurs et de la liberté. Pas de différence « filles-garçons », pas encore. La petite fille pousse comme un herbe folle, encouragée à lire et à étudier par sa mère. Son père fait la cuisine, sa mère fait les comptes, et elle-même est un garçon manqué. Et alors ? Elle imagine sa vie d’être humain : un futur de découvertes et de voyages, avec pour seules limites celles qu’elle se fixera. L’adolescence va se charger de lui faire comprendre qu’avant d’être un être humain, elle est d’abord une femme en devenir. Les filles ne doivent pas se mélanger aux garçons, chacun ses rôles, chacun ses codes. Mais qu’importe, elle n’est pas genre à se décourager. Les études seront son salut !

Sauf qu’il est plus facile de s’extraire de sa condition sociale que de sa condition de femme. Elle va l’apprendre à ses dépens. Le déterminisme, c’est pas fait pour les chiens !

Le triomphe du quotidien.

C’est ce qui me semble définir le mieux, à la fois l’histoire et le style d’Annie Ernaux.

L’écriture d’Annie est simple, visuelle, pulsée. Des petits riens, ténus, tendres, délicats, bruts, drôles, cruels. Et ces petits riens mis bout à bout, ça fait une vie, une condition, un statut. Sans emphase, avec dépouillement, banal. C’est comme les comptines qu’on chante quand on est enfant, c’est simple, rassurant, joyeux… on en oublie presque qu’elles sont toutes cruelles.

Ses parents m’ont rappelé les miens, son adolescence m’a rappelé la mienne. C’est la force de l’auteure : au travers une histoire unique, la sienne, raconter une histoire universelle.

C’est une impression bizarre que vous laisse ce livre, ou plutôt une multitude d’impressions : douce nostalgie, joie simple, espoir, et amertume de voir cette femme si vivante s’étioler dans les conventions, l’air de rien, tout doucement, imperceptiblement.

J’ai beaucoup aimé ce livre. J’aimerais que mes filles le lisent, il est tellement beau et plus efficace que bien des grands discours et de belles phrases sur le féminisme.

VOUS NE SAUREZ JAMAIS de Marguerite Yourcenar

Vous ne saurez jamais que votre âme voyage

Comme au fond de mon cœur un doux cœur adopté ;

Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge,

N’empêcheront jamais que vous ayez été.

Que la beauté du monde a pris votre visage,

Vit de votre douceur, luit de votre clarté,

Et que ce lac pensif au fond du paysage

Me redit seulement votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme

Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant ;

Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme,

M’instruisent des sentiers que vous avez suivis,

Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

BAISE-MOI de Virginie Despentes

Entre Virginie Despentes et moi, c’était pas gagné !

Il y a deux ans, je me suis résignée (oui, vous avez bien lu, RÉ-SI-GNÉE) à lire un livre d’elle. Elle fait partie des auteur·e·s incontournables en France, elle est régulièrement invitée dans les émissions littéraires ou dites de « divertissement ». Elle se retrouve plus souvent qu’à son tour en tête de gondole à la Fnac. Bref, j’étais obligée ! Histoire de l’avoir lue, « comme tout le monde » et d’avoir un avis, « comme tout le monde » (paradoxalement, j’aime bien le concept « être comme tout le monde » de temps en temps🥺).

Restait le choix du bouquin ! Ça allait se jouer entre les trois titres les plus connus : Baise-Moi, King Kong Théorie ou, le dernier en date, Vernon Subutex.

La sélection se fait naturellement. King Kong Théorie est un essai, je veux un roman. Baise-Moi traîne une réputation sulfureuse, c’est peut-être un peu too much pour moi, petite chose sensible. Je pars sur Vernon Subutex tome 1 (sensible, mais logique 🤪) !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le coup de foudre ! Je me suis traînée jusqu’à la fin. La lente descente aux enfers de Vernon m’a paru interminable. Le genre de type attachant mais qui s’incruste et qu’on n’arrive plus à dégager. Même l’intrigue n’a pas suffit pour que je rentre dans cette galerie de portraits d’une génération déchue. Même ses errances dans Paris, même les multiples références aux années 80, qui sont trop pointues pour moi. Je n’ai pas détesté, j’ai aimé l’écriture brute, sans concession, qui exprime tellement bien la désillusion, la détresse, le dégoût, la marginalisation. Mais j’ai refermé le livre en ne sachant pas trop quoi en penser. Et c’est mauvais signe…

Il ne faut jamais dire « jamais » !

Il y a quelques semaines, je tombe par hasard sur une interview croisée entre Virginie Despentes, Béatrice Dalle et Casey sur le féminisme. Chaque intervention de Virginie est juste, brillante, radicale. Première étape du coup de foudre. Je ne peux pas rester sur un avis tiède, je décide de lire Baise-Moi !

Coup de foudre définitif et irréversible ! Je l’ai terminé depuis cinq jours et Nadine et Manu sont toujours avec moi. Je n’ai démarré aucune autre lecture tant j’ai peur que leur présence s’estompe, tant j’ai envie de rester avec elles, tant ça m’a pris aux tripes.

Et pourtant, c’est tout sauf amazing 🥳🥳🥳 !!!

Une banlieue sinistre, qui transformerait n’importe quel winner en paumé toxico et alcoolo. Une banlieue que même quand t’as encore l’envie et une chance de t’en sortir, elle te calme bien comme pour te signifier qu’on ne perturbe pas indûment la hiérarchie sociale. N’Y PENSE MÊME PAS !

Et puis, il y a Nadine et Manu. Elles ne se connaissent pas, mais ont la même histoire. Deux filles à qui personne n’a jamais fait de cadeau et encore moins la vie. Elles ont appris à esquiver les coups, si besoin à les encaisser. Elles ne se laissent pas marcher sur les pieds mais savent faire profil bas quand il le faut. Elles ont des plaisirs simples, baise et alcool, l’un finançant l’autre. Elles tiennent à leur tranquillité ; se défoncer nécessite un minimum de sérénité. Ça pourrait les faire passer pour asociales et amorales, mais ce n’est pas le cas : elles ont des accointances (le terme « amitiés » serait un chouïa exagéré) et leur propre code d’honneur.

Quand elles se rencontrent, elles ont déjà savouré la violence chacune de leur côté, elles vont juste mettre en commun leur savoir-faire, parfaire leur technique, une sorte de joint-venture du sang.

Elles assument tout,  en cela ce sont les personnages les plus féministes que j’ai jamais croisés. Elles sont libres. Une liberté grisante, choquante, absolue, qui s’obtient au détriment des autres par ceux qui n’ont plus rien à perdre. C’est totalement gratuit, c’est totalement flippant, c’est totalement enivrant ! Des Thelma et Louise trashs. « On est en train de rattraper toute une vie en quelques jours ».

Il est des livres que vous ne voudriez jamais finir. J’aurais pu les suivre au bout du monde.

Je laisserai la phrase de fin à Nadine : « ce qui convient à la main, c’est le flingue, la bouteille et la queue ».

Ni plus… ni moins. 

LES EXILÉS MEURENT AUSSI D’AMOUR de Abnousse Shalmani

J’ai eu mon dernier coup de foudre il y a 15 jours… et c’est pour une femme !

J’ai découvert par hasard que LCP a rajeuni son émission littéraire (vu qu’on partait de Jean-Pierre Elkabbach 😱, c’était assez facile).

L’émission en question s’appelle désormais Livres & Vous (vous l’avez ?😜), elle est présentée par une jeune femme, Adèle Van Reeth, le décor reste le même : la bibliothèque du Sénat. Mais surtout, ça reste l’une des rares émissions sous-titrées pour les sourds et les malentendants sur une chaîne qui, au vu de sa mission, devrait bosser un peu plus sur l’accessibilité !!!

L’émission a déjà commencé, deux auteures sont invitées, elles sortent, chacune, un livre traitant de l’exil.

L’une d’elles, Abnousse Shalmani, est en train de parler. Dans un premier temps, je ne l’écoute pas, je regarde ses cheveux. Je veux les mêmes ! Couleur miel, boucles de bébé, tellement épais qu’on pourrait en faire trois perruques.

CALME-TOI ! Qu’y-a-t-il SOUS ces cheveux ?

Il y a d’abord des yeux. Des yeux sombres, noirs. Tour à tour perçants, rieurs, interrogateurs ; un regard qui se plante dans le vôtre et qui ne le lâche pas.

Puis une bouche, sensuelle, téméraire, exigeante, une bouche pour la vie, qui parle, qui interpelle, qui contredit, qui rit.

Enfin un teint pâle à faire pâlir de jalousie une madone.

J’apprends qu’elle est d’origine iranienne. Née à Téhéran, elle arrive à Paris à l’âge de de 8 ans, avec ses parents qui fuient le régime khomeyniste.

Après le coup de foudre physique, vient le coup de foudre tout court.

Je l’écoute parler d’elle, de son livre, de son exil. C’est comme si un grand courant d’air frais s’engouffrait dans cette bibliothèque. Je suis partagée entre admiration et fous rires.

Admiration, tant elle semble n’avoir peur de rien. Elle affirme ses convictions avec enthousiasme sans être ni péremptoire, ni agressive. Elle est si spontanée, si bouillonnante que la présentatrice a du mal à canaliser l’entretien.

Fous rires car sa personnalité est telle qu’elle prend toute la place, occupe tout l’espace, reléguant les deux autres femmes à l’état de spectatrices, scrutant désespérément d’éventuelles respirations ou pauses qui leur permettraient d’en placer une. Je découvre que la pire chose qui puisse arriver à un écrivain est d’être invité avec elle… mais c’est tellement bon pour les téléspectateurs !

L’émission se termine, je dois lire son livre !

Qu’est-ce que l’exil ? Vous avez 3 heures.

Ce livre est à son image : authentique, foisonnant et exigeant.

C’est l’histoire d’une petite fille de 8 ans, Shirin, partie brusquement d’Iran pour atterrir en France. Elle est arrachée à son pays, sa langue, sa culture, son rang. Elle se retrouve, avec ses parents, dans un deux pièces où vivent déjà ses trois tantes et son grand-père maternels.

Autant de personnes toxiques dans un si petit espace, c’est un record ! Les trois tantes sont pleines d’idéaux, se rêvent révolutionnaires et veulent mener un combat, peu importe lequel, pourvu qu’elles en soient les égéries et qu’il y ait de la souffrance. Le grand-père est un pur salaud.

Comment trouver sa place dans cette famille dysfonctionnelle ? Dans ce pays qui est désormais le vôtre mais dont vous ignorez tout ?

L’émancipation de Shirin passera d’abord par les mots, la langue française. Elle va lui tourner autour, l’observer patiemment puis l’apprivoiser farouchement car sa vie en dépend. Mettre des mots sur les actes, décrire, exprimer ce qu’elle ressent avec justesse et précision, échanger avec d’autres personnes que sa famille, c’est commencer à avoir une existence propre, une indépendance, une légitimité.

Vient ensuite le corps. Ce corps dont on ne parle jamais, qui doit être caché, tu, obéissant, docile. L’envol de Shirin sera également physique, sans tabou, avec impudence et audace, à l’image de cette phrase : « Elle disait en riant qu’elle voulait donner une voix aux femmes qui aiment faire l’amour sans éteindre les lumières ».

Ce récit initiatique est, tour à tour, drôle, impertinent, triste mais toujours envoûtant.

Une seule critique : j’ai trouvé que le livre perdait un peu de son intensité à force de répétitions et longueurs sur la fin (trois fois rien, on coupe dix pages et c’est reparti 😇). Mais ce n’est pas grave, je suis tellement in love d’Abnousse que je lui pardonne 😍😍🤪. C’est décidé ! Ma prochaine lecture sera Khomeyny, Sade et moi !

LE TEMPS DE VIVRE de Anna de Noailles

Le saviez-vous ?

Anna de Noailles fut la première femme à être commandeur de la Légion d’Honneur.

 

Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l’aube au jour qui baisse,

Garde ton âme ouverte aux parfums d’alentour,
Aux mouvements de l’onde,
Aime l’effort, l’espoir, l’orgueil, aime l’amour,
C’est la chose profonde,

Combien s’en sont allés de tous les cœurs vivants
Au séjour solitaire,
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,

Combien s’en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n’ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s’enfonce.

Ils n’ont pas répandu les essences et l’or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l’on dort
Sans rêve et sans haleine ;

— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
De frissons et d’extase,
Penche sur les chemins où l’homme doit servir
Ton âme comme un vase,

Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l’amour chantent comme un essaim
D’abeilles sur ta bouche.

Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle.

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