LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ de Victor Hugo

J’attaque direct, qu’il n’y ait aucun malentendu

Ce livre, véritable plaidoyer contre la peine de mort, ne m’a pas convaincue. Je l’étais déjà.

Je suis contre la peine de mort. QUEL QUE SOIT le crime. C’est une conviction absolue et totale.

Y’a pas de « oui mais sauf pour les crimes d’enfants, pour les tortures, etc ». Si on commence à faire des exceptions, on est pour.

Aucune justice ne peut attenter à la vie. Et ce n’est pas parce que certains l’ont fait que ça légitime que la société fasse pareil et surtout le planifie froidement en notre nom à tous (donc au mien).

Évidemment, si on touchait à mes enfants, j’aurais la haine et peut-être l’envie de tuer. Ça s’appelle de la vengeance, en aucun cas de la Justice. Et j’espère bien ne pas m’y abaisser (et j’espère bien, surtout, ne pas y être confrontée).

Ce sont justement mes filles qui m’ont conseillé ce livre. Il est gratuit sur ma liseuse (y’a pas de petites joies pour mon pouvoir d’achat 🤪).

C’est parti !

L’histoire autour du livre

Le livre s’est enrichi au gré des différentes éditions. La version que j’ai lue est la plus complète.

A l’origine, en 1829, le livre sort de manière anonyme, sans mentionner d’auteur. Hugo le souhaitait comme un réquisitoire universel contre la peine de mort. Pour que son récit soit plus fort et plus efficace, il devait être dépouillé de tous les oripeaux de l’édition. Pas de préface, pas d’introduction, pas d’auteur. Juste la matière brute au service d’une cause.

Sauf que le livre a fait jaser dans les salons, les hypothèses sont allées bon train et il a rapidement été démasqué. Critiqué également. Pas d’histoire, on ne sait rien, ni du narrateur, ni de son passé, juste une litanie de lamentations car il va mourir.

Hugo, loin de s’en offusquer, va prendre en compte ces critiques et y apporter des réponses lors des rééditions du livre.

Un livre en 3 parties et en 3 styles

  • Une préface, ajoutée, donc, ultérieurement par Victor et dans laquelle il déroule ses arguments contre la peine capitale. C’est construit, logique et rationnel.
  • « Une comédie à propos d’une tragédie ». Oh qu’il est malin, le bougre ! Une saynette unique (façon pièce de théâtre), dans un salon parisien. Des bourgeois et notables y discutent du livre, font mine de le découvrir (comble du snobisme) mais plus la conversation progresse, plus on se rend compte qu’ils l’ont tous lu. Ils en disent le plus grand mal, mais ce faisant, se ridiculisent. Leur superficialité vient renforcer l’argumentaire de Victor Hugo. Quelle façon magistrale de répondre aux critiques les plus hypocrites ! C’est vif, enlevé, léger dans la forme. Une conversation savoureuse sous forme de comédie.
  • Enfin, le livre en lui-même, journal intime d’un condamné à mort aux derniers jours de sa vie. Monologue dantesque qui nous fait vivre ses souffrances.

On ne saura rien ni du crime ni du condamné. Vraiment ?

Le narrateur est donc le condamné. Cet homme représente tous les condamnés du monde, son crime pourrait être tous les crimes du monde. Là encore, pour accroître la force de son propos, Victor Hugo ne nous dit rien, ni de son histoire, ni de son crime.

Enfin, rien, pas tout à fait. Il y a quelques informations, mais surtout plein d’indices qui permettent de dresser son portrait.

Il est jeune, dans la force de l’âge, marié, père d’une petite fille et le couple vit avec sa mère. Ses figures de référence sont exclusivement féminines, aucune mention de son père. Il a reçu une éducation, sait lire et écrire et s’exprime dans un langage châtié qui contraste avec le parler rude et populaire des autres détenus. Il cite même Macbeth. Il est habitué à un certain confort et a des loisirs.

Il est coupable d’un crime (le sang a coulé) et ne le nie à aucun moment.

Bon. Et le livre alors ?

C’est terrible, forcément terrible. La mort y est omniprésente, bien sûr, mais surtout la vie. Cette vie à laquelle il s’accroche. Face à sa fin imminente, il oscille entre incrédulité et frayeur.

Incrédulité face à la sentence. Ce n’est pas concevable, c’est tout bonnement impossible, comme un mauvais rêve, il va forcément être gracié.

Frayeur, en repensant à cette vie qu’il aime et qu’il va perdre, aux êtres chers dont il est responsable. Même ses compagnons d’infortune condamnés au bagne lui semblent chanceux. Cette frayeur se manifeste concrètement, il est tétanisé, ne peut bouger, et parfois s’évanouit.

C’est un compte à rebours macabre qui s’enclenche, tel un sablier égrenant ses supplices physiques et psychiques. La vie qui s’échappe déjà. Il y a lui et les autres (juges, avocat, forçats, gardien, prêtre). Les autres ne font que passer dans cette antichambre de la mort dans laquelle il se trouve.

On touche au plus près de la fragilité et du désespoir d’un homme.

On perçoit aussi la vacuité d’une sentence qui n’a de valeur que pour ceux qui la prononcent ou la regardent. Les uns engoncés dans leurs certitudes et la satisfaction du bon ordre des choses. Les autres, cette foule monstrueuse (la foule l’est souvent) et avide de spectacle.

Juste une réserve (de taille 🤨). Hugo nous fait ressentir au plus près ce que le condamné ressent. On est dans l’émotion pure. Je trouve ce pathos dérangeant sur un sujet aussi important. La raison pure devrait suffire.

On pourrait penser que ce livre n’est plus d’actualité. Je trouve qu’il est plus nécessaire que jamais.

Et partant du principe qu’il faut toujours maintenir sa garde, je terminerai par deux phrases :

  • « En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit ».
  • « Se venger est d’un individu, punir est de dieu ».

TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE de Richard Malka

Qui est Richard Malka ?

C’est un avocat, spécialiste du droit de la presse, qui s’est fait connaître (de moi, en tous cas) lors de deux affaires à l’origine similaire, le blasphème :

  • le procès des attentats de 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher,
  • l’affaire Mila, adolescente menacée de mort sur les réseaux sociaux.

Il est également essayiste, romancier et scénariste de bandes dessinées.

Inlassablement, que ce soit par son activité professionnelle, ses divers engagements, ses écrits ou ses interventions dans les médias, il défend la liberté de penser et lutte contre le fanatisme religieux.

Pourquoi lire ce livre ?

Tout d’abord, je suis raide dingue de son auteur. Pour des motifs futiles et importants.

On va commencer par le futile.

Ce type a un charme fou.

Une des raisons en est son sourire immuable. Avez-vous déjà remarqué que ce sont les gens qui ont le moins de raisons de sourire qui en usent le plus ?

Et puis, physiquement, il est rock. À la TV, il est toujours vêtu d’un p’tit pull noir col V et slim 😍. Mais Richard, Go que je t’épouse ! Je te fais un cercle de protection avec des huiles essentielles et de la bave de licorne et, zou, le tour est joué.

Mais poursuivons par le sérieux.

Son verbe est clair, précis, posé et assuré. Le raisonnement est solide et structuré (encore heureux pour un avocat 🤪).

Le sérieux ultime, ce sont ses convictions et leur universalité : la liberté de conscience et la liberté d’expression.

Convictions qu’il défend au péril de sa vie. Ça sonne comme une formule toute faite. C’est beau, c’est courageux. Super, bravo. Puis on passe à autre chose. Ça va hein, Richard, faudrait arrêter un petit peu de la jouer drama queen. On vit dans un pays libre, tout va bien, respire et prends un verre d’eau.

Sauf qu’il y a toute une réalité derrière. Et elle est moche.

Pour lui, d’abord. Il est menacé de mort pour ses combats. Une vie sous protection, un quotidien restreint. Vous savez, tout ce qu’on fait sans y penser, sans en questionner la valeur : boire un café en terrasse, se balader, faire ses courses. Ces petites choses lui sont des actes dangereux, qu’il doit planifier, organiser, quand ce n’est pas oublier.

Pour nous, ensuite. Si ces convictions doivent être défendues, c’est qu’elles sont en danger. Et à force de rester insouciants et lâches, on accepte petit à petit de s’asseoir sur nos libertés fondamentales. C’est déjà le cas. Qui oserait désormais faire une blagounette sur l’islam au même titre que sur d’autres religions ? Ben pas grand monde. On veut pas d’ennuis, on veut pas choquer, on veut être TO-LÉ-RANTS.

Bref, vous l’aurez compris, admirative quand il cause, il n’y avait aucune raison que je ne le sois pas quand il écrit. C’est chose faite avec « Traité sur l’intolérance ».

La genèse de Traité sur l’intolérance

Ce livre reprend sa plaidoirie lors du procès en appel des attentats contre Charlie Hebdo.

L’appel devait avoir lieu dans la salle Voltaire du Palais de Justice de Paris.

Un signe ! Qui, mieux que Voltaire, a défendu la liberté de penser à travers notamment son Traité sur la tolérance ? À l’époque, un protestant, Jean Calas, est accusé d’avoir tué son fils qui s’était converti au catholicisme. Peu importe que Jean Calas crie son innocence, peu importe l’absence de preuves, il sera exécuté. Révolté par cette injustice, Voltaire œuvrera pour la réhabilitation de l’accusé au travers de ce texte. Réhabilitation qui aura lieu 3 ans plus tard. C’est ballot : le père Calas est mort.

Richard, comme Voltaire, va s’attaquer à la vraie cause de cette terreur et à ses racines. L’accusé est la religion, TOUTES les religions, dès lors qu’elles commettent des dérives.

Pour l’affaire Charlie Hebdo, il remonte aux origines de l’islam et aux deux courants principaux qui se sont affrontés. La face éclairée et la face obscure d’une même pièce. C’est passionnant et limpide.

Puis, il nous met en garde. Lui aussi a été léger et insouciant, il y a quinze ans, au procès des caricatures publiées par Charlie Hebdo. Lui non plus n’a pas vu venir le danger. Depuis, que de morts, terribles et absurdes.

Quatorze siècles après Mahomet et presque trois après Voltaire, rien n’est réglé. Et comme partout, c’est la minorité la plus haineuse, vindicative, bruyante, menaçante qui prend en otage les millions de croyants et d’athées (oui, tant qu’à faire, autant ratisser large. T’as rien demandé ? C’est pas grave, t’auras quand même). L’islamisme leur impose sa vision. Elle est fausse ? Ça n’a aucune importance, c’est juste une question de pouvoir par la peur et la soumission.

Il n’y a pas de délit de blasphème en France qui est un état laïc.

Le blasphème, c’est le ressenti des croyants. Vous imaginez si on le prend en compte ? On n’a pas le cul sorti des ronces. Un RESSENTI Bordel !

On a le droit de se moquer des idées, des croyances et des idéologies. Pas d’inciter à la discrimination ou à la haine contre les croyants.

Merde ! C’est simple !

Tout est à retenir dans ce livre, mais je terminerai avec cette phrase :  » Il n’y a pas de contrainte en religion ».

Ça vient d’où ? Du Coran.

LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE d’Octave Mirbeau

J’ai décidé de combler mes lacunes en lisant des classiques

Au hasard de Twitter, je tombe sur quelqu’un qui parle de ses lectures du moment. Journal d’une femme de chambre.

Je connais l’œuvre de nom, je sais qu’il y a eu plusieurs adaptations cinématographiques. Jeanne Moreau et Léa Seydoux me semblent avoir trempé là-dedans. Mais je n’ai ni lu l’ouvrage ni vu les films et alors l’auteur, inconnu de chez inconnu.

Le titre étant suffisamment éloquent, je me doutais gentiment de ce que j’allais lire.

Hé bien non ! Rien ne me préparait à ÇA.

Ce livre est moderne

Écrit en 1900, il est étonnamment moderne tant sur le fond que sur la forme.

Il résonne avec plein de sujets contemporains : statut social, partage des richesses, précarité, violences sexuelles et conventions.

À travers le témoignage d’une femme de chambre, Mirbeau nous livre le portrait d’une noblesse ou bourgeoisie luttant pour maintenir les apparences et le personnel en est une variable d’ajustement. Mais surtout, il donne la parole à une soubrette, invisible, exploitable à merci et à qui on ne demande pas de penser. Encore moins de s’exprimer.

Et pourtant, Dieu que cette soubrette s’exprime !

Mais pour s’exprimer, elle a l’audace d’écrire et de tenir un journal, deux activités réservées à ceux qui sachent. Tout cela est un poil subversif.

Alternant entre language châtié et parler populaire, ce style ainsi que la forme du journal insufflent un rythme atypique à l’histoire. Tour à tour, on alterne entre une sorte de vitalité jubilatoire et des réflexions plus sombres. Cela donne un récit tout sauf passif ; réaliste, satirique et haletant.

Ce livre est déroutant

Diantre que j’ai été déroutée. Pendant toute la lecture et les jours qui ont suivi.

Dès les premières pages, le ton est donné. L’art de dire des choses graves l’air de rien qui vous donne l’impression qu’on se dirige lentement mais sûrement vers l’irréparable.

Un malaise vous prend et ne vous quitte plus. Car, oui, c’est une critique des mœurs bourgeoises et un aperçu de la condition des domestiques, mais cette femme de chambre a un côté sombre. Ce n’est pas les gentils d’un côté contre les méchants de l’autre.

Bien sûr, les bourgeois sont violents, hypocrites, radins, exploiteurs, agresseurs.

Mais faut voir ce qu’elle envoie sur ses semblables ! Abrutis, sournois, fainéants, voleurs, faibles. Ce qui m’a le plus étonnée, c’est l’antisémitisme ambiant qu’elle décrit comme quasi généralisé dans cette France d’en bas, au début du siècle.

Elle déteste les riches mais n’en aime pas pour autant les pauvres. Elle critique les bourgeois mais aspire à vivre comme eux et déteste ses semblables qui la renvoient à sa condition. Elle s’estime à part, au-dessus de tous les lots. Et c’est vrai qu’elle est intelligente, c’est presque une étude sociologique ou antrophologique qu’elle nous fait.

Elle traque la noirceur d’âme chez les autres pour éviter la sienne, l’un justifiant l’autre. Il n’y a aucune morale dans ce livre, aucune leçon.

On sent une folie, une violence, une haine prêtes à tout emporter.

Je commence en me disant « elle est complètement frappée, la Célestine ». Mais au regard de son témoignage, de quel côté est la vraie folie ? Ceux qui vous déshumanisent ou les oppressés ?

Comme le dit Bertolt (aka Bretch) « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent » (très très envie de me la péter avec cette référence mais bon, je l’ai découverte dans la série 10%. Hé oui, tout de suite, on descend d’un étage 🤪).

Ce livre est à lire

Je vous le conseille, j’ai ressenti plein de sentiments contradictoires. On est à la fois effrayé par Célestine et on s’y attache. Bref, rien n’est noir, rien n’est blanc, tout est gris.

THÉRÈSE DESQUEYROUX de François Mauriac

Ça va pas fort Thérèse…

Et on la comprend. Sa vie est terne, étriquée, sans perspectives. En plus, elle est dans une mauvaise posture. Elle a tenté d’empoisonner son mari.

On est au début du XXème siècle. Le livre débute à la fin de son procès, après le verdict. Non-lieu. Tout ça grâce à Bernard, son mari, qui, effrayé du scandale et des retombées que cela pourrait avoir sur le nom et la famille, préfère témoigner en sa faveur.

Diantre ! Le nom, pensez ! Desqueyroux, un nom de région, bien implanté, bien respectable, synonyme de places réservées à l’église mais surtout de terres et de domaines.

Bernard n’a pas pris cette décision seul. Sa mère est toujours dans les parages. À l’époque, vous ne prenez pas seulement un mari, vous prenez les beaux-parents qui vont bien bien vous surveiller.

Comment Thérèse en est arrivée là ?

Son père vient la chercher à la fin du procès pour la ramener auprès de son mari (ben oui, toujours vivant, essai non transformé). Tout le temps du voyage, elle essaie de comprendre son geste et de structurer une défense, tout du moins un semblant d’explication pour son époux.

Elle se remémore sa vie.

Région bordelaise. Thérèse est orpheline de mère et son père a d’autres préoccupations que sa fille (faut pas déconner). Il l’envoie en pension. C’est une enfant exaltée. Elle lit beaucoup, réfléchit beaucoup, a des aspirations, des envies. Elle veut vivre grand alors qu’autour d’elle tout est petit. Elle est différente.

Elle revient dans le hameau familial à chaque vacances. Elle y retrouve son amie Anne, plus jeune qu’elle, plus ignorante mais d’une nature plus simple et enjouée. Et l’alchimie fonctionne. Thérèse adore Anne. Elles sont différentes, mais complices. Comme si Anne lui transmettait un peu de son insouciance, ou du moins lui permettait d’oublier les passions qui l’animent.

Thérèse grandit ainsi et finit par se dire que le mariage est peut-être la solution. Elle sortira de cet état d’insatisfaction permanente et vivra un amour épanouissant.

C’est sans compter sur Bernard.

Bernard Desqueyroux est le frère d’Anne. Le mariage est arrangé depuis belle lurette. Pas d’amour, d’ailleurs Bernard n’est pas pressé de se ranger, heureux qu’il est entre la chasse et ses affaires. Que ferait-il d’une femme ? Mais bon, faut bien penser à perpétuer la lignée.

Le mariage est tranquille du côté de Bernard et malheureux pour Thérèse.

C’est alors qu’Anne, sa chère amie, s’éprend d’un jeune homme qui n’est pas du tout (mais alors pas du tout) envisagé par la famille.

Bernard compte sur Thérèse pour faire entendre raison à sa sœur. Le lecteur pense de prime abord que c’est la bien mauvaise personne pour faire entendre raison à qui que ce soit. Mais, partant du principe qu’il ne suffit pas d’être malheureux, encore faut-il que les autres le soient, Thérèse va s’acquitter de sa mission.

Et oui, Thérèse est une femme complexe.

Et puis, soudain, une opportunité

On voit progressivement Thérèse s’enfoncer dans une sorte de léthargie, elle se réfugie dans une vie imaginaire, celle qu’elle devrait vivre, plutôt que d’être engoncée dans les convenances, embarassée, entre son mari, son enfant et sa belle-mère. Elle n’est ni fille, ni épouse, ni mère. Elle est femme.

Malgré cela, jamais elle n’a pensé à se débarrasser de son mari. Mais la vie est ainsi faite qu’il y a des opportunités qui prennent l’aspect éblouissant de solutions.

Bien évidemment, elle va se rater et son retour ne sera pas simple.

Mauriac nous livre un portrait romanesque

On pense à Emma Bovary, bien sûr. La province, ses mœurs, son hypocrisie et son ennui. Mais à la différence d’Emma, Thérèse n’est pas dans l’excès. Elle est réfléchie, intérieure (comme en témoigne le monologue de début du livre). Elle ne cherche pas à s’enivrer dans un tourbillon d’amants ou de belles toilettes. Elle veut sa liberté et elle l’obtiendra de façon presque « passive ».

C’est un beau portrait de femme, complexe. Écrit par un homme. Je suis toujours aussi surprise quand des hommes parlent aussi bien des femmes. Comme Kessel dans « Belle de jour » (chronique à lire ICI) et tant d’autres.

Je n’avais jamais lu François Mauriac. C’est surprenant et séduisant.

Surprenant, car les individus communiquent très peu entre eux, et pourtant les situations et personnalités sont précises, dans une économie de descriptions ou d’effets.

Séduisant, car ce petit livre est tellement riche. La société de l’époque, la religion, les femmes à la fois victimes et bourreaux, la psychologie. Il y a tellement de choses. Et la nature aussi. Qu’elle soit accueillante ou menaçante, on sent un amour profond pour la nature et surtout pour cette région bordelaise. La région de Mauriac.

CECI N’EST PAS UN FAIT DIVERS de Philippe Besson

Ce livre n’a l’air de rien.

Une jolie couverture élégante, un titre à la Magritte, une épaisseur modeste.

Ça fleure bon la lecture accessible et sereine.

Les apparences sont trompeuses. C’est tout sauf serein. Accessible, oui. Facile à lire, non. Vous allez y laisser des plumes.

Mais ce livre est indispensable. Il devrait être obligatoire, déjà pour tous les adultes avérés et ceux en devenir : les adolescents. Tous.

Il parle de violences faites aux femmes. Oui, je sais. Un énième livre sur le sujet. Sujet qu’on voit partout d’ailleurs, aux infos, dans les magazines de société… et les faits divers. Ça prend une minute au 20H ou une heure de reportage. C’est devenu tellement récurrent qu’on finit par s’y habituer passé la première émotion. C’est un prénom, un âge, une histoire plus ou moins sordide qui viennent s’ajouter aux autres. On est scandalisé et on passe à autre chose. On peut pas porter toute la misère du monde sur ses épaules, n’est-ce pas ? Comme le disait Romain Gary : « Quelque part entre s’en foutre et en crever ».

Et pourtant…. La rage !

Ben là, c’est « en crever ».

Ce livre ne m’a pas mise en colère, il m’a mis en rage. Une rage froide, mauvaise, violente. Un bouillonnement à l’intérieur qui monte et menace de déborder.

Envie de hurler : « MAINTENANT, ÇA SUFFIT ! ». Maintenant, plus de pédagogie, plus de patience, plus de pardon. Maintenant on va faire avec NOS règles et vous allez les suivre que vous le vouliez ou non. On vous laisse pas le choix. MAINTENANT.

Pourquoi ce livre plus qu’un autre sur le sujet ? Pourquoi cette réaction à fleur de peau ? Qu’est-ce qu’il dit de plus qu’on ne sait déjà ?

Il part du point de vue des enfants du couple. Ceux qu’on appelle les victimes collatérales. Pas les directes hein ?! Ils sont vivants, pas blessés. À l’extérieur, peut-être. À l’intérieur, c’est une mort lente, qui obscurcit tout et qui menace de les engouffrer.

Philippe Besson se met à hauteur de ces deux enfants, 19 et 13 ans, de cette tranche d’âge qu’on appelle des ados, comme si ça pouvait atténuer la portée du drame et leurs souffrances.

Le narrateur est le grand frère. Il a quitté la maison à 14 ans pour intégrer l’école de de l’Opéra de Paris. Seule Léa, la cadette, vit avec ses parents du côté de Bordeaux. Jusqu’au jour où elle appelle son frère : « Papa vient de tuer maman ».

Passée la sidération, commence alors la survie et le besoin de comprendre. Et la culpabilité, forcément. Bien sûr que ça devait arriver, comment n’ont-ils rien vu ou pourquoi ?

On suit ce grand frère, perdu, qui essaie de sauver sa petite sœur de son lent dépérissement et de se sauver lui-même.

C’est ça, la force du livre. Vivre par procuration cette horreur à travers leurs yeux. Faire presque partie de leur famille, de leur fratrie. Ressentir le blast, la douleur, les efforts pour ne pas sombrer. Et suivre l’enquête du frère qui va reconstituer l’histoire de la victime, sa maman.

On touche au plus près la souffrance continuelle de cette femme qui lutte sur tous les fronts. Contenir son mari, l’apaiser, protéger ses enfants, ne pas les inquiéter alors qu’elle sombre, faire semblant pour maintenir l’image du couple auprès des proches, des voisins. Mais cette lutte permanente a un prix. Elle s’oublie, elle s’efface, elle meurt.

Je découvre le style de Philippe Besson

Le style est au service de l’histoire. Un style simple, direct, sans artifices ni superflu. Une narration épurée qui va à l’essentiel et qui vous atteint, nue et puissante. Vous ne pouvez rien faire que subir. C’est cruel et sensible. C’est bouleversant.

L’auteur arrive à dresser des portraits psychologiques qui semblent d’une banalité rare mais il trouve toujours la faille et le point de bascule. Ceux qui vous séparent d’une personne toxique, d’un meurtrier ou d’un assassin.

Je n’avais jamais lu de livres de Philippe Besson. C’est le premier.

Cinq jours que je l’ai terminé et je suis encore hébétée, comme une conne, au milieu de la cuisine. Pas la mienne, la leur.

L’INCONDUITE de Emma Becker

Cette chronique va partir en cacahuète…

… tellement je ne sais pas par où commencer. Par le commencement, peut-être.

Je connais Emma depuis son passage à la Grande Librairie où elle parlait de son livre « La Maison ». Elle y racontait ses presque deux ans dans une maison close en Allemagne devant un François Busnel médusé et des invités qui se tortillaient entre gêne et shocking.

Moi, j’étais en totale admiration devant une femme aussi jeune parlant librement et naturellement de son expérience de relations tarifées comme elle vous raconterait son dernier après-midi shopping.

J’ai donc lu « La Maison » et j’ai adoré.

Lire « L’Inconduite » était une évidence et je n’ai pas été déçue !

Ce livre est tellement foisonnant et puissant. C’est un choc !

Il s’agit toujours d’une autofiction, mais plus cérébrale. On est dans la tête d’Emma. Elle nous livre crûment ses états d’âme, les envies qui l’assaillent, qu’elle subit, qu’elle essaie d’assouvir (souvent), de comprendre (toujours) et d’intégrer à sa vie, quitte à en changer (je vous avais prévenus que je naviguais à vue 🤪).

Elle vient d’avoir un enfant, vit en couple. Sur le papier, elle est rangée des voitures. Sur le papier seulement. Elle aime trop les hommes, leur corps, leurs désirs, elle aime trop tomber amoureuse, s’imaginer des histoires parfaites.

Emma s’autorise tout

  • À parler de sexe crûment.

C’est rare, une femme qui parle de sexe. Le sexe, c’est l’apanage des hommes depuis la nuit des temps. Les femmes parlent de sentiments. Il y en a eu, bien sûr, quelques-unes qui s’y sont risquées (Régine Desforges, Catherine Millet…) mais ce sont des exceptions qui confirment la règle. Quand elles parlent sexe, elles sont vite cataloguées nymphomanes ou putains.

Et quand, en plus, elles sont sont mères, alors là, c’est un strike, on touche au sacrilège ! Mère ou putain, il faut choisir.

  • À se livrer sans aucun filtre.

J’ai rarement vu une franchise aussi déroutante. Elle dit tout ce qu’on cache habituellement : son aliénation pour le désir des hommes, ses faiblesses, ses renoncements, ses maladresses, ses humiliations. Elle n’occulte rien, comme si le plaisir continuait dans l’analyse de tout ce qui a foiré. S’y complaire parce qu’inconsciemment c’est ce qu’on voulait, ce qu’on attendait.

  • À s’arroger le statut d’écrivaine, de femme libre et de mère

Elle ne renonce à rien et n’attend la permission ou l’adoubement de personne.

Ce livre est grand

Certains n’y verront qu’un livre de cul. Quel dommage !

La portée de son récit est multiple et s’attaque à plusieurs tabous :

  • en libérant la parole autour du sexe, du corps des hommes, Emma est féministe.
  • en s’emparant du statut de mère, Emma est féministe.
  • en s’arrogeant le titre d’écrivaine, Emma est féministe.
  • en exigeant du temps et un lieu pour elle, Emma est féministe.
  • en acceptant ce qu’elle est et d’où elle vient, Emma est féministe.

Ce n’est pas tant ce qu’elle dit (enfin un chouïa quand même 🤪) mais qu’elle s’autorise à le dire qui rend Emma féministe et libre.

Seul bémol, parfois, le récit est un peu foutraque ou avec quelques longueurs. Rien de grave, je suivrais Emma n’importe où 🤪.

Et puis, elle est drôle, mais drôle !

Alors, un livre qui parle des femmes, qui parle aux femmes, qui fait avancer leur cause et qui en plus fait rire… Quoi de mieux pour démarrer 2023 ? Un nouveau livre d’Emma, pardi !

ON VA DÉGUSTER PARIS de François-Régis Gaudry et ses amis

M’en vais vous expliquer pourquoi ce livre est le cadeau parfait !

Mais d’abord, qui est François-Régis ?

Journaliste, critique gastronomique, animateur radio et télévision, c’est un peu le Giroud de la cuisine (oui, je regarde le match 🤪). Son émission radio « On va déguster » est connue et reconnue et, depuis 2015, il la décline en livres. Après la France, l’Italie (un jour je vous causerai de l’Italie, Mamma Mia), c’est au tour de Paris d’être à l’honneur.

C’est un beau livre

Que dis-je ? Magnifique !

La couverture est sublime. Ça vire à l’objet de décoration d’intérieur. Même si on ne l’ouvre pas, il envoie du bois (enfin, ce serait vraiment très très con de ne pas l’ouvrir).

L’intérieur tient toutes les promesses faites par la couverture. La mise en page, le graphisme, les illustrations, les photos. C’est bien simple : tout est appétissant.

Seul bémol : les photos, trop petites (vive les verres progressifs).

C’est un gros livre bien lourd, le cadeau parfait

Par manque d’idées ou de moyens, on se rabat la plupart du temps sur les gadgets qui sont certes amusants mais qui finissent souvent au fond d’un tiroir. En plus, comme un gadget, c’est trop peu, on en achète plusieurs et finalement ça nous coûte un rein et ça ne servira pas.

Avec ce livre, qui pèse (oui, tout à fait, je l’ai pesé, je suis une psychopate 🤪) 1.883 kilos, qui est bien épais et d’une taille estimable, vous faites votre petit effet niveau cadeau.

Alors, bien sûr, il a un prix, 42.90 euros. Mais, imaginez : entre Odette qui veut de l’authentique, Bernard qui cache à peine sa déception en ouvrant le présent, leurs ados qui n’aiment que le fourbi qui se branche et ça, c’est que d’un côté de la famille !

Je vais donc vous dire ce qu’il va se passer : vous avez autant d’idées qu’un lendemain de cuite, vous allez partir dans une expédition digne d’Indiana Jones à essayer de fendre une foule au mieux hébétée, au pire excédée et enragée, à vous réjouir d’avoir mis la main sur la dernière clé USB pourrie, en forme de mammouth (ne me demandez pas pourquoi le mammouth), au prix de votre intégrité physique et mentale.

Eh bien ce cadeau vaut pour toute la famille ! Au pire, Bernard fera un bœuf mironton sauvant ainsi son couple et les mioches apprendront où déguster le meilleur kébab de la capitale.

Bref, vous vous en sortez à bon compte et faites plaisir à tout le monde avec un cadeau qui en jette.

C’est un livre multiple

  • Livre de cuisine. Avec des recettes emblématiques de Paris et y’en a pour tous les goûts. Vous connaissez, vous, les petits pois à la française ? La talmouse de Saint-Denis ? Les huit potages de Paris ? Et le vrai œuf mayo, la chouquette, on en prend plein les mirettes et on salive.
  • Livre d’histoire. Entre l’origine des us et coutumes culinaires, des plats emblématiques, du p’tit noir, des préférences de nos présidents, des chefs qui ont fait date… C’est toute l’histoire de Paris qui défile.
  • Livre de géographie. N’en déplaise aux provinciaux qui traitent le parisien de tête de veau, ce sont eux qui ont fait la renommée culinaire de la capitale. Entre les savoyards, les bougnats, les bretons, les alsaciens et j’en passe. C’est toute la France qu’on retrouve à Paris et même le monde !
  • Livre people. Vous découvrirez les secrets et les addictions des plus grands, Gainsbourg, Colette, Sagan, etc. Les établissements les plus hypes avec leurs stars, leur prix littéraire ou leur mur de célébrités.
  • Livre sociologique, d’architecture, culturel.

Bref, vous l’aurez compris, c’est un livre coup de cœur, une déclaration d’amour à Paris, une ode à la gastronomie, à la bouffe, à la tambouille, à l’ordinaire, à la popote.

Bon appétit et bonnes fêtes à tous !

PEAU D’HOMME de Hubert et Zanzim

Mais quelle est donc la différence entre une BD et un roman graphique ?

Le roman graphique semble se vouloir plus respectable. Plus long, il raconte une histoire entière sans avoir besoin de plusieurs tomes et surtout une histoire plus ambitieuse. 🧐 Mouais. Franchement ça me semble un peu subjectif tout ça.

Art Spiegelman aurait dit : « Un roman graphique est une bande dessinée qui nécessite un marque-page”.

Je vais faire ma vieille réac mais ça me semble du snobisme.

Bref, je vais vous parler d’une bande dessinée, une BD, comme quand j’étais petite.

Mais pas n’importe quelle BD !

J’en avais entendu parler il y a longtemps déjà. Des critiques dithyrambiques, des prix à foison, un bel objet à la couverture magnifique. Mais j’ai passé mon chemin en pensant à ma pile de livres.

Hé bien, mieux vaut tard que jamais ! Je suis tellement heureuse de ne pas être passée à côté.

Dans l’Italie de la renaissance, Bianca, jeune fille d’une famille honorable, est promise à Giovanni, un jeune marchand aisé, respecté et très bien fait de sa personne.

Il s’agit bien évidemment d’un mariage arrangé. Bianca ne connaît pas son futur époux. Elle est belle, mais la beauté n’a jamais constitué une dot. Tout au plus une convoitise ou un trophée. Les négociations sont âpres entre les familles.

Beaucoup de jeunes filles seraient ravies, toutes n’ont pas la chance de se voir destiner un mari de leur âge et agréable à regarder. En témoignent ses meilleures amies.

Pourtant, quelque chose chiffonne Bianca. Elle voudrait connaître son promis avant de l’épouser. Quelle idée farfelue ! Réjouis-toi, pauvre sotte et arrête d’avoir des pensées extravagantes !

Seule sa marraine semble lui accorder crédit. Elle propose aux parents de Bianca d’héberger quelques jours sa filleule avant le mariage. Elle va alors lui révéler l’existence d’un secret de famille. Il s’agit d’un trésor qui a traversé les générations de femmes et connu d’elles seules : une peau d’homme.

Dans sa nouvelle peau, Bianca va découvrir le monde des hommes.

Tout le monde devrait avoir une peau de l’autre sexe.

Je trouve que tout le monde devrait vivre cette expérience.

Les femmes expérimenteraient la liberté absolue (enfin presque, n’exagérons rien). La liberté de se promener sans se faire interpeller, sans avoir peur, sans être la cible de reproches quant à leur tenue. La liberté de pouvoir parler impunément sans craindre les sous-entendus. La liberté de faire le premier pas aussi, de penser d’abord à leur plaisir sans passer pour des nymphomanes de la pire espèce. Mais également connaître les injonctions faites aux hommes, celles d’être des mâles, des vrais.

Quant aux hommes, passer une journée dans la peau d’une femme devrait être obligatoire (oui, j’ai un fond dictatorial 😈). À la fin de la journée, je pense que le problème serait réglé. Après s’être fait apostropher et avoir subi quelques mains au cul plus deux ou trois frottements dans le métro, je pense qu’ils comprendraient tous. L’éducation par la mise en pratique !

Mais revenons-en à Peau d’homme. Cette BD est un bijou de beauté et d’intelligence. Elle parle de genre, de tolérance, de liberté, du poids des convenances et de la religion, d’égalité des sexes, d’homosexualité.

Fourre-tout et dans l’air du temps me direz-vous ? Que nenni !

Cet ouvrage magnifique évite tous les pièges et clichés. Il ne se prend pas au sérieux pour aborder des thèmes qui le sont. Mais il le fait consciencieusement. C’est intelligent, léger, drôle, pétillant comme une coupe de champagne et d’une beauté incroyable. Une sorte de conte immersif qui vous fait réfléchir bien longtemps après l’avoir terminé.

Le traité graphique est à couper le souffle. On se croirait dans un théâtre. Une fois les décors intégrés, la priorité est donnée aux personnages qui semblent s’animer sous nos yeux. Le dessin est simple, presque épuré et les couleurs sont superbes de justesse.

Bon, vous l’aurez compris, j’ai kiffé cette BD. Noël approche et c’est une excellente idée cadeau pour TOUT LE MONDE, adultes, adolescent·e·s, c’est un vrai livre d’utilité publique. Zou !

Bonne semaine à tous !

LES ANNÉES de Annie Ernaux

Ça va pas être la chronique la plus rigolote, mais quel livre !

Moi qui suis encline à la nostalgie et la mélancolie, WoW, j’ai été servie. Ça m’a bien mise à l’envers.

Je ne sais même pas par où commencer.

Par le début, peut-être.

Ce livre embrasse les années de 1941 jusqu’à 2006. Sa vie.

Elle part de photos d’elle prises à différentes époques, en noir et blanc, puis en couleurs. À partir de ces archives qu’elle décrit minutieusement – le lieu, la pose, les habits, le sourire ou l’absence de sourire – elle égrène ses souvenirs, entre dans l’intime puis dans l’époque. Comme les ondulations de l’eau quand on fait un ricochet, le prisme s’amplifie.

À quoi pensait cette petite fille, cette adolescente, cette femme ? Quels étaient ses rêves, sa vie, son état d’esprit. Où était-elle ? Comment vivaient les gens ? Elle nous parle de la grande histoire et de la petite. Son récit sociologique réussit à nous embarquer. Les élections qui apportent leur lot d’espoir et de désillusions, les avancées, les reculs, les révoltes, les faits divers qui ont secoué ces années-là, les publicités, les films. Tout y passe, la reconstruction de la France d’après-guerre, les hypermarchés, les autoroutes, la société de consommation, mai 68, Jean-Claude Killy, le mange-disques.

Elle évite la narration auto-centrée en utilisant la troisième personne du singulier. À la fois pour prendre de la distance avec ses souvenirs, ne pas laisser l’affect prendre le dessus et pour qu’on puisse s’approprier le livre. Avec des mots simples, justes, qui disent le passé, le temps qui passe et les disparus.

Il y a peu de ponctuations, les souvenirs affluent, fusent tels des diables sortant de leur boîte. Il faut que ça sorte.

Contrairement aux autres livres que j’ai lus d’elle, c’est une structure horizontale. Il n’est pas construit autour d’un thème principal : la condition de la femme ou le transfuge de classe. Tout est évoqué qui peut permettre de restituer l’époque. Les souvenirs sont à la fois prétexte et essence du livre.

C’est un véritable tour de force, écrire une autobiographie qu’elle s’astreint à rendre impersonnelle. C’est notre passé commun qu’elle ressuscite, notre mémoire collective.

Et c’est comme ça qu’on se retrouve à chialer.

A partir de la moitié du livre, je me souviens de tout, Ranucci, les brigades rouges, « À la pêche aux moules, moules, moules ». Je me revois dans la salle à manger de mes grand-parents, assise en tailleur sur le tapis, devant les informations. Je revois cette voiture, coffre ouvert où on a retrouvé le corps d’Aldo Moro.

J’essaie de plaisanter pour faire fuir les larmes : « C’est pas rassurant de me souvenir de la quasi-totalité de l’autobiographie d’une femme qui a 30 ans de plus que moi « .

Et pourtant j’y retourne, accro à cette mélancolie douce et sucrée qu’est le temps qui ne reviendra plus. J’y reviens à ce goût doux-amer, je m’y vautre même, avec complaisance. Ça fait mal mais c’est bon.

Puis, je me demande si ce livre parlerait à mes filles. Je ne sais pas s’il est accessible à tous, à toutes les générations, s’il est « universel » comme on dit. Il y a tellement de références temporelles.

Et le début 🤩, et la fin 🤩 !

C’est sobre, c’est brut, dépouillé, presque violent. Comme si elle nous l’imposait.

C’est Annie et son supplément d’âme, celui qui fait de ses livres une œuvre.

CHER CONNARD de Virginie Despentes

LA star de la rentrée littéraire

Elle est partout ! Dans les émissions littéraires, les magazines féminins, dans les devantures de (presque) toutes les librairies. Certain-e-s s’en offusquent : plus de place pour les autres, les premiers romans, les moins connus, elle monopolise tout !

C’est pas faux. Mais honnêtement, je comprends. Avec Despentes, on sait qu’il va se passer quelque chose et on ne sait pas quoi. De plus, depuis le 3ème tome de « Vernon Subutex », elle n’avait rien publié. Et il s’en est passé des choses depuis 2017 : MeToo, les femmes, la jeunesse… La société évolue à vitesse grand V. Elle a forcément un avis, va en parler et ça va décoiffer. Bref, une excellente cliente de promo et une excellente lecture en vue.

Virginie et moi

Je l’aime bien. Plus, même. J’ai beaucoup de tendresse pour elle. Avant même de lire des livres d’elle. J’ai toujours aimé son franc parler, son naturel, sa façon de s’assumer et d’assumer. Il y a un mélange de force et de fraîcheur qui se dégage d’elle en interview. Comme si elle n’avait pas conscience qu’elle puisse choquer ou tout du moins interloquer. Comme si elle était étonnée d’être la seule à s’être frottée à la vraie vie.

Côté livres, j’en ai lu deux.

  • Le premier « Vernon Subutex ». Energique, féroce, drôle, triste. J’ai vraiment essayé d’aimer. Mais je n’y suis pas arrivée.
  • Et « Baise-moi », un coup de coeur énorme (chronique ICI). Vraiment. Et finalement, je suis bien contente de l’avoir lu 20 ans après sa sortie. Dépouillé de tous les scandales qui l’ont accompagné.

Cher connard

Je vais donc parler d’un livre que je n’ai pas terminé et que je ne finirai pas. Là encore, j’ai essayé et j’ai abdiqué au premier tiers. Autant vous dire que ce ne sera pas la chronique la plus juste ou fidèle ou inspirée ou tout ce que vous voudrez. Mais il faut que j’en parle.

« Cher connard » c’est deux paumés qui s’écrivent par mail (ou sur les réseaux, j’ai rien compris). Enfin, deux paumés… L’un est un écrivain qui a une certaine notoriété et qui se prend MeToo en pleine figure alors qu’il s’est toujours cru irréprochable. L’autre est une actrice vieillissante qui commence à se fatiguer de tout le cinéma autour du cinéma. Malgré leur statut prestigieux (écrivain et actrice, merde, ça en jette), ils restent paumés dans leur tête, la condition, le succès et la notoriété n’y changent rien. Il paraît que lorsqu’on a été gros, enfant, on peut perdre tous les kilos qu’on veut, on restera toujours gros dans sa tête. Ben là c’est pareil, sauf qu’ils sont pas gros, ils sont paumés.

Il y a également une 3ème protagoniste, une jeune attachée de presse qui accuse l’écrivain de harcèlement sexuel (personnage sans aucun intêret, en tous cas jusqu’à la page 70).

Tout y passe, MeToo, le féminisme, les addictions, le milieu social, les parents, la société. On voulait entendre Virginie, ben on va l’entendre ! Sauf qu’il y a tellement d’affirmations, tout et son contraire que je m’y perds. J’en arrive à ne plus savoir ce que je pense.

Et ça chouine, ça geint, ça assène des certitudes à la pelle. Deux personnes qui se raccrochent à des convictions comme des naufragés à une planche pourrie. C’est poussif. Je trouve les certitudes fatiguantes, choquantes, agressives, plus que la violence ou le verbe cru. J’aime les hésitations, les doutes, les mauvaises décisions, j’aime quand on va dans le mur et qu’on y va franchement. Je n’aime pas cette (pseudo) rédemption à 2 balles, même si c’est peut-être une forme de sagesse. J’avais envie de leur hurler : « mais sortez dehors, vivez, arrêtez de causer, vous êtes chiants ».

Je ne dis pas ça pour le plaisir de brûler une idole. Je l’aime toujours Virginie. Mais pas « Cher connard ».

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