Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ;
Tout, la haine et le deuil !
Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs
Et que vous parlez bas…
Ecoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille du plus mystérieux
De vos amis de cœur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot, que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin ;
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l’homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. »
Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.
COMMENT JE M’APPELLE de Anne Sylvestre
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, vous me le direz
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Quand j’étais petite et que j’étais belle
On m’enrubannait de ces noms jolis
On m’appelait fleur sucre ou bien dentelle
J’étais le soleil et j’étais la pluie
Quand je fus plus grande hélas à l’école
J’étais la couleur de mon tablier
On m’appelait garce on m’appelait folle
J’étais quelques notes dans un cahier
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, vous me le direz
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Quand j’ai pris quinze ans que s’ouvrit le monde
Je crus qu’on allait enfin me nommer
Mais j’étais la moche et j’étais la ronde
J’étais la pleurniche et la mal lunée
Quand alors j’aimai quand je fus sourire
Quand je fus envol quand je fus lilas
J’appris que j’étais ventre même pire
Que j’étais personne que j’étais pas
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, vous me le direz
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Quand je fus berceau et puis biberonne
J’oubliais tout ça quand je fus rosier
Puis me réveillais un matin torchonne
J’étais marmitasse et pierre d’évier
J’étais ravaudière et j’étais routine
On m’appelait soupe on m’appelait pas
J’étais paillasson carreau de cuisine
Et j’étais l’entrave à mes propres pas
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, vous me le direz
Si vous le savez comment je m’appelle
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Vous me le direz, je l’ai z’oublié
Puis un jour un jour du fond ma tombe
J’entendis des voix qui se rappelaient
Plaisirs et douleurs souvenirs en trombe
Et j’étais vivante et on m’appelait
Peu importe alors l’état de la cage
Le temps qu’il faudra pour s’en évader
Je saurai quoi mettre en haut dans la marge
Pour recommencer mon nouveau cahier
Je sais maintenant comment je m’appelle
Je vous le dirai je vous le dirai
Je sais maintenant comment je m’appelle
Et c’est pas demain que je l’oublierai
Et c’est pas demain que je l’oublierai
Et c’est pas demain que je l’oublierai
AUJOURD’HUI EST UN AUTRE JOUR de Robert Desnos
Je me lèverai demain matin
Plus tôt qu’aujourd’hui
Le soleil demain matin
sera plus chaud qu’aujourd’hui
Je serai plus fort demain matin
Plus fort qu’aujourd’hui
Je serai gai demain matin
Plus gai qu’aujourd’hui
J’aurai demain matin
Plus d’amis qu’aujourd’hui
Et bien que demain matin
La mort soit plus proche qu’aujourd’hui
Je serai demain matin
Plus vivant plus vivant qu’aujourd’hui
LE FANTÔME de Louise Ackermann
D’un souffle printanier l’air tout à coup s’embaume.
Dans notre obscur lointain un spectre s’est dressé,
Et nous reconnaissons notre propre fantôme
Dans cette ombre qui sort des brumes du passé.
Nous le suivons de loin, entraînés par un charme
A travers les débris, à travers les détours,
Retrouvant un sourire et souvent une larme
Sur ce chemin semé de rêves et d’amours.
Par quels champs oubliés et déjà voilés d’ombre
Cette poursuite vaine un moment nous conduit !
Vers plus d’un mont désert, dans plus d’un vallon sombre,
Le fantôme léger nous égare après lui.
Les souvenirs dormants de la jeunesse éteinte
S’éveillent sous ses pas d’un sommeil calme et doux ;
Ils murmurent ensemble ou leur chant ou leur plainte,
Dont les échos mourants arrivent jusqu’à nous ;
Et ces accents connus nous émeuvent encore.
Mais à nos yeux bientôt la vision décroît ;
Comme l’ombre d’Hamlet qui fuit et s’évapore,
Le spectre disparaît en criant : « Souviens-toi ! »
Premières Poésies, 1871
LA NEIGE de Marina Tsvétaïéva / Le ciel brûle Extrait
Poème écrit en français en 1923
Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre
Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave…
Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !
Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.
Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.
CYRANO DE BERGERAC d’Edmond Rostand
A quoi ça tient une liste de lecture ? A un ÉNORME malentendu (ou à un énorme manque de culture) !
Jean-Paul Belmondo vient de mourir. Je regarde l’hommage national qui lui est rendu aux Invalides, je suis le discours d’Emmanuel, quand soudain….
Une phrase me foudroie. ARRETEZ TOUT ! Qu’est-ce qu’il vient de dire ?
Et puis mourir n’est rien, c’est achever de naître.
Se répéter cette phrase pendant des jours, tourner autour, la regarder sous tous les angles, la réciter à voix haute, la chuchoter, la dire à plein de gens, vouloir qu’elle les transperce comme elle m’a transpercée. La rabâcher jusqu’à 50 fois par jour, essayer d’en découvrir des sens cachés, vouloir qu’elle court dans les rues, qu’elle inonde mon monde comme un torrent qui jaillit, incontrôlable.
OK, j’ai peut-être un léger problème avec la mort.
Mais d’où sort cette phrase ? Trouvez-moi et ramenez-moi illico le type qui l’a pondue !
Cyrano de Bergerac ? C’était pas prévu dans mon programme mais si Edmond écrit comme ça, si une phrase de lui me met dans cet état… Imaginez un bouquin entier 🙀.
Vous le sentez venir le gros malentendu ? Ben oui, car je n’ai pas pensé une seule seconde que ça pouvait être du VRAI Cyrano de Bergerac, pensez donc ! J’ai fondu direct sur la pièce de théâtre d’Edmond, comme l’aigle sur la vieille buse.
Quitte à se vautrer, autant le faire avec panache !
En route pour un classique, à la recherche de LA phrase !
Jamais lu Cyrano, je connais le pitch et l’auteur, c’est tout. C’est mince. Cyrano aime Roxane qui aime Christian. Désespéré par sa laideur, Cyrano n’ose se déclarer et accepte d’aider Christian à séduire Roxane.
Ça me semble pas mal du tout, tout ça. Je vais chez mon libraire, rayon « Classiques » et prend l’unique version disponible. C’est un peu épais quand même, pour une pièce de théâtre 🧐.
Je commence par la préface, histoire d’y aller progressivement dans la découverte. Puis j’abandonne, ça me soûle.
J’attaque la pièce. Edmond, je suis prête, vas-y, déroule moi du beau langage !
Ça démarre fort ! Y’a des personnages dans tous les sens à vous filer le tournis, des tonnes de références que j’ai pas, le langage est agréable mais sans être waouh et je trouve que Cyrano a quand même une sacrée tête à claques. Ajoutez à cela que le vrai nom de Roxane c’est Magdeleine Robin 😱 et que plus les pages filent moins je trouve LA phrase.
Je tiens tant que je peux, à essayer d’éprouver de l’empathie envers Christian qui parle comme une dinde, Roxane qui va mettre 15 ans à comprendre l’intrigue et Cyrano qui me fatigue à se sacrifier tous les quatre matins. C’est pas possible, je ne vais pas aller jusqu’au bout. Je fais ce que j’aurais dû faire dès le début : je googlelise la phrase pour la situer dans la pièce… et je pleure.
J’apprends donc que « Et puis mourir n’est rien, c’est achever de naître » est une phrase de Savinien Cyrano de Bergerac que l’on retrouve dans sa tragédie en 5 actes « La Mort d’Agrippine »… que je vais m’empresser de lire. Non, je déconne, j’en ai ma claque des pièces de théâtre.
Ma conclusion sera personnelle et courte : Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand doit gagner à être vu plus qu’à être lu. Mais vu que je suis sourde, ce sera dans une autre vie et franchement, c’est pas grave 🤪.
Ce sera tout pour moi cette semaine 😫.
LES DONS DES FÉES de Charles Baudelaire
Petits poèmes en prose – Le Spleen de Paris
C’était grande assemblée des Fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures.
Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l’air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes ; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles.
Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras.
Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l’estrade, dans une distribution de prix. Ce qu’il y avait ici de particulier, c’est que les Dons n’étaient pas la récompense d’un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n’avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.
Les pauvres Fées étaient très-affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l’homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes.
En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d’audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu’elles regardaient de temps à autre l’aiguille de l’horloge avec autant d’impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s’empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu’il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes.
Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu’on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées.
Ainsi la puissance d’attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l’héritier unique d’une famille très-riche, qui, n’étant doué d’aucun sens de charité, non plus que d’aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus tard prodigieusement embarrassé de ses millions.
Ainsi furent donnés l’amour du Beau et la Puissance poétique au fils d’un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon, aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture.
J’ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu’aucun don ne peut être refusé.
Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s’écria :
« Eh ! madame ! vous nous oubliez ! Il y a encore mon petit ! Je ne veux pas être venu pour rien. »
La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d’une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l’homme, et souvent contraintes de s’adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, — je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c’est-à-dire le cas d’épuisement des lots, la faculté d’en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu’elle ait l’imagination suffisante pour le créer immédiatement.
Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils… je lui donne… le Don de plaire ! »
« Mais plaire comment ? plaire… ? plaire pourquoi ? » demanda opiniâtrément le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s’élever jusqu’à la logique de l’Absurde.
« Parce que ! parce que ! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos ; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l’indiscutable ? »
C’EST ARRIVÉ LA NUIT de Marc Levy
J’SUIS SNOB, J’SUIS SNOB
Lire du Levy ? Jamais d’la vie !
Moi, c’qui m’fait grimper à la tenture,
c’est la grande littérature.
Et même si Elle et Pocket me supplient,
hors de question que je change d’avis.
En même temps, avoir sa bobine
dans l’plus féminin des magazines,
ça fait sacrément envie.
Oh puis zut, direction la librairie
pour C’est arrivé la nuit.
Et là, wouahhhh !
Bienvenue au cinéma !
Suspense, action, en veux-tu en voilà.
C’est d’la lecture sur grand écran,
tout, sauf un voyage d’agrément.
J’passe la soirée à m’ronger les sangs.
Ils sont 9 sur la planète
à faire justice sur Internet.
Des Arsène Lupin 2.0
qui mettent les salauds au cachot
d’un clic sur leur réseau.
Ça semble facile, mais ça l’est pas.
Toujours clandestin, même chez soi.
Toujours planqué et en mouvement
pour éviter les guet-apens
Marc est un p’tit malin
avec ses hackers au grand cœur,
on le lit jusqu’au p’tit matin
pour notre plus grand bonheur.
On se prend même à rêver :
Et si c’était vrai ?
LA PEUR de Charles Juliet
la peur toute-puissante qui instille
son venin en chacune de nos fibres
la peur de la faim de la misère de la maladie de la mort
la peur d’achever sa vie dans le camp des vaincus
des laissés-pour-compte
ceux-là que jamais nul n’écoute
et née d’une autre origine mais aiguisée par ces peurs
la faim d’une existence enfin dégagée de ses laideurs
ces fardeaux ces frontières
des fatalités qui nous oppriment
se haïssent cette peur et cette faim
qui sont toujours à se défier
ne connaissent d’autre échange
que le pugilat
mais celui qui reçoit les coups qu’elles se portent
il ne peut mettre fin au combat
donc subir toujours subir
et le tourment de savoir
qu’il n’y aura aucun répit
aucune issue
que jusqu’à la tombe
ces deux forcenées
lui dicteront leur loi
MIROIR de Sylvia Plath
Je suis d’argent et exact. Je n’ai pas de préjugés.
Tout ce que je vois je l’avale immédiatement,
Tel quel, jamais voilé par l’amour ou l’aversion.
Je ne suis pas cruel, sincère seulement —
L’œil d’un petit dieu, à quatre coins.
Le plus souvent je médite sur le mur d’en face.
Il est rose, moucheté. Je l’ai regardé si longtemps
Qu’il semble faire partie de mon cœur. Mais il frémit.
Visages, obscurité nous séparent encore et encore.
Maintenant je suis un lac. Une femme se penche au-dessus de moi,
Sondant mon étendue pour y trouver ce qu’elle est vraiment.
Puis elle se tourne vers ces menteuses, les chandelles ou la lune.
Je vois son dos, et le réfléchis fidèlement.
Elle me récompense avec des larmes et une agitation de mains.
Je compte beaucoup pour elle. Elle va et vient.
Chaque matin c’est son visage qui remplace l’obscurité.
En moi elle a noyé une jeune fille, et en moi une vieille femme
Se jette sur elle jour après jour, comme un horrible poisson.