LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ de Victor Hugo

J’attaque direct, qu’il n’y ait aucun malentendu

Ce livre, véritable plaidoyer contre la peine de mort, ne m’a pas convaincue. Je l’étais déjà.

Je suis contre la peine de mort. QUEL QUE SOIT le crime. C’est une conviction absolue et totale.

Y’a pas de « oui mais sauf pour les crimes d’enfants, pour les tortures, etc ». Si on commence à faire des exceptions, on est pour.

Aucune justice ne peut attenter à la vie. Et ce n’est pas parce que certains l’ont fait que ça légitime que la société fasse pareil et surtout le planifie froidement en notre nom à tous (donc au mien).

Évidemment, si on touchait à mes enfants, j’aurais la haine et peut-être l’envie de tuer. Ça s’appelle de la vengeance, en aucun cas de la Justice. Et j’espère bien ne pas m’y abaisser (et j’espère bien, surtout, ne pas y être confrontée).

Ce sont justement mes filles qui m’ont conseillé ce livre. Il est gratuit sur ma liseuse (y’a pas de petites joies pour mon pouvoir d’achat 🤪).

C’est parti !

L’histoire autour du livre

Le livre s’est enrichi au gré des différentes éditions. La version que j’ai lue est la plus complète.

A l’origine, en 1829, le livre sort de manière anonyme, sans mentionner d’auteur. Hugo le souhaitait comme un réquisitoire universel contre la peine de mort. Pour que son récit soit plus fort et plus efficace, il devait être dépouillé de tous les oripeaux de l’édition. Pas de préface, pas d’introduction, pas d’auteur. Juste la matière brute au service d’une cause.

Sauf que le livre a fait jaser dans les salons, les hypothèses sont allées bon train et il a rapidement été démasqué. Critiqué également. Pas d’histoire, on ne sait rien, ni du narrateur, ni de son passé, juste une litanie de lamentations car il va mourir.

Hugo, loin de s’en offusquer, va prendre en compte ces critiques et y apporter des réponses lors des rééditions du livre.

Un livre en 3 parties et en 3 styles

  • Une préface, ajoutée, donc, ultérieurement par Victor et dans laquelle il déroule ses arguments contre la peine capitale. C’est construit, logique et rationnel.
  • « Une comédie à propos d’une tragédie ». Oh qu’il est malin, le bougre ! Une saynette unique (façon pièce de théâtre), dans un salon parisien. Des bourgeois et notables y discutent du livre, font mine de le découvrir (comble du snobisme) mais plus la conversation progresse, plus on se rend compte qu’ils l’ont tous lu. Ils en disent le plus grand mal, mais ce faisant, se ridiculisent. Leur superficialité vient renforcer l’argumentaire de Victor Hugo. Quelle façon magistrale de répondre aux critiques les plus hypocrites ! C’est vif, enlevé, léger dans la forme. Une conversation savoureuse sous forme de comédie.
  • Enfin, le livre en lui-même, journal intime d’un condamné à mort aux derniers jours de sa vie. Monologue dantesque qui nous fait vivre ses souffrances.

On ne saura rien ni du crime ni du condamné. Vraiment ?

Le narrateur est donc le condamné. Cet homme représente tous les condamnés du monde, son crime pourrait être tous les crimes du monde. Là encore, pour accroître la force de son propos, Victor Hugo ne nous dit rien, ni de son histoire, ni de son crime.

Enfin, rien, pas tout à fait. Il y a quelques informations, mais surtout plein d’indices qui permettent de dresser son portrait.

Il est jeune, dans la force de l’âge, marié, père d’une petite fille et le couple vit avec sa mère. Ses figures de référence sont exclusivement féminines, aucune mention de son père. Il a reçu une éducation, sait lire et écrire et s’exprime dans un langage châtié qui contraste avec le parler rude et populaire des autres détenus. Il cite même Macbeth. Il est habitué à un certain confort et a des loisirs.

Il est coupable d’un crime (le sang a coulé) et ne le nie à aucun moment.

Bon. Et le livre alors ?

C’est terrible, forcément terrible. La mort y est omniprésente, bien sûr, mais surtout la vie. Cette vie à laquelle il s’accroche. Face à sa fin imminente, il oscille entre incrédulité et frayeur.

Incrédulité face à la sentence. Ce n’est pas concevable, c’est tout bonnement impossible, comme un mauvais rêve, il va forcément être gracié.

Frayeur, en repensant à cette vie qu’il aime et qu’il va perdre, aux êtres chers dont il est responsable. Même ses compagnons d’infortune condamnés au bagne lui semblent chanceux. Cette frayeur se manifeste concrètement, il est tétanisé, ne peut bouger, et parfois s’évanouit.

C’est un compte à rebours macabre qui s’enclenche, tel un sablier égrenant ses supplices physiques et psychiques. La vie qui s’échappe déjà. Il y a lui et les autres (juges, avocat, forçats, gardien, prêtre). Les autres ne font que passer dans cette antichambre de la mort dans laquelle il se trouve.

On touche au plus près de la fragilité et du désespoir d’un homme.

On perçoit aussi la vacuité d’une sentence qui n’a de valeur que pour ceux qui la prononcent ou la regardent. Les uns engoncés dans leurs certitudes et la satisfaction du bon ordre des choses. Les autres, cette foule monstrueuse (la foule l’est souvent) et avide de spectacle.

Juste une réserve (de taille 🤨). Hugo nous fait ressentir au plus près ce que le condamné ressent. On est dans l’émotion pure. Je trouve ce pathos dérangeant sur un sujet aussi important. La raison pure devrait suffire.

On pourrait penser que ce livre n’est plus d’actualité. Je trouve qu’il est plus nécessaire que jamais.

Et partant du principe qu’il faut toujours maintenir sa garde, je terminerai par deux phrases :

  • « En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit ».
  • « Se venger est d’un individu, punir est de dieu ».

LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE d’Octave Mirbeau

J’ai décidé de combler mes lacunes en lisant des classiques

Au hasard de Twitter, je tombe sur quelqu’un qui parle de ses lectures du moment. Journal d’une femme de chambre.

Je connais l’œuvre de nom, je sais qu’il y a eu plusieurs adaptations cinématographiques. Jeanne Moreau et Léa Seydoux me semblent avoir trempé là-dedans. Mais je n’ai ni lu l’ouvrage ni vu les films et alors l’auteur, inconnu de chez inconnu.

Le titre étant suffisamment éloquent, je me doutais gentiment de ce que j’allais lire.

Hé bien non ! Rien ne me préparait à ÇA.

Ce livre est moderne

Écrit en 1900, il est étonnamment moderne tant sur le fond que sur la forme.

Il résonne avec plein de sujets contemporains : statut social, partage des richesses, précarité, violences sexuelles et conventions.

À travers le témoignage d’une femme de chambre, Mirbeau nous livre le portrait d’une noblesse ou bourgeoisie luttant pour maintenir les apparences et le personnel en est une variable d’ajustement. Mais surtout, il donne la parole à une soubrette, invisible, exploitable à merci et à qui on ne demande pas de penser. Encore moins de s’exprimer.

Et pourtant, Dieu que cette soubrette s’exprime !

Mais pour s’exprimer, elle a l’audace d’écrire et de tenir un journal, deux activités réservées à ceux qui sachent. Tout cela est un poil subversif.

Alternant entre language châtié et parler populaire, ce style ainsi que la forme du journal insufflent un rythme atypique à l’histoire. Tour à tour, on alterne entre une sorte de vitalité jubilatoire et des réflexions plus sombres. Cela donne un récit tout sauf passif ; réaliste, satirique et haletant.

Ce livre est déroutant

Diantre que j’ai été déroutée. Pendant toute la lecture et les jours qui ont suivi.

Dès les premières pages, le ton est donné. L’art de dire des choses graves l’air de rien qui vous donne l’impression qu’on se dirige lentement mais sûrement vers l’irréparable.

Un malaise vous prend et ne vous quitte plus. Car, oui, c’est une critique des mœurs bourgeoises et un aperçu de la condition des domestiques, mais cette femme de chambre a un côté sombre. Ce n’est pas les gentils d’un côté contre les méchants de l’autre.

Bien sûr, les bourgeois sont violents, hypocrites, radins, exploiteurs, agresseurs.

Mais faut voir ce qu’elle envoie sur ses semblables ! Abrutis, sournois, fainéants, voleurs, faibles. Ce qui m’a le plus étonnée, c’est l’antisémitisme ambiant qu’elle décrit comme quasi généralisé dans cette France d’en bas, au début du siècle.

Elle déteste les riches mais n’en aime pas pour autant les pauvres. Elle critique les bourgeois mais aspire à vivre comme eux et déteste ses semblables qui la renvoient à sa condition. Elle s’estime à part, au-dessus de tous les lots. Et c’est vrai qu’elle est intelligente, c’est presque une étude sociologique ou antrophologique qu’elle nous fait.

Elle traque la noirceur d’âme chez les autres pour éviter la sienne, l’un justifiant l’autre. Il n’y a aucune morale dans ce livre, aucune leçon.

On sent une folie, une violence, une haine prêtes à tout emporter.

Je commence en me disant « elle est complètement frappée, la Célestine ». Mais au regard de son témoignage, de quel côté est la vraie folie ? Ceux qui vous déshumanisent ou les oppressés ?

Comme le dit Bertolt (aka Bretch) « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent » (très très envie de me la péter avec cette référence mais bon, je l’ai découverte dans la série 10%. Hé oui, tout de suite, on descend d’un étage 🤪).

Ce livre est à lire

Je vous le conseille, j’ai ressenti plein de sentiments contradictoires. On est à la fois effrayé par Célestine et on s’y attache. Bref, rien n’est noir, rien n’est blanc, tout est gris.

LE PINGOUIN d’Andreï Kourkov

Ce livre est une surprise

Je dirais même une belle surprise made in Airbnb. Cet été, j’ai eu la chance de profiter d’une maison normande avec une bibliothèque incroyable, des livres partout jusque dans la cuisine ! Un mélange de classiques, de romans contemporains français et étrangers qui témoignaient d’une grande curiosité et de goûts très éclectiques avec une légère prédilection pour la littérature russe (ou en tout cas des pays de l’Est). Le plus dur était de faire un choix et de réussir à lire ma sélection en une semaine.

Je parcourais l’ensemble et éprouvais l’axiome « trop de choix tue le choix ». Bon sang, ma fille, concentre-toi ! Je m’arrêtais sur une tranche, enfin plutôt le titre d’une tranche : « Le Pingouin », livre publié en 1996. Et là, j’ai découvert le pitch le plus what the fuck jamais lu. Je m’en vais vous le narrer.

Le pitch

Ça se passe à Kiev, dans l’Ukraine post-soviétique. Victor, écrivain, journaliste, fauché et solitaire, a adopté un pingouin, histoire de combler sa solitude. Pas facile d’adopter un pingouin, ni commun. Mais le zoo de Kiev, n’ayant plus les moyens de nourir ses pensionnaires, a proposé à l’adoption les plus inoffensifs. Victor a choisi Micha, le pingouin.

Sauf que Micha ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Il bouffe du hareng à longueur de journée et le hareng, ça coûte cher. C’est alors que Victor tombe sur une petite annonce des plus étranges. Un grand journal cherche quelqu’un capable d’écrire des nécrologies originales.

Victor a besoin de harengs donc, zou ! Il postule sans grand espoir. Et il est pris !

Au début, il choisit lui-même les personnalités sur lesquelles il souhaite écrire : grands noms du spectacle, des médias, de la politique et des affaires. Puis petit à petit, le rédacteur en chef qui l’a pris sous son aile, lui distille quelques noms.

Tout se passe bien, ses chroniques répondent en tous points aux exigences de ses employeurs. Problème : personne ne meurt. Victor désespère d’être publié un jour.

Ça ne va pas durer longtemps. Les élus de ses nécrologies se mettent à tomber comme des mouches et parfois, il faut bien le dire, dans des accidents bêtes, mais bêtes (un peu comme en ce moment chez les oligarques russes, voyez).

Féroce et tendre

Le sujet est original, le livre se lit facilement. On s’immisce dans le quotidien des quidams dans les pays de l’est.

Victor est semblable à l’image que je me fais de ces peuples qui subissent soit la dictature soit la corruption (ou les deux). Ces hommes qui vivent dans l’absence de l’État, des lois et où l’ordre est régi par les plus forts. On ne se rebelle pas, on courbe juste l’échine pour passer sous les radars et vivre le plus en paix possible même si c’est chichement, même s’il y a des injustices. Et Victor y excelle. Il prend ce qu’il y a à prendre et, s’il se pose beaucoup de questions dont il devine aisément les réponses, il semble s’en accommoder. Mais attention à l’eau qui dort.

C’est un livre masculin avec beaucoup d’hommes. Les femmes sont soit des souvenirs soit des présences éthérées, pourvoyeuses de douceur à laquelle les hommes s’accrochent désespérément.

C’est surprenant de partir d’un sujet aussi incongru et de décrire aussi finement la société. C’est parfois drôle (certains enterrements valent le détour), parfois émouvant, parfois mélancolique, toujours pittoresque. Et beaucoup plus profond que le laisse penser le résumé.

Une phrase décrit très bien la sensation étrange éprouvée : « Tout semblait familier mais ce n’était qu’une impression ».

Et Micha dans tout ça ? Il est omniprésent, double de Victor et témoin silencieux.

Laissez-vous séduire par « Le Pingouin ». J’espère que vous aimerez autant que moi.

ENFANT DE SALAUD de Sorj Chalandon

Ce livre m’a cueillie, à plusieurs reprises. Il m’a émue, m’a irritée, m’a appris aussi.

Tout vient de l’enfance.

Sorj est un homme de presque 70 ans. Sa page Wikipedia annonce sobrement qu’il est un journaliste et écrivain français. Si vous creusez, c’est peu de dire qu’il a une vie bien remplie. Remplie de reportages, d’articles, de livres, de scénarios, de prix, de reconnaissances unanimes du public et de ses pairs. Alors quoi ?

Alors, son père ! Ce père qu’il se traîne comme un boulet depuis toujours. Cette figure tutélaire, censée encadrer, protèger, éclairer. Lui, c’est le noir total, à essayer de trouver un interrupteur, une fenêtre, n’importe quoi comme source de lumière… et rien.

De qui est-il le fils ? Qu’a fait son père pendant la 2ème guerre mondiale ?

C’est quoi un salaud ?

Son père coche beaucoup de cases. Lâche, menteur, égoïste, violent. Collabo aussi ? Comment savoir ? Avec lui c’est une fanfaronnade permanente. Du bruit et de la fureur. Le genre qui fait peur à tout le monde. Le genre qui raconte l’histoire à sa sauce et gare à ceux qui ne le croient pas. Bravache, il écrase les autres pour pouvoir se hisser au niveau auquel il prétend. La guerre, il l’a faite mais à sa manière. Ah Ah, il fallait voir, qu’est-ce qu’il leur a mis ! Mais à qui ?

Pourtant, difficile de le haïr, ce père aux frontières de la folie. Il faut reconnaître qu’entre ses mensonges, ses ruades, ses crises, il a du panache. Il ne se laisse jamais démonter. La meilleure défense c’est l’attaque. Il réussit à faire taire tout le monde, à instiller le doute ; et si, cette fois, il disait vrai ?

Et Sorj, là-dedans, qui encaisse tous les coups, souffre et s’enlise.

Les faits, toujours les faits, rien que les faits.

Est-ce pour ça que le fils est devenu journaliste ? Pour s’accrocher aux faits, débusquer la vérité ?

La vérité, c’est l’histoire du livre. Un livre qui enquête, explique, retrace, recoupe.

Il va se confronter à son père alors même que son journal l’envoie couvrir le procès Barbie. La grande et la petite histoire se télescopent. Le premier procès pour crime contre l’humanité à se tenir en France et la première fois que Sorj va trouver le courage d’affronter son père.

On côtoie les victimes de Barbie, celles qui ont survécu et celles qui sont mortes, les enfants d’Izieu aussi. On déteste ce père qui ne connaît pas la honte alors qu’il devrait faire silence et on s’énerve sur ce fils qui s’obstine à l’aimer. On a envie de lui hurler « Arrête les frais, libère-toi de lui, il te détruit ! ».

Et puis, l’horreur qui prend parfois des détours, que vous ne voyez pas arriver et qui vous submerge : « À hauteur d’homme, il n’y avait plus d’écorce aux arbres, tout avait été mangé ».

Je ne sais toujours pas si son père est un salaud, je ne sais pas si la vérité apaise. Je sais juste, qu’à l’heure où certains veulent réécrire l’histoire, la Vérité ne se négocie pas, les faits ne se falsifient pas.

LES DONS DES FÉES de Charles Baudelaire

Petits poèmes en prose – Le Spleen de Paris

C’était grande assemblée des Fées, pour procéder à la répartition des dons parmi tous les nouveau-nés, arrivés à la vie depuis vingt-quatre heures.

Toutes ces antiques et capricieuses Sœurs du Destin, toutes ces Mères bizarres de la joie et de la douleur, étaient fort diverses : les unes avaient l’air sombre et rechigné, les autres, un air folâtre et malin ; les unes, jeunes, qui avaient toujours été jeunes ; les autres, vieilles, qui avaient toujours été vieilles.

Tous les pères qui ont foi dans les Fées étaient venus, chacun apportant son nouveau-né dans ses bras.

Les Dons, les Facultés, les bons Hasards, les Circonstances invincibles, étaient accumulés à côté du tribunal, comme les prix sur l’estrade, dans une distribution de prix. Ce qu’il y avait ici de particulier, c’est que les Dons n’étaient pas la récompense d’un effort, mais tout au contraire une grâce accordée à celui qui n’avait pas encore vécu, une grâce pouvant déterminer sa destinée et devenir aussi bien la source de son malheur que de son bonheur.

Les pauvres Fées étaient très-affairées ; car la foule des solliciteurs était grande, et le monde intermédiaire, placé entre l’homme et Dieu, est soumis comme nous à la terrible loi du Temps et de son infinie postérité, les Jours, les Heures, les Minutes, les Secondes.

En vérité, elles étaient aussi ahuries que des ministres un jour d’audience, ou des employés du Mont-de-Piété quand une fête nationale autorise les dégagements gratuits. Je crois même qu’elles regardaient de temps à autre l’aiguille de l’horloge avec autant d’impatience que des juges humains qui, siégeant depuis le matin, ne peuvent s’empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles. Si, dans la justice surnaturelle, il y a un peu de précipitation et de hasard, ne nous étonnons pas qu’il en soit de même quelquefois dans la justice humaine. Nous serions nous-mêmes, en ce cas, des juges injustes.

Aussi furent commises ce jour-là quelques bourdes qu’on pourrait considérer comme bizarres, si la prudence, plutôt que le caprice, était le caractère distinctif, éternel des Fées.

Ainsi la puissance d’attirer magnétiquement la fortune fut adjugée à l’héritier unique d’une famille très-riche, qui, n’étant doué d’aucun sens de charité, non plus que d’aucune convoitise pour les biens les plus visibles de la vie, devait se trouver plus tard prodigieusement embarrassé de ses millions.

Ainsi furent donnés l’amour du Beau et la Puissance poétique au fils d’un sombre gueux, carrier de son état, qui ne pouvait, en aucune façon, aider les facultés, ni soulager les besoins de sa déplorable progéniture.

J’ai oublié de vous dire que la distribution, en ces cas solennels, est sans appel, et qu’aucun don ne peut être refusé.

Toutes les Fées se levaient, croyant leur corvée accomplie ; car il ne restait plus aucun cadeau, aucune largesse à jeter à tout ce fretin humain, quand un brave homme, un pauvre petit commerçant, je crois, se leva, et empoignant par sa robe de vapeurs multicolores la Fée qui était le plus à sa portée, s’écria :

« Eh ! madame ! vous nous oubliez ! Il y a encore mon petit ! Je ne veux pas être venu pour rien. »

La Fée pouvait être embarrassée ; car il ne restait plus rien. Cependant elle se souvint à temps d’une loi bien connue, quoique rarement appliquée, dans le monde surnaturel, habité par ces déités impalpables, amies de l’homme, et souvent contraintes de s’adapter à ses passions, telles que les Fées, les Gnomes, les Salamandres, les Sylphides, les Sylphes, les Nixes, les Ondins et les Ondines, — je veux parler de la loi qui concède aux Fées, dans un cas semblable à celui-ci, c’est-à-dire le cas d’épuisement des lots, la faculté d’en donner encore un, supplémentaire et exceptionnel, pourvu toutefois qu’elle ait l’imagination suffisante pour le créer immédiatement.

Donc la bonne Fée répondit, avec un aplomb digne de son rang : « Je donne à ton fils… je lui donne… le Don de plaire ! »

« Mais plaire comment ? plaire… ? plaire pourquoi ? » demanda opiniâtrément le petit boutiquier, qui était sans doute un de ces raisonneurs si communs, incapable de s’élever jusqu’à la logique de l’Absurde.

« Parce que ! parce que ! » répliqua la Fée courroucée, en lui tournant le dos ; et rejoignant le cortège de ses compagnes, elle leur disait : « Comment trouvez-vous ce petit Français vaniteux, qui veut tout comprendre, et qui ayant obtenu pour son fils le meilleur des lots, ose encore interroger et discuter l’indiscutable ? »

IT’S A LONG WAY TO TIPPERARY de Jack Judge et Harry Williams

Up to mighty London came
An Irish man one day
All the streets were paved with gold
So everyone was gay!
Singing songs of Piccadilly
Strand, and Leicester Square
‘Til Paddy got excited and

He shouted to them there:
It’s a long way to Tipperary
It’s a long way to go.
It’s a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye Piccadilly
Farewell Leicester Square!
It’s a long long way to Tipperary
But my heart’s right there.

It’s a long way to Tipperary
It’s a long way to go.
It’s a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye Piccadilly
Farewell Leicester Square!
It’s a long long way to Tipperary
But my heart’s right there.

Paddy wrote a letter
To his Irish Molly O’
Saying, « Should you not receive it
Write and let me know!
If I make mistakes in « spelling »
Molly dear », said he
« Remember it’s the pen, that’s bad
Don’t lay the blame on me ».

It’s a long way to Tipperary
It’s a long way to go.
It’s a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye Piccadilly
Farewell Leicester Square
It’s a long long way to Tipperary
But my heart’s right there.

It’s a long way to Tipperary
It’s a long way to go.
It’s a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye Piccadilly
Farewell Leicester Square
It’s a long long way to Tipperary
But my heart’s right there.

C’EST ARRIVÉ LA NUIT de Marc Levy

J’SUIS SNOB, J’SUIS SNOB

Lire du Levy ? Jamais d’la vie !

Moi, c’qui m’fait grimper à la tenture,

c’est la grande littérature.

Et même si Elle et Pocket me supplient,

hors de question que je change d’avis.

En même temps, avoir sa bobine

dans l’plus féminin des magazines,

ça fait sacrément envie.

Oh puis zut, direction la librairie

pour C’est arrivé la nuit.

Et là, wouahhhh !

Bienvenue au cinéma !

Suspense, action, en veux-tu en voilà.

C’est d’la lecture sur grand écran,

tout, sauf un voyage d’agrément.

J’passe la soirée à m’ronger les sangs.

Ils sont 9 sur la planète

à faire justice sur Internet.

Des Arsène Lupin 2.0

qui mettent les salauds au cachot

d’un clic sur leur réseau.

Ça semble facile, mais ça l’est pas.

Toujours clandestin, même chez soi.

Toujours planqué et en mouvement

pour éviter les guet-apens

Marc est un p’tit malin

avec ses hackers au grand cœur,

on le lit jusqu’au p’tit matin

pour notre plus grand bonheur.

On se prend même à rêver :

Et si c’était vrai ?

LA PEUR de Charles Juliet

la peur toute-puissante qui instille

son venin en chacune de nos fibres

la peur de la faim de la misère de la maladie de la mort

la peur d’achever sa vie dans le camp des vaincus

des laissés-pour-compte

ceux-là que jamais nul n’écoute

et née d’une autre origine mais aiguisée par ces peurs

la faim d’une existence enfin dégagée de ses laideurs

ces fardeaux ces frontières

des fatalités qui nous oppriment

se haïssent cette peur et cette faim

qui sont toujours à se défier

ne connaissent d’autre échange

que le pugilat

mais celui qui reçoit les coups qu’elles se portent

il ne peut mettre fin au combat

donc subir toujours subir

et le tourment de savoir

qu’il n’y aura aucun répit

aucune issue

que jusqu’à la tombe

ces deux forcenées

lui dicteront leur loi

LA BOULE NOIRE de Georges Simenon

Celle-là, je l’ai pas vue venir

Simenon c’est Maigret et Maigret c’est Simenon ! C’est propre, c’est carré, c’est rangé dans un coin de ma bibliothèque mentale. Je me suis déjà tapée l’intégrale de Jean Richard quand j’étais petite, on peut dire que j’ai une vue d’ensemble, je découvrirai ses bouquins quand je serai à la retraite ! Et puis, on va pas se mentir, snob comme je suis, Simenon, c’est pas de la grande littérature hein ?!

J’en étais donc là à attendre pépouze la retraite. Sauf que forcément mes prévisions ne se réalisent jamais in the real life. In the real Life, je tombe sur une collection du Monde : « Le Monde de Simenon ». Je prends un livre au hasard, les oeuvres sont classées par thème, j’ai pioché l’humiliation 🥳. Je ne tique même pas, on reste dans le concept d’année de merde que 2020 érige en art. Mais ce qui m’intrigue c’est un titre : « La Boule Noire ». Je retourne le livre, lis le résumé… et pars en vrille. « Voyez cette petite ville américaine de Williamson : il suffira qu’une main anonyme mette dans l’urne la boule noire qui lui refuse l’entrée du Country Club pour qu’un fils de prolétaire en reste traumatisé à vie ». Reconnaissez que ça envoie du bois ! Zou ! C’est parti !

L’Amérique de Simenon

Jean Giono a dit « Les romans de Simenon ? Toujours la même chose : un poêle qui ne tire pas et une femme qui sent le chou » ! C’est exactement l’image que j’en avais. Ben non ! Simenon, c’est aussi l’Amérique ! L’Amérique des trente glorieuses, toute puissante, qui balance du rêve et des dollars ; tant mieux pour ceux qui les attrapent, tant pis pour les autres.

Dès les premières pages, Georges réussit un véritable tour de force : vous plonger dans les méandres d’une petite ville américaine comme si vous y étiez nés. C’est instantané et impressionnant. On connaît cette ville pourtant si éloignée, on connaît ces gens, ils nous ressemblent. On voit tout, on entend tout, on ressent tout, tels des anthropologues penchés sur une société miniature. On observe, avec distance puis avec passion. Tout y est. L’espoir, l’envie, la jalousie, le désir presque vital de s’extirper de sa condition, vous pouvez presque les toucher du doigt. Certains manoeuvrent, manipulent, d’autres s’échinent à gravir l’échelle sociale à force de sueur et de soumission. Tous essaient de passer entre les gouttes de ce jeu de massacre que sont les règles sociales.

Ce roman est construit comme un thriller. Le protagoniste, Walter Higgins, peut basculer à tout moment du côté du bien, du mal, de la folie.

Et si la vraie folie c’était de vouloir être accepté, quel qu’en soit le prix ? On ne change jamais vraiment. On reste toujours soi, un peu comme les gros restent gros à vie dans leur tête, même après avoir perdu tous leurs kilos superflus.

C’est un roman haletant, je vous le conseille.

LE PETIT JARDIN de Jacques Dutronc

C’était un petit jardin
Qui sentait bon le Métropolitain
Qui sentait bon le bassin parisien
C’était un petit jardin
Avec une table et une chaise de jardin
Avec deux arbres, un pommier et un sapin
Au fond d’une cour à la Chaussée-d’Antin
Mais un jour près du jardin
Passa un homme qui au revers de son veston
Portait une fleur de béton
Dans le jardin une voix chanta

De grâce, de grâce, monsieur le promoteur
De grâce, de grâce, ne coupez pas mes fleurs

C’était un petit jardin
Qui sentait bon le Métropolitain
Qui sentait bon le bassin parisien
C’était un petit jardin
Avec un rouge-gorge dans son sapin
Avec un homme qui faisait son jardin
Au fond d’une cour à la Chaussée-d’Antin
Mais un jour près du jardin
Passa un homme qui au revers de son veston
Portait une fleur de béton
Dans le jardin une voix chanta

De grâce, de grâce, monsieur le promoteur
De grâce, de grâce, ne coupez pas mes fleurs

C’était un petit jardin
Qui sentait bon le Métropolitain
À la place du joli petit jardin
Il y a l’entrée d’un souterrain
Où sont rangées comme des parpaings
Les automobiles du centre urbain
C’était un petit jardin
Au fond d’une cour à la Chaussée-d’Antin

C’était un petit jardin
Au fond d’une cour à la Chaussée-d’Antin

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