J’attaque direct, qu’il n’y ait aucun malentendu
Ce livre, véritable plaidoyer contre la peine de mort, ne m’a pas convaincue. Je l’étais déjà.
Je suis contre la peine de mort. QUEL QUE SOIT le crime. C’est une conviction absolue et totale.
Y’a pas de « oui mais sauf pour les crimes d’enfants, pour les tortures, etc ». Si on commence à faire des exceptions, on est pour.
Aucune justice ne peut attenter à la vie. Et ce n’est pas parce que certains l’ont fait que ça légitime que la société fasse pareil et surtout le planifie froidement en notre nom à tous (donc au mien).
Évidemment, si on touchait à mes enfants, j’aurais la haine et peut-être l’envie de tuer. Ça s’appelle de la vengeance, en aucun cas de la Justice. Et j’espère bien ne pas m’y abaisser (et j’espère bien, surtout, ne pas y être confrontée).
Ce sont justement mes filles qui m’ont conseillé ce livre. Il est gratuit sur ma liseuse (y’a pas de petites joies pour mon pouvoir d’achat 🤪).
C’est parti !
L’histoire autour du livre
Le livre s’est enrichi au gré des différentes éditions. La version que j’ai lue est la plus complète.
A l’origine, en 1829, le livre sort de manière anonyme, sans mentionner d’auteur. Hugo le souhaitait comme un réquisitoire universel contre la peine de mort. Pour que son récit soit plus fort et plus efficace, il devait être dépouillé de tous les oripeaux de l’édition. Pas de préface, pas d’introduction, pas d’auteur. Juste la matière brute au service d’une cause.
Sauf que le livre a fait jaser dans les salons, les hypothèses sont allées bon train et il a rapidement été démasqué. Critiqué également. Pas d’histoire, on ne sait rien, ni du narrateur, ni de son passé, juste une litanie de lamentations car il va mourir.
Hugo, loin de s’en offusquer, va prendre en compte ces critiques et y apporter des réponses lors des rééditions du livre.
Un livre en 3 parties et en 3 styles
- Une préface, ajoutée, donc, ultérieurement par Victor et dans laquelle il déroule ses arguments contre la peine capitale. C’est construit, logique et rationnel.
- « Une comédie à propos d’une tragédie ». Oh qu’il est malin, le bougre ! Une saynette unique (façon pièce de théâtre), dans un salon parisien. Des bourgeois et notables y discutent du livre, font mine de le découvrir (comble du snobisme) mais plus la conversation progresse, plus on se rend compte qu’ils l’ont tous lu. Ils en disent le plus grand mal, mais ce faisant, se ridiculisent. Leur superficialité vient renforcer l’argumentaire de Victor Hugo. Quelle façon magistrale de répondre aux critiques les plus hypocrites ! C’est vif, enlevé, léger dans la forme. Une conversation savoureuse sous forme de comédie.
- Enfin, le livre en lui-même, journal intime d’un condamné à mort aux derniers jours de sa vie. Monologue dantesque qui nous fait vivre ses souffrances.
On ne saura rien ni du crime ni du condamné. Vraiment ?
Le narrateur est donc le condamné. Cet homme représente tous les condamnés du monde, son crime pourrait être tous les crimes du monde. Là encore, pour accroître la force de son propos, Victor Hugo ne nous dit rien, ni de son histoire, ni de son crime.
Enfin, rien, pas tout à fait. Il y a quelques informations, mais surtout plein d’indices qui permettent de dresser son portrait.
Il est jeune, dans la force de l’âge, marié, père d’une petite fille et le couple vit avec sa mère. Ses figures de référence sont exclusivement féminines, aucune mention de son père. Il a reçu une éducation, sait lire et écrire et s’exprime dans un langage châtié qui contraste avec le parler rude et populaire des autres détenus. Il cite même Macbeth. Il est habitué à un certain confort et a des loisirs.
Il est coupable d’un crime (le sang a coulé) et ne le nie à aucun moment.
Bon. Et le livre alors ?
C’est terrible, forcément terrible. La mort y est omniprésente, bien sûr, mais surtout la vie. Cette vie à laquelle il s’accroche. Face à sa fin imminente, il oscille entre incrédulité et frayeur.
Incrédulité face à la sentence. Ce n’est pas concevable, c’est tout bonnement impossible, comme un mauvais rêve, il va forcément être gracié.
Frayeur, en repensant à cette vie qu’il aime et qu’il va perdre, aux êtres chers dont il est responsable. Même ses compagnons d’infortune condamnés au bagne lui semblent chanceux. Cette frayeur se manifeste concrètement, il est tétanisé, ne peut bouger, et parfois s’évanouit.
C’est un compte à rebours macabre qui s’enclenche, tel un sablier égrenant ses supplices physiques et psychiques. La vie qui s’échappe déjà. Il y a lui et les autres (juges, avocat, forçats, gardien, prêtre). Les autres ne font que passer dans cette antichambre de la mort dans laquelle il se trouve.
On touche au plus près de la fragilité et du désespoir d’un homme.
On perçoit aussi la vacuité d’une sentence qui n’a de valeur que pour ceux qui la prononcent ou la regardent. Les uns engoncés dans leurs certitudes et la satisfaction du bon ordre des choses. Les autres, cette foule monstrueuse (la foule l’est souvent) et avide de spectacle.
Juste une réserve (de taille 🤨). Hugo nous fait ressentir au plus près ce que le condamné ressent. On est dans l’émotion pure. Je trouve ce pathos dérangeant sur un sujet aussi important. La raison pure devrait suffire.
On pourrait penser que ce livre n’est plus d’actualité. Je trouve qu’il est plus nécessaire que jamais.
Et partant du principe qu’il faut toujours maintenir sa garde, je terminerai par deux phrases :
- « En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit ».
- « Se venger est d’un individu, punir est de dieu ».