🤣 de Frédéric Beigbeder

L’éternel noceur…

Un dandy déjanté traversant la vie, une coupe de champagne à la main : voilà l’image que je me fais de Frédéric. Son fond de commerce est un parfait mélange de flegme, d’excès, d’arrogance et de talent. Beigbeder, c’est une valeur sûre : on sait qu’on va passer un bon moment, ça se lit facilement et vite, sans prise de tête. Le temps passe mais sa plume reste toujours aussi talentueuse et acérée. Il est divinement cynique, délicieusement cruel, il traverse les époques en en extrayant la substantifique moelle et pas dans ce qu’elles ont de meilleur. Il le sait, il les a vécues. Comme si, pour se livrer à une critique de notre société, l’observer ne lui suffisait pas : il doit s’y plonger, en expérimenter les excès, qu’il finit par condamner. J’en suis, j’en profite, j’en abuse… mais je ne suis pas dupe. En bon publicitaire qu’il a été, il vise toujours juste tant dans le fond que dans la forme. Percutant et efficace. Preuve en est le titre de son dernier livre : un emoji.

Comme en pub, l’important c’est d’y avoir pensé en premier…

Et, c’est Beigbeder qui l’a fait ! Pour la première fois, le titre d’un roman n’est pas constitué de mots mais d’une unique émoticône. « Les ennemis de l’intelligence auront gagné quand les romans auront pour titre ces petits visages à la symétrie stupide« . Comme pour signifier l’issue inexorable, c’est lui qui ouvre le bal. Tant qu’à aller dans le mur, autant y aller avec panache ! Les médias ne s’y trompent pas. Il squatte TV, radio et presse pour la promotion de son livre. C’est un excellent client, spirituel, acerbe et surtout malin comme un singe. Il anticipe parfaitement les critiques… en leur coupant l’herbe sous le pied. Il est méchant tout d’abord envers lui-même. Cela fait partie des avantages de l’auto-dérision : on s’en envoie d’abord plein la gueule, ne laissant que quelques miettes aux détracteurs et ensuite, on a une autoroute pour distribuer les bourre-pifs. Je le sais, je fonctionne comme ça. 

Haro sur les médias !

Après la pub, la mode… TADAM… Frédéric s’attaque donc aux médias, mètre étalon par excellence de la société. Et Dieu sait s’ils s’en prennent plein la figure en ce moment. Le timing est donc parfait. Ces médias, qui, à l’image de la société, tourneraient tout en dérision, à la recherche de la vanne ultime qui tue le game et si possible l’adversaire. Tout ne serait plus qu’humour et l’on vivrait tous dans un immense cirque, au milieu de battles de sarcasmes. Plus de réflexion, de profondeur ni d’humanité, seule subsisterait la tyrannie du rire.

Ça ne vous rappelle pas un film ? Une autre époque ? Ridicule, où une vie pouvait se retrouver brisée sur l’autel d’un bon mot.

Frédéric (ou Octave ?) raconte donc sa chute. Il retrace la soirée et la nuit précédant son éviction de France Inter.

J’ai beaucoup aimé ce livre. Il est brillant. Même si, plus la nuit avance, plus la narration devient foutraque, répétitive, jusqu’à cette fin qui fleure un peu trop la rédemption « bon teint ». J’aurais aimé qu’Octave (ou Frédéric ?) assume jusqu’au bout ce qu’il a été.

Je vous conseille de lire ce livre, il fait rire (sans tyrannie) et réfléchir… c’est déjà énorme.

MORALES ESPIEGLES de Michel Serres

Commençons par un peu de douceur et de consensualisme !

En six mois, j’ai vu ou lu de nombreuses interviews de Michel Serres. A chaque fois, j’étais en pâmoison devant ce vieillard !

D’abord, je lui trouvais un charme fou. Il souriait tout le temps et je suis très sensible aux sourires, voire même aux rires, aux éclats de rire, aux fous rires, aux rires subtils, aux rires cons. Je prends tout ! J’expérimente tout 🤪 ! A une époque où beaucoup s’astreignent à tirer des tronches de trois mètres de long, où l’agressivité devient une norme comportementale, je trouve qu’on sous-estime beaucoup le pouvoir du sourire.

Il avait le regard malicieux et c’est très difficile. Pour avoir l’œil malicieux, il faut avoir l’esprit malicieux. J’ai essayé et ça ne marche pas à tous les coups. J’oscille entre l’œil moqueur, cynique, bovin, mais la malice ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval ! Vous me suivez toujours ? 😱

Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était sa curiosité et son intelligence bienveillante. Lorsqu’on arrive à un âge avancé, on est très souvent enclin à se barricader face au monde qui change, à seriner des « c’était mieux avant », « de mon temps c’était autre chose », « les jeunes d’aujourd’hui, c’est des bons à rien » et autres « halala, le pauvre Général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe ». Bon, ce n’est pas l’apanage des vieux, il y a des jeunes qui font ça très bien aussi (d’ailleurs Brassens en a fait une chanson), mais c’est quand même une petite tendance chez les plus de 70 ans. Et ça m’a toujours gonflée… et effrayée. Car qui me dit que dans quelques années, je ne deviendrai pas, moi aussi, une parfaite Tatie Danielle ? Michel, c’était tout le contraire, je le trouvais ouvert, optimiste, tolérant.

Bref, j’aimais beaucoup Michel Serres. Donc, forcément, j’étais mûre pour lire un de ses livres.

Putain ! Que je me suis fait chier !

Voilà, c’est dit ! Je sais que je vais choquer plein de gens, que ce n’est pas Michel qui est en cause, c’est moi qui n’ai rien compris… Mais ça ne change rien. Le livre était minuscule et j’ai fait péter le champagne de soulagement quand je l’eus terminé.

Est-ce que j’avais oublié que j’avais affaire à un philosophe ? Est-ce qu’il avait déjà tout dit dans ses interviews, le livre n’apportant pas grand chose de plus ?

Les deux ! Et pourtant, j’adore la philosophie (je lis Frédéric Lenoir, c’est vous dire) ! Mais Michel avait déjà tout dévoilé dans ses interviews… en beaucoup mieux ! Ce qui était simple, fluide, évident, quand vous l’écoutiez à la télévision ou le lisiez dans un magazine, devenait ampoulé, poussif, répétitif dans son livre.

Pourtant, sa pensée a tout pour me plaire. Il ne se prend pas au sérieux, il réhabilite la désobéissance à la hiérarchie, le chahut, l’espièglerie, il loue des valeurs telles l’empathie, l’humilité, le respect de la nature, la transmission… tout ce à quoi j’essaie d’être fidèle (notez que le verbe « essayer » est primordial dans cette phrase 😜). Ce recueil de petites leçons de vie, tirées de son expérience, ne POUVAIT PAS ne pas me séduire.

Mais, c’est oublier que rien n’est prévisible et c’est justement un des plus beaux attraits de la vie. Je ne me décourage pas (moi ? Jamais !) ! Prochaine lecture : Petite Poucette !

SORCIÈRES (ou La puissance invaincue des femmes) de Mona Chollet

Mona CHOLLET a tout pour me plaire !

Je suis tombée en arrêt devant ce livre à la Fnac. Mais vraiment en arrêt ! Je suivais Népoux qui voulait me montrer un ouvrage EX-TRA-OR-DI-NAIRE, quand, soudain, je me suis immobilisée et plus rien ne comptait hormis ce bouquin. Laissant Népoux continuer à tracer dans les rayonnages, parlant tout seul, persuadé qu’il était que je le suivais, j’observe la couverture. Le titre, Sorcières, et l’illustration 😍. Un vrai coup au cœur ! Tout était réuni pour un potentiel gros gros coup de foudre. Même le fait que ce soit un essai ne m’a pas arrêtée, moi l’accro aux romans, au contraire ! Je subodorais qu’on allait sortir des sentiers battus, que les sorcières en question allaient être diablement intéressantes et subversives. Tel un Jean-Marc Généreux de la littérature : J’ACHÈÈÈÈÈÈTE !!!

Je démarre, et là, joie intégrale. Mona et moi avons plein de références communes. Quel bonheur de lire un livre peuplé de gens que j’admire. Des êtres qui sortent des clous, mais pas seulement. Ils ont une vision, des convictions chevillées au corps, un génie, un courage, un humour… Et même si toutes les vies se valent, la leur m’émerveille tant ! Alan Moore, Gloria Steinem, Anne Sylvestre, Clarissa Pinkola Estes, pour ne citer qu’eux, des âmes tellement riches et plurielles qu’il est réducteur de les qualifier.

Et ça continue ! Références pop-culturelles (ma passion, inventer des mots 🥶), historiques, etc. Bon sang, c’est jouissif ! Quand, en plus, Mona se décrit comme un cliché sexiste ambulant : émotive, impulsive, parfois naïve, maladroite, toujours à côté de la plaque. Une bourgeoise un peu coincée qui aime que rien ne dépasse, que tout soit carré, mais mue intérieurement par une petite voix qui la titille, une voix de révolte qui la bouscule, ne la laisse pas en paix. Mais bordel, Mona c’est moi !!!

Disney et la Renaissance ont bien miné les femmes !

Oubliez la représentation de la vieille, moche, aigrie et méchante telle que nous a abreuvé Disney à longueur de dessins animés ! C’est bien connu : toutes les insoumises sont laides et psychopathes ! Or, celles qu’on a désigné comme sorcières étaient simplement des femmes, qui avaient accumulé au fil des siècles, une force vitale, un savoir instinctif et expérientiel menaçant le pouvoir des hommes.

Je découvre, pêle-mêle, que la répression dont elles ont été victimes :

  • a été très peu le fait du fanatisme religieux mais surtout de la société civile,
  • les protestants (que je voyais comme modérés et tolérants, ayant eux-mêmes été persécutés) y ont activement participé,
  • a culminé à la Renaissance (et non au Moyen-âge, comme je le pensais).

Pourquoi la Renaissance ? C’est l’apparition de l’homme nouveau, l’homme tout puissant, qui, grâce aux multiples découvertes géographiques et scientifiques, réussit à dompter la nature. La science se pare alors d’atouts exclusivement masculins :

  • intelligence (le cerveau de la femme est plus petit et plus léger, CQFD),
  • réflexion (si on savait réfléchir, ça se saurait),
  • rationalité (y a-t-il plus illogique qu’une meuf ?),
  • stabilité (la femelle est totalement hystérique),
  • rigueur (plus bordélique qu’une nana, y’a pas),
  • transparence (on est toutes une sale bande de sournoises), et j’en passe.

Exit tout ce qui est créativité, imagination, inspiration, intuition, etc. La femme est cause de désordre, comme la nature, et doit être domptée, comme elle. Bref, « la machine à fabriquer l’homme nouveau est aussi une machine à tuer la femme ancienne ». Cet évincement de la femme de l’Histoire et son asservissement se sont encore accentués lors de l’avènement du capitalisme.

Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler ! 😈😈😈

Je ne vous dis pas le retard qu’il y a à rattraper ! Même le trône de fer paraît plus accessible !

Mona étudie plus particulièrement trois types de femmes qui cristallisent tous les rejets, toutes les haines :

  • la femme indépendante (c’est-à-dire hors de contrôle pour l’homme). Inacceptable ! La meilleure solution est de nous passer le goût de la liberté. Souvenez-vous du personnage de Glenn Close dans Liaison Fatale. Une femme libre, professionnellement et sexuellement, ça cache forcément quelque chose (Zou ! On va lui coller solitude et déséquilibres, ça va calmer tout le monde 🥳🥳🥳).
  • la femme sans enfant. Une femme ne peut trouver de véritable épanouissement qu’à travers l’enfantement. La pitié est réservée à celles qui ne peuvent connaître cette joie ultime et la haine, à celles qui ne le souhaitent pas. Et Mona, de citer Pauline Bonaparte : « les enfants, je préfère en commencer 100 que d’en finir un seul ». TU M’É-TO-NNES Pauline !
  • la vieille femme. L’horreur ultime ! Cachez cette décrépitude que les hommes (et beaucoup de femmes) ne sauraient voir !

Ce livre est passionnant et foisonnant ! Il a juste les défauts de ses qualités : parfois trop redondant et un peu désordonné, mais d’une richesse incroyable.

Et surtout, il annonce une excellente nouvelle : les sorcières sont de retour !

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