L’ACCIDENT DE CHASSE de David L. Carlson et Landis Blair

On peut pas dire que je me sois ruée dessus.

Lors de sa sortie en France en 2020, cette BD, que dis-je, ce roman graphique, a raflé plusieurs prix et toutes les critiques (du moins celles que j’ai lues) étaient unanimes : on frôlait le chef-d’œuvre. 

Je n’avais pas le début d’une idée du sujet. Je me disais bêtement qu’il devait s’agir d’un plaidoyer sur les dangers de la chasse.

Bon. 

Pourquoi pas ? 

C’est vrai que c’est dangereux, la chasse.

C’est pas le sujet qui me passionne le plus mais ça serait ballot de passer à côté d’un chef-d’œuvre. Je me le note donc dans un coin et finalement, Noël arrivant, je le trouve sous le sapin.

Et dans le genre cadeau, ça envoie du bois. C’est un bon pavé, bien épais, bien lourd qui bouffe son pesant de papier d’emballage et Bolduc.

Je suis toute excitée… et le mets sur ma pile à lire.

Deux ans après, je viens de le terminer (non, je n’ai pas mis deux ans à le lire, j’ai mis deux ans à le commencer).

Sacrebleu ! Ça ne parle pas du tout de chasse.

Chicago, 1959. Charlie Rizzo débarque avec sa petite valise. Sa mère vient de mourir, il quitte la Californie pour rejoindre son père, Matt Rizzo, à Chicago. Il le connaît peu. Sa mère l’a quitté quand Charlie avait 4 ans.

Père et fils vont devoir cohabiter, se livrer, s’apprivoiser, se faire confiance.

Charlie veut tout savoir de son père et d’abord, comment est-il devenu aveugle ? Est-ce vraiment à cause d’un stupide accident de chasse ?

Ça commence fort. Pas besoin de beaucoup de mots, en tous cas au début. Une planche de dessin suffit à montrer la distance entre le père et le fils à l’arrêt de bus où ils se retrouvent. Charlie, minuscule et perdu avec sa valise, levant les yeux vers son père, immense et raide dont on sent qu’il ne sait pas trop comment faire une place dans sa vie à ce gamin.

En y regardant de plus près, tous les ingrédients sont là, dès les premières pages : 

  • la bibliothèque, 
  • la relation père-fils,
  • l’accident de chasse, 
  • et enfin, ce fameux fait divers datant de 1924, baptisé « Le crime du siècle » par la presse. Deux jeunes gens, Leopold et Loeb, issus d’un milieu aisé et cultivé, avaient sauvagement assassiné un adolescent de 14 ans. Sans raison.  La barbarie et l’incompréhension de ce crime lui avaient donné une résonance mondiale.

À ce moment du pitch, certains vont se demander : « mais quel foutu rapport entre tous ces éléments ? ».

Et c’est justement tout l’enjeu du récit, révéler la vraie histoire du père, bien malgré lui. Mais voyant son fils grandir et attiré par les gangs, il n’aura d’autre choix que de lui dire la vérité.

On est tellement riche après avoir lu ce livre !

C’est un roman initiatique d’une richesse incroyable. On en prend plein la tête, les yeux, l’esprit.

Ça parle du pouvoir de la littérature, de Keats, de Nietzche, de Dante.

Ça parle de la vie intérieure, de la vérité de l’imagination qui est aussi authentique que la réalité.

Ça parle de l’histoire qui se répète, du refus de la fatalité, de résilience et de rédemption.

Ça parle aussi d’amour, l’amour paternel, maladroit, entêté, pudique.

Et c’est tout sauf chiant ou pompeux. C’est fluide, tout s’imbrique, tout s’explique.

À chaque page, j’apprends.

Et pourtant, je ne suis pas au bout de mes surprises.

Je termine le livre complètement sonnée, remplie de ce que je viens de lire. Cette BD au traité graphique noir, de 450 pages m’a envoûtée. Les auteurs réussissent à mettre de la magie, de la poésie, du merveilleux et de l’espoir, là où il n’y en a pas.

Tout concourt à l’intensité et la singularité du récit : le découpage, la mise en page, les parti-pris graphiques… jusqu’à la personnification de nos démons à tous qui apparaissent en fil rouge.

Je lis les dernières pages en me disant que certaines personnes ont une imagination folle pour réussir à inventer une histoire comme celle-ci.

Puis, je tombe sur la postface.

Tout est vrai. TOUT EST VRAI ! 😱

Bordel, je ne m’en remets pas. Matt, Charlie, Leopold, Loeb et tous les autres ont vraiment existé.

C’est leur vie que je viens de lire.

Je n’arrive pas à le croire.

On touche au prodige. C’est un sentiment encore plus fort de savoir que c’est vrai. Comme si on m’avait révélé un secret, comme si cette histoire prenait une perspective nouvelle et devenait plus précieuse.

Bien sûr, les auteurs, malgré de nombreuses recherches, ont dû romancer quelques passages mais c’est la vérité. La vérité historique et celle de l’imagination, qui n’a aucune limite.

La vie est tellement plus puissante et surprenante que l’on croit.

 Je vous souhaite à tous une vie intérieure riche, une imagination débordante et une soif d’apprendre.

IL N’Y A PAS DE AJAR de Delphine Horvilleur

Commençons par les présentations

Qui est Delphine ?

C’est une journaliste, écrivaine, philosophe et femme rabbin française.

WoW ! Niveau intellectuel, ça se pose bien là ! Elle est très médiatisée. Normal, elle est très médiatique. Déjà, une femme rabbin, on n’en croise pas tous les jours. Mais surtout, sa parole est raisonnée, argumentée, claire, posée et lumineuse. Dans une époque troublée, c’est précieux. Et puis elle est belle (oui, on a dit pas le physique, mais bon sang qu’elle est belle).

Elle a écrit plusieurs livres que je n’ai jamais lus. Mais celui-ci, en folle raide dingue de Romain Gary, je ne pouvais pas m’y soustraire.

Ça commençait mal entre Delphine et moi

Je vous avoue que quand j’ai vu le sous-titre, Monologue contre l’identité, j’ai eu trois réactions :

  • encore l’identité !
  • Mon dieu, que ça va être chiant ! Identité et monologue, le combo pourri et soporifique.
  • Dans quelle galère va-t-elle me mettre MON Romain ?

En plus, c’est mensonger. Ce livre est en deux parties.

Pourquoi Ajar ?

Dans ce qui pourrait s’apparenter à une préface, Delphine commence par dire son lien particulier et son amour pour Gary. S’ensuit une réflexion qui aurait pu être une conversation entre elle et lui. Lui, qui a choisi de disparaître pour mieux se réinventer sous le pseudonyme d’Ajar. Elle, qui raconte une vieille légende du Talmud, l’histoire d’un homme qui, lui aussi, a choisi de renaître selon ses propres choix, par sa seule volonté. Deux récits différents pour un même sujet : l’identité. Celle qu’on nous assigne mais également, toutes celles qui nous attendent. Elle y questionne la religion juive, la littérature. Tout ce dont elle s’est saisie pour se construire.

Puis vient le monologue d’Abraham Ajar, fils d’Émile Ajar. Et oui, Ajar a eu un fils (si, si !). Ça vous en bouche un coin ?!

Et, croyez-moi, ce monologue est tout sauf barbant. Ça fuse, ça virevolte, c’est drôle, c’est mélancolique et c’est intelligent.

Arrêtez tout ! Ce petit livre est un trésor.

Il ne ressemble à rien mais il contient un monde, le monde.

Chacune de ses 88 pages est précieuse, vous illumine. Enfin ! Enfin une parole qui vous élève, qui dévoile une évidence devant vous, évidence ternie et occultée par tous les discours et injonctions délétères de notre société.

C’est comme une renaissance. Vous êtes au monde. Vous savez ? Avant qu’on vous enferme dans une origine, une religion, une couleur, une éducation, des traditions. Soudain, vous êtes riche de tout ce que vous avez été mais surtout de tout ce que vous serez. Tout est possible, rien ne nous limite, surtout pas notre identité.

C’est vertigineux ! Comme si les poids qui nous lestaient se détachaient (on va frôler le développement personnel 😂). On est enfin incomplet et toutes les possibilités qui s’offrent à nous sont grisantes (oui, j’ai vu la Vierge 🤪).

Après la lecture, on se sent riche de tout ce qu’on n’est pas. On se sent joyeux, libre, reconnaissant, un peu triste aussi parce que bon, y’a Gary, y’a Ajar, y’a Madame Rosa, parce que parfois, une révélation ça fait souffrir. Il faut lutter pour conquérir sa liberté.

Il devrait être obligatoire

C’est un plaidoyer contre les revendications, le renfermement, les certitudes… Un plaidoyer pour la liberté.

Et en plus, Delphine est drôle ! Elle s’amuse de tout, y compris de la religion. Yallah, enfin !

Et elle raconte si bien les histoires. On est transporté dans un monde de contes et légendes.

J’ai mis 1h30 à le lire. 1h30 de pur bonheur, ça n’a pas de prix.

MON PAUVRE LAPIN de César Morgiewicz

L’auteur ? Inconnu au bataillon !

Et pour cause : c’est son premier roman. J’espère que ce n’est pas le dernier.

J’ai ri, mais ri ! Et seule, dans des lieux publics, par-dessus le marché. À ne pas pouvoir me retenir. La dernière fois que ça m’a fait ça, c’était pour un roman de Fabrice Caro. Pas moyen de faire semblant de parler à quelqu’un, histoire de ne pas passer pour une folle. Et inutile d’essayer de se contrôler. C’est pire. C’est un rire qui jaillit, impérieux, irrépressible. Le problème c’est que le mien n’est pas du tout communicatif. Ce sont des soubresauts un peu bizarres, comme si j’avais le hoquet. S’ensuivent des regards gênants et gênés. Mais que c’est bon (de rire, pas de passer pour une folle) !

Je ne sais absolument pas si c’est une autobiographie ou un roman. J’espère secrètement que c’est vraiment son histoire, tellement c’est réconfortant de voir qu’il y a plus inadapté que soi. Toujours est-il que le héros (ou plutôt le anti-héros) s’appelle César.

Le récit démarre dans un amphithéâtre. César est en prépa en vue de repasser le concours de l’ENA qu’il vient de rater. Le professeur assène des conseils qui résonnent plutôt comme des menaces : « Seuls les candidats les plus solides… Il faut se démarquer… Vous devez être capable de mener une réunion ministérielle. » C’en est trop pour César qui n’est ni solide, ni à même de survivre dans un environnement concurrentiel, encore moins de mener quoi que ce soit. En bon hypocondriaque, il commence alors sa première crise cardiaque et stoppe tout net une prometteuse carrière de haut-fonctionnaire.

Ce n’est pas la première fois qu’il abandonne une brillante destinée. Que va-t-il pouvoir bien faire de sa vie ? Il a des tonnes d’idées plus hilarantes les unes que les autres mais décide déjà de rendre visite à sa grand-mère à Key West où elle hiberne quelques mois par an. C’est un strike total puisqu’il se retrouve bloqué là-bas suite au premier confinement.

Il va donc commencer à nous raconter sa vie. Depuis le début. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est un looser de naissance.

Mon dieu, que j’aime les loosers !

Je ne m’en lasse pas.

Attention ! Pas n’importe lesquels.

Le looser doit réunir trois conditions :

  • en être conscient,
  • faire preuve d’auto-dérision
  • et être drôle.

Avec César, c’est le jackpot ! Et plus il se moque de lui-même, mettant en avant ses fragilités, ses défauts, ses gaffes, ses tocs, plus il distance les autres, ceux qui ont les codes, ceux qui semblent parfaits et qui paraissent bien fades.

Et c’est drôle, tellement, qu’on en oublie qu’il nous parle de la société d’aujourd’hui, cruelle pour ceux qui ne rentrent pas dans la « norme », qui ne sont pas « performants ». Ça commence dès l’école ; il faut avoir plein d’amis, faire du foot pour les garçons, sortir, être invité, avoir son premier rapport sexuel avant tel âge, savoir quoi faire de sa vie.

« Je m’efforce d’être moi-même le moins possible et de lui ressembler le plus possible ce qui est en général ma stratégie quand je rencontre quelqu´un ».

Son livre est une ode aux inadaptés, à ceux qui sont à côté de leurs pompes, aux gens qui doutent d’Anne Sylvestre, à César qui fait croire qu’il passe le jour de l’an chez des amis mais qui le passe en scooter à un feu rouge.

Que j’aime ces gens-là. Ils m’émeuvent, me rassurent et me font rire.

Un premier roman prometteur

L’écriture de César est simple, familière, spontanée et impertinente. Il écrit comme il parle. C’est une conversation avec nous. D’ailleurs, il s’adresse directement à nous. Surtout, il a un don pour le comique de situation. On est comme au cinéma, on voit les gestes, les expressions, les regards, les bourdes.

Alors bon, c’est son premier roman, tout n’est pas parfait non plus, on s’emballe, on s’emballe, on est foufou. Hola, calmons-nous ! Le début est un peu brouillon, ça a tendance à partir dans tous les sens. Mais, passé les vingt-cinq premières pages, il tient son rythme et tout s’enchaîne.

Alors ? Qu’est-ce qu’on dit ? On dit merci à Émilie qui m’a fait découvrir César.

Je vous conseille ce livre, c’est un vrai éclat de rire de 228 pages !

INTERVIEW DE MICHÈLE FITOUSSI pour la sortie de son dernier livre LA FAMILLE DE PANTIN

La famille de Pantin est le dernier livre de la journaliste et écrivaine, Michèle Fitoussi.

C’est un livre multiple et universel. En retournant sur les traces de ses origines, elle raconte la famille, la transmission, l’exil, l’histoire des Juifs de Tunisie et le nécessaire besoin de savoir de quoi on est fait. En faisant rejaillir tout un passé, son récit résonne en chacun de nous.

Après l’avoir lu, j’ai eu envie d’en savoir plus. Michèle a accepté de répondre à mes questions sur la génèse de son livre. Je la remercie de s’être livrée avec sincérité et générosité.

Apparemment, ce n’est pas votre premier essai. Vous aviez déjà essayé d’écrire sur vos origines. Pourquoi cela ne s’est pas fait ?

J’ai écrit un roman il y a une trentaine d’années sur la Tunisie des années 20 à 50. J’avais interrogé ma grand-mère, mon oncle, une grand-tante, ma mère aussi je crois et compulsé des tonnes d’archives. J’avais même travaillé à la bibliothèque nationale de Tunis, située dans la Medina, au souk El Attarine, celui des Parfumeurs, elle a changé  d’adresse depuis, et lu des tas de journaux. À l’époque, ce n’était pas aussi simple qu’aujourd’hui, il n’y avait pas internet ni tous ces sites consacrés aux Juifs de Tunisie, ni même une littérature importante sur le sujet. Les publications ont commencé dans les années quatre-vingt-dix. 

Ce livre venait après deux gros best-sellers, Le Ras le Bol des Super Women et Lettre à mon fils, qui m’avaient fait connaître. Mais mon éditeur d’alors ne l’a pas aimé et, dépitée, je l’ai rangé dans un fichier de mon ordinateur. Toute cette histoire me trottait cependant  dans la tête, j’y pensais souvent. Surtout quand on allait en famille au cimetière de Pantin et que se déroulait cette première scène qui ouvre le livre et qui me faisait sourire intérieurement.

Et puis un jour je me suis dis qu’il fallait que j’y retourne et c’était sans doute le bon moment. Entre temps, j’avais perdu la moitié du roman, oublié tout ce que j’avais lu, il me restait des notes même pas triées, je repartais quasiment de zéro…

Que vous a apporté l’écriture de ce livre de plus que le voyage en Tunisie ?

 Une déconstruction puis une reconstruction de mes souvenirs, de mon identité, de mes idées, de mes croyances. Une mise au point personnelle. Un voyage intérieur. Et des pièces d’un puzzle qui s’assemblent enfin.

Est-ce que ce livre a été difficile à écrire ? Ça a été une souffrance ? Un bonheur ? Facile ? Compliqué ?

Horriblement difficile. Je l’ai commencé véritablement en mars 2020, lors du premier confinement, sans réussir à écrire une ligne pendant des mois,  et d’une façon générale, j’ai eu un mal fou à l’écrire. J’ai énormément travaillé, coupé, recoupé, réécrit, suivi les conseils de mes éditeurs quand ils lisaient mes versions successives. J’étais très angoissée par l’idée de ne pas être à la hauteur de mon sujet. J’ai terminé avec un eczéma géant…

Avez-vous parlé de votre projet de livres à vos proches (enfants, tante Pim ) ou leur avez-vous fait lire une fois terminé ?

Oui bien sûr.

Comment ont-ils réagi ?

Mes deux  enfants, Léa et Hugo Domenach, m’avaient précédé en écrivant un livre sur leur famille paternelle, Les Murs Blancs , paru en 2021 aux éditions Grasset. Ils ont parfaitement compris ma démarche même si mon livre n’a que peu de rapport avec le leur. Mais dans les deux cas, c’est une histoire de transmission qui n’a pas été faite. Eux ont transmis et moi j’ai voulu leur transmettre… Tante Pim, oncle Pap, mon père, je les ai beaucoup interrogés. Je voulais le point de vue de ma famille, pas de celle des autres. J’ai interrogé mes grands cousins aussi. Mais personne n’a rien lu avant parution à part mes éditeurs, mon agente et mon compagnon. J’étais stressée à l’idée que ma famille n’aime pas, ou que certains m’en veuillent de m’être appropriée une histoire qui est aussi la leur, et ils ont tous adoré.

Aviez-vous conscience en l’écrivant qu’il était aussi « universel » ? Qu’il pouvait résonner avec l’histoire des gens, même s’ils ne sont ni juifs ni tunisiens ?

Je l’espérais, mais on ne sait jamais. Je me rends compte qu’il touche beaucoup de monde car les réactions sont assez  unanimes. Paloma Grossi, mon éditrice, m’a dit après avoir lu une ou deux versions : je ne suis ni Juive ni Tunisienne mais suis très touchée par ce texte. Ces mots m’ont fait comprendre que oui, ce livre s’adressait à tout le monde en réalité même si je l’ai d’abord chuchoté à moi-même.

Allez-vous retourner régulièrement en Tunisie ? En ressentez-vous le besoin ?

J’espère y présenter mon livre. Un ami éditeur là-bas voudrait en faire une version pour les Tunisiens, plus abordable. Ce n’est pas un pays qui me manque mais j’aime bien y aller. J’aime bien superposer mes souvenirs avec ce que j’en vois. Mais ma nostalgie tient plus du fantasme que de la réalité.

Que diriez-vous à l’adolescente que vous étiez et qui avait du mal à assumer ses origines ? 

Qu’il est bon d’empiler les strates. Que les identités multiples sont une richesse.

Que dirait l’adolescente à l’adulte que vous êtes devenue ?

Tu as réussi à atteindre tes rêves même si tous ne se sont pas réalisés.

Quand vous regardez votre parcours, personnel et professionnel, y-a-t-il des choses que vous expliquez mieux maintenant à la lumière de votre histoire, de vos origines ?

Oui sans doute. Il faut du temps pour se comprendre. Et quelques bonnes années d’introspection sur le divan.

Y’a t’il une phrase en particulier ou un passage qui est important pour vous et qui est la clé du livre ?

« Je suis une nostalgique de la nostalgie » . Et puis cette phrase d’Albert Memmi que j’ai mise en exergue : « On n’en a jamais fini avec son pays natal ».

Depuis la sortie du livre, avez-vous eu des retours inattendus, originaux ?

Oui, celui de Myriam Thibaut qui m’interrogeait la semaine dernière au cours d’une rencontre à la librairie de L’Instant. Elle a lu cinq ou six de mes livres à la file pour l’occasion puisque le thème de cette rencontre portait sur « Les coulisses de l’écriture » et elle m’a dit : «  Il y a un thème commun à tous vos livres. C’est l’exil ». Et effectivement, toutes mes héroïnes, Helena Rubinstein, Janet Flanner, Malika Oufkir, Loumia Hiridjee, sont des exilées. Comme moi. Comme ma famille. Ça m’a scotchée.

Quels sont vos livres préférés ?

Difficile de répondre… Je vous donne en vrac ce qui me vient à l’esprit : Vie et destin de Vassili Grossman, Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durell, Le lièvre aux yeux d’ambre de Edmund de Waal, Corps et Âmes de Frank Conroy, Le chapiteau vert de Ludmilla OulitskaÏa, Dernier été en ville de Gianfranco Galigarich, Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe, Une femme fuyant l’annonce de David Grossman, Une histoire d’amour et de ténèbres d’Amos Oz… C’est tellement peu exhaustif. Parce que je lis énormément en vérité et de tout. Ces livres correspondent surtout  à des moments de ma vie. Quand j’aime un livre j’en parle tout le temps, je suis mono maniaque. Jusqu’au suivant…

Le mot de la fin ?

En faut-il un ? Tout a déjà une fin…

LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ de Victor Hugo

J’attaque direct, qu’il n’y ait aucun malentendu

Ce livre, véritable plaidoyer contre la peine de mort, ne m’a pas convaincue. Je l’étais déjà.

Je suis contre la peine de mort. QUEL QUE SOIT le crime. C’est une conviction absolue et totale.

Y’a pas de « oui mais sauf pour les crimes d’enfants, pour les tortures, etc ». Si on commence à faire des exceptions, on est pour.

Aucune justice ne peut attenter à la vie. Et ce n’est pas parce que certains l’ont fait que ça légitime que la société fasse pareil et surtout le planifie froidement en notre nom à tous (donc au mien).

Évidemment, si on touchait à mes enfants, j’aurais la haine et peut-être l’envie de tuer. Ça s’appelle de la vengeance, en aucun cas de la Justice. Et j’espère bien ne pas m’y abaisser (et j’espère bien, surtout, ne pas y être confrontée).

Ce sont justement mes filles qui m’ont conseillé ce livre. Il est gratuit sur ma liseuse (y’a pas de petites joies pour mon pouvoir d’achat 🤪).

C’est parti !

L’histoire autour du livre

Le livre s’est enrichi au gré des différentes éditions. La version que j’ai lue est la plus complète.

A l’origine, en 1829, le livre sort de manière anonyme, sans mentionner d’auteur. Hugo le souhaitait comme un réquisitoire universel contre la peine de mort. Pour que son récit soit plus fort et plus efficace, il devait être dépouillé de tous les oripeaux de l’édition. Pas de préface, pas d’introduction, pas d’auteur. Juste la matière brute au service d’une cause.

Sauf que le livre a fait jaser dans les salons, les hypothèses sont allées bon train et il a rapidement été démasqué. Critiqué également. Pas d’histoire, on ne sait rien, ni du narrateur, ni de son passé, juste une litanie de lamentations car il va mourir.

Hugo, loin de s’en offusquer, va prendre en compte ces critiques et y apporter des réponses lors des rééditions du livre.

Un livre en 3 parties et en 3 styles

  • Une préface, ajoutée, donc, ultérieurement par Victor et dans laquelle il déroule ses arguments contre la peine capitale. C’est construit, logique et rationnel.
  • « Une comédie à propos d’une tragédie ». Oh qu’il est malin, le bougre ! Une saynette unique (façon pièce de théâtre), dans un salon parisien. Des bourgeois et notables y discutent du livre, font mine de le découvrir (comble du snobisme) mais plus la conversation progresse, plus on se rend compte qu’ils l’ont tous lu. Ils en disent le plus grand mal, mais ce faisant, se ridiculisent. Leur superficialité vient renforcer l’argumentaire de Victor Hugo. Quelle façon magistrale de répondre aux critiques les plus hypocrites ! C’est vif, enlevé, léger dans la forme. Une conversation savoureuse sous forme de comédie.
  • Enfin, le livre en lui-même, journal intime d’un condamné à mort aux derniers jours de sa vie. Monologue dantesque qui nous fait vivre ses souffrances.

On ne saura rien ni du crime ni du condamné. Vraiment ?

Le narrateur est donc le condamné. Cet homme représente tous les condamnés du monde, son crime pourrait être tous les crimes du monde. Là encore, pour accroître la force de son propos, Victor Hugo ne nous dit rien, ni de son histoire, ni de son crime.

Enfin, rien, pas tout à fait. Il y a quelques informations, mais surtout plein d’indices qui permettent de dresser son portrait.

Il est jeune, dans la force de l’âge, marié, père d’une petite fille et le couple vit avec sa mère. Ses figures de référence sont exclusivement féminines, aucune mention de son père. Il a reçu une éducation, sait lire et écrire et s’exprime dans un langage châtié qui contraste avec le parler rude et populaire des autres détenus. Il cite même Macbeth. Il est habitué à un certain confort et a des loisirs.

Il est coupable d’un crime (le sang a coulé) et ne le nie à aucun moment.

Bon. Et le livre alors ?

C’est terrible, forcément terrible. La mort y est omniprésente, bien sûr, mais surtout la vie. Cette vie à laquelle il s’accroche. Face à sa fin imminente, il oscille entre incrédulité et frayeur.

Incrédulité face à la sentence. Ce n’est pas concevable, c’est tout bonnement impossible, comme un mauvais rêve, il va forcément être gracié.

Frayeur, en repensant à cette vie qu’il aime et qu’il va perdre, aux êtres chers dont il est responsable. Même ses compagnons d’infortune condamnés au bagne lui semblent chanceux. Cette frayeur se manifeste concrètement, il est tétanisé, ne peut bouger, et parfois s’évanouit.

C’est un compte à rebours macabre qui s’enclenche, tel un sablier égrenant ses supplices physiques et psychiques. La vie qui s’échappe déjà. Il y a lui et les autres (juges, avocat, forçats, gardien, prêtre). Les autres ne font que passer dans cette antichambre de la mort dans laquelle il se trouve.

On touche au plus près de la fragilité et du désespoir d’un homme.

On perçoit aussi la vacuité d’une sentence qui n’a de valeur que pour ceux qui la prononcent ou la regardent. Les uns engoncés dans leurs certitudes et la satisfaction du bon ordre des choses. Les autres, cette foule monstrueuse (la foule l’est souvent) et avide de spectacle.

Juste une réserve (de taille 🤨). Hugo nous fait ressentir au plus près ce que le condamné ressent. On est dans l’émotion pure. Je trouve ce pathos dérangeant sur un sujet aussi important. La raison pure devrait suffire.

On pourrait penser que ce livre n’est plus d’actualité. Je trouve qu’il est plus nécessaire que jamais.

Et partant du principe qu’il faut toujours maintenir sa garde, je terminerai par deux phrases :

  • « En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit ».
  • « Se venger est d’un individu, punir est de dieu ».

THÉRÈSE DESQUEYROUX de François Mauriac

Ça va pas fort Thérèse…

Et on la comprend. Sa vie est terne, étriquée, sans perspectives. En plus, elle est dans une mauvaise posture. Elle a tenté d’empoisonner son mari.

On est au début du XXème siècle. Le livre débute à la fin de son procès, après le verdict. Non-lieu. Tout ça grâce à Bernard, son mari, qui, effrayé du scandale et des retombées que cela pourrait avoir sur le nom et la famille, préfère témoigner en sa faveur.

Diantre ! Le nom, pensez ! Desqueyroux, un nom de région, bien implanté, bien respectable, synonyme de places réservées à l’église mais surtout de terres et de domaines.

Bernard n’a pas pris cette décision seul. Sa mère est toujours dans les parages. À l’époque, vous ne prenez pas seulement un mari, vous prenez les beaux-parents qui vont bien bien vous surveiller.

Comment Thérèse en est arrivée là ?

Son père vient la chercher à la fin du procès pour la ramener auprès de son mari (ben oui, toujours vivant, essai non transformé). Tout le temps du voyage, elle essaie de comprendre son geste et de structurer une défense, tout du moins un semblant d’explication pour son époux.

Elle se remémore sa vie.

Région bordelaise. Thérèse est orpheline de mère et son père a d’autres préoccupations que sa fille (faut pas déconner). Il l’envoie en pension. C’est une enfant exaltée. Elle lit beaucoup, réfléchit beaucoup, a des aspirations, des envies. Elle veut vivre grand alors qu’autour d’elle tout est petit. Elle est différente.

Elle revient dans le hameau familial à chaque vacances. Elle y retrouve son amie Anne, plus jeune qu’elle, plus ignorante mais d’une nature plus simple et enjouée. Et l’alchimie fonctionne. Thérèse adore Anne. Elles sont différentes, mais complices. Comme si Anne lui transmettait un peu de son insouciance, ou du moins lui permettait d’oublier les passions qui l’animent.

Thérèse grandit ainsi et finit par se dire que le mariage est peut-être la solution. Elle sortira de cet état d’insatisfaction permanente et vivra un amour épanouissant.

C’est sans compter sur Bernard.

Bernard Desqueyroux est le frère d’Anne. Le mariage est arrangé depuis belle lurette. Pas d’amour, d’ailleurs Bernard n’est pas pressé de se ranger, heureux qu’il est entre la chasse et ses affaires. Que ferait-il d’une femme ? Mais bon, faut bien penser à perpétuer la lignée.

Le mariage est tranquille du côté de Bernard et malheureux pour Thérèse.

C’est alors qu’Anne, sa chère amie, s’éprend d’un jeune homme qui n’est pas du tout (mais alors pas du tout) envisagé par la famille.

Bernard compte sur Thérèse pour faire entendre raison à sa sœur. Le lecteur pense de prime abord que c’est la bien mauvaise personne pour faire entendre raison à qui que ce soit. Mais, partant du principe qu’il ne suffit pas d’être malheureux, encore faut-il que les autres le soient, Thérèse va s’acquitter de sa mission.

Et oui, Thérèse est une femme complexe.

Et puis, soudain, une opportunité

On voit progressivement Thérèse s’enfoncer dans une sorte de léthargie, elle se réfugie dans une vie imaginaire, celle qu’elle devrait vivre, plutôt que d’être engoncée dans les convenances, embarassée, entre son mari, son enfant et sa belle-mère. Elle n’est ni fille, ni épouse, ni mère. Elle est femme.

Malgré cela, jamais elle n’a pensé à se débarrasser de son mari. Mais la vie est ainsi faite qu’il y a des opportunités qui prennent l’aspect éblouissant de solutions.

Bien évidemment, elle va se rater et son retour ne sera pas simple.

Mauriac nous livre un portrait romanesque

On pense à Emma Bovary, bien sûr. La province, ses mœurs, son hypocrisie et son ennui. Mais à la différence d’Emma, Thérèse n’est pas dans l’excès. Elle est réfléchie, intérieure (comme en témoigne le monologue de début du livre). Elle ne cherche pas à s’enivrer dans un tourbillon d’amants ou de belles toilettes. Elle veut sa liberté et elle l’obtiendra de façon presque « passive ».

C’est un beau portrait de femme, complexe. Écrit par un homme. Je suis toujours aussi surprise quand des hommes parlent aussi bien des femmes. Comme Kessel dans « Belle de jour » (chronique à lire ICI) et tant d’autres.

Je n’avais jamais lu François Mauriac. C’est surprenant et séduisant.

Surprenant, car les individus communiquent très peu entre eux, et pourtant les situations et personnalités sont précises, dans une économie de descriptions ou d’effets.

Séduisant, car ce petit livre est tellement riche. La société de l’époque, la religion, les femmes à la fois victimes et bourreaux, la psychologie. Il y a tellement de choses. Et la nature aussi. Qu’elle soit accueillante ou menaçante, on sent un amour profond pour la nature et surtout pour cette région bordelaise. La région de Mauriac.

LE MIEL INALTÉRABLE de Marguerite Yourcenar

Le miel inaltérable au fond de chaque chose

Est fait de nos douleurs, nos désirs, nos remords ; 

L’alambic éternel où le temps recompose

Les larmes des vivants et la pitié des morts.

D’identiques effets regerment de leur cause ; 

La même note vibre à travers mille accords ; 

On ne sépare pas le parfum de la rose ;

Je ne sépare pas votre âme de son corps.

L’univers nous reprend le peu qui fut nous-mêmes. 

Vous ne saurez jamais que mes larmes vous aiment ; 

J’oublierai chaque jour combien je vous aimais.

Mais la mort nous attend pour nous bercer en elle ; 

Comme une enfant blottie entre vos bras fermés, 

J’entends battre le cœur de la vie éternelle.

L’INCONDUITE de Emma Becker

Cette chronique va partir en cacahuète…

… tellement je ne sais pas par où commencer. Par le commencement, peut-être.

Je connais Emma depuis son passage à la Grande Librairie où elle parlait de son livre « La Maison ». Elle y racontait ses presque deux ans dans une maison close en Allemagne devant un François Busnel médusé et des invités qui se tortillaient entre gêne et shocking.

Moi, j’étais en totale admiration devant une femme aussi jeune parlant librement et naturellement de son expérience de relations tarifées comme elle vous raconterait son dernier après-midi shopping.

J’ai donc lu « La Maison » et j’ai adoré.

Lire « L’Inconduite » était une évidence et je n’ai pas été déçue !

Ce livre est tellement foisonnant et puissant. C’est un choc !

Il s’agit toujours d’une autofiction, mais plus cérébrale. On est dans la tête d’Emma. Elle nous livre crûment ses états d’âme, les envies qui l’assaillent, qu’elle subit, qu’elle essaie d’assouvir (souvent), de comprendre (toujours) et d’intégrer à sa vie, quitte à en changer (je vous avais prévenus que je naviguais à vue 🤪).

Elle vient d’avoir un enfant, vit en couple. Sur le papier, elle est rangée des voitures. Sur le papier seulement. Elle aime trop les hommes, leur corps, leurs désirs, elle aime trop tomber amoureuse, s’imaginer des histoires parfaites.

Emma s’autorise tout

  • À parler de sexe crûment.

C’est rare, une femme qui parle de sexe. Le sexe, c’est l’apanage des hommes depuis la nuit des temps. Les femmes parlent de sentiments. Il y en a eu, bien sûr, quelques-unes qui s’y sont risquées (Régine Desforges, Catherine Millet…) mais ce sont des exceptions qui confirment la règle. Quand elles parlent sexe, elles sont vite cataloguées nymphomanes ou putains.

Et quand, en plus, elles sont sont mères, alors là, c’est un strike, on touche au sacrilège ! Mère ou putain, il faut choisir.

  • À se livrer sans aucun filtre.

J’ai rarement vu une franchise aussi déroutante. Elle dit tout ce qu’on cache habituellement : son aliénation pour le désir des hommes, ses faiblesses, ses renoncements, ses maladresses, ses humiliations. Elle n’occulte rien, comme si le plaisir continuait dans l’analyse de tout ce qui a foiré. S’y complaire parce qu’inconsciemment c’est ce qu’on voulait, ce qu’on attendait.

  • À s’arroger le statut d’écrivaine, de femme libre et de mère

Elle ne renonce à rien et n’attend la permission ou l’adoubement de personne.

Ce livre est grand

Certains n’y verront qu’un livre de cul. Quel dommage !

La portée de son récit est multiple et s’attaque à plusieurs tabous :

  • en libérant la parole autour du sexe, du corps des hommes, Emma est féministe.
  • en s’emparant du statut de mère, Emma est féministe.
  • en s’arrogeant le titre d’écrivaine, Emma est féministe.
  • en exigeant du temps et un lieu pour elle, Emma est féministe.
  • en acceptant ce qu’elle est et d’où elle vient, Emma est féministe.

Ce n’est pas tant ce qu’elle dit (enfin un chouïa quand même 🤪) mais qu’elle s’autorise à le dire qui rend Emma féministe et libre.

Seul bémol, parfois, le récit est un peu foutraque ou avec quelques longueurs. Rien de grave, je suivrais Emma n’importe où 🤪.

Et puis, elle est drôle, mais drôle !

Alors, un livre qui parle des femmes, qui parle aux femmes, qui fait avancer leur cause et qui en plus fait rire… Quoi de mieux pour démarrer 2023 ? Un nouveau livre d’Emma, pardi !

LA MÉTAMORPHOSE de Franz Kakfka

Quand fifille fait des prescriptions lecture

Fifille N°2 a passé 6 mois à Prague. Elle en est revenue pleine de découvertes, de nouveaux amis et avec des livres de Kafka.

Persuadée que je connaissais, elle me demande mon avis. Ah ah ah. Non. Jamais lu. Hormis que son œuvre a donné naissance à l’adjectif kafkaïen, ça s’arrête là.

Et v’là-t’y pas qu’elle se met à me le conseiller. Non mais où va-t-on ? Ben, dans sa chambre, on lui pique le livre et on lit !

Le pitch

Je passerai très vite dessus tant il est connu.

Prague (enfin, je suppose), début du siècle. Gregor Samsa est un voyageur de commerce. Il habite chez ses parents, avec sa sœur. C’est le soutien de famille. Suite à la faillite de son père, il est chargé de rembourser ses dettes et de maintenir le niveau de vie familial.

Un matin, alors qu’il doit prendre un train très tôt pour son travail, il n’arrive pas à s’extraire de son lit. Il s’est transformé en un énorme cancrelat. Inquiète, sa famille toque à sa porte. Que faire ?

Faire simple, c’est ce qu’il y a de plus compliqué

C’est un roman court ou une longue nouvelle, 120 pages. Ça se lit vite, c’est simple, pas un ouvrage majeur au premier abord, je me demande pourquoi tout le monde en fait un foin pareil. Et pourtant ! C’est fulgurant et je n’arrête pas d’y penser.

Cette métamorphose qui semble pour le moins grotesque, permet en réalité de couvrir de multiples sujets : l’individu, la famille, la société. On atteint une réflexion quasi philosophique sur la vie.

Pourquoi choisir de transformer son héros en pire bestiole de la création ? Un cafard, un bousier, qui rampe, qui se cache, qui inspire le dégoût, qu’on écrase.

En réalité, c’est d’une intelligence pure. Au travers de cette simple et hideuse métamorphose, Kafka va pouvoir :

  • traduire le dégoût de soi, de sa vie, des autres,
  • provoquer les réactions les plus extrêmes. Il plante sa transformation, sans justifications, sans explications, sans jugements… et attend. Il n’a plus qu’à laisser venir et observer les réactions (monstrueuses, forcément monstrueuses) qui, à elles seules vont constituer une critique cruelle et définitive de la société.

Tout y passe : le travail et son aliénation, la famille et ses relations toxiques, la société, ses convenances et son hypocrisie.

Gregor est le soutien de famille à la place du père qui a failli. Les parents, la sœur, tous lui sont redevables jusqu’à finir inconsciemment par le détester. Quant à lui, il est tout entier à la tâche qu’on lui a assignée, jusqu’à s’oublier. Il n’y a pas d’issue dans une famille et une société sclérosées par les convenances et la respectabilité. Si, il y a une issue, la seule qu’il trouve : se désigner coupable d’une faute qu’il n’a pas commise, pour s’en libérer et en libérer les autres.

Ce livre est magnifique, une bombe à retardement qui vous obsède bien après l’avoir refermé. Et savez-vous à quoi j’ai pensé ?

D’abord, que ce livre pourrait être un outil formidable de réflexion et d’idées pour les coachs en développement personnel (oui Kafka va se retourner dans sa tombe en lisant ça 🤣).

Enfin, à l’écrivain Alexandre Vialatte (voir chronique ICI) qui a traduit les œuvres de Kafka en français et a permis la diffusion de son génie (ouais, carrément).

Bonne lecture à tous !

PEAU D’HOMME de Hubert et Zanzim

Mais quelle est donc la différence entre une BD et un roman graphique ?

Le roman graphique semble se vouloir plus respectable. Plus long, il raconte une histoire entière sans avoir besoin de plusieurs tomes et surtout une histoire plus ambitieuse. 🧐 Mouais. Franchement ça me semble un peu subjectif tout ça.

Art Spiegelman aurait dit : « Un roman graphique est une bande dessinée qui nécessite un marque-page”.

Je vais faire ma vieille réac mais ça me semble du snobisme.

Bref, je vais vous parler d’une bande dessinée, une BD, comme quand j’étais petite.

Mais pas n’importe quelle BD !

J’en avais entendu parler il y a longtemps déjà. Des critiques dithyrambiques, des prix à foison, un bel objet à la couverture magnifique. Mais j’ai passé mon chemin en pensant à ma pile de livres.

Hé bien, mieux vaut tard que jamais ! Je suis tellement heureuse de ne pas être passée à côté.

Dans l’Italie de la renaissance, Bianca, jeune fille d’une famille honorable, est promise à Giovanni, un jeune marchand aisé, respecté et très bien fait de sa personne.

Il s’agit bien évidemment d’un mariage arrangé. Bianca ne connaît pas son futur époux. Elle est belle, mais la beauté n’a jamais constitué une dot. Tout au plus une convoitise ou un trophée. Les négociations sont âpres entre les familles.

Beaucoup de jeunes filles seraient ravies, toutes n’ont pas la chance de se voir destiner un mari de leur âge et agréable à regarder. En témoignent ses meilleures amies.

Pourtant, quelque chose chiffonne Bianca. Elle voudrait connaître son promis avant de l’épouser. Quelle idée farfelue ! Réjouis-toi, pauvre sotte et arrête d’avoir des pensées extravagantes !

Seule sa marraine semble lui accorder crédit. Elle propose aux parents de Bianca d’héberger quelques jours sa filleule avant le mariage. Elle va alors lui révéler l’existence d’un secret de famille. Il s’agit d’un trésor qui a traversé les générations de femmes et connu d’elles seules : une peau d’homme.

Dans sa nouvelle peau, Bianca va découvrir le monde des hommes.

Tout le monde devrait avoir une peau de l’autre sexe.

Je trouve que tout le monde devrait vivre cette expérience.

Les femmes expérimenteraient la liberté absolue (enfin presque, n’exagérons rien). La liberté de se promener sans se faire interpeller, sans avoir peur, sans être la cible de reproches quant à leur tenue. La liberté de pouvoir parler impunément sans craindre les sous-entendus. La liberté de faire le premier pas aussi, de penser d’abord à leur plaisir sans passer pour des nymphomanes de la pire espèce. Mais également connaître les injonctions faites aux hommes, celles d’être des mâles, des vrais.

Quant aux hommes, passer une journée dans la peau d’une femme devrait être obligatoire (oui, j’ai un fond dictatorial 😈). À la fin de la journée, je pense que le problème serait réglé. Après s’être fait apostropher et avoir subi quelques mains au cul plus deux ou trois frottements dans le métro, je pense qu’ils comprendraient tous. L’éducation par la mise en pratique !

Mais revenons-en à Peau d’homme. Cette BD est un bijou de beauté et d’intelligence. Elle parle de genre, de tolérance, de liberté, du poids des convenances et de la religion, d’égalité des sexes, d’homosexualité.

Fourre-tout et dans l’air du temps me direz-vous ? Que nenni !

Cet ouvrage magnifique évite tous les pièges et clichés. Il ne se prend pas au sérieux pour aborder des thèmes qui le sont. Mais il le fait consciencieusement. C’est intelligent, léger, drôle, pétillant comme une coupe de champagne et d’une beauté incroyable. Une sorte de conte immersif qui vous fait réfléchir bien longtemps après l’avoir terminé.

Le traité graphique est à couper le souffle. On se croirait dans un théâtre. Une fois les décors intégrés, la priorité est donnée aux personnages qui semblent s’animer sous nos yeux. Le dessin est simple, presque épuré et les couleurs sont superbes de justesse.

Bon, vous l’aurez compris, j’ai kiffé cette BD. Noël approche et c’est une excellente idée cadeau pour TOUT LE MONDE, adultes, adolescent·e·s, c’est un vrai livre d’utilité publique. Zou !

Bonne semaine à tous !

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