POUSSIÈRE D’ÉTINCELLES & VERRES FUMÉS de Mehdi Masud

Un lapin pris dans les phares d’un 38 tonnes…

… Voilà à quoi je ressemble depuis que j’ai lu ce livre !

Et pourtant, les planètes n’étaient pas alignées ! Un petit éditeur me propose de choisir un ouvrage dans son catalogue. Aucun des titres ne me parlent, impossible de deviner ni le sujet, ni le style. Les auteurs, n’y pensons pas ; d’illustres inconnus de moi. Ça commence mal. Étant adepte du « y’a pas de fumée sans feu », s’ils ne sont pas connus, c’est qu’il y a une raison, non ? Bref, je cherche laborieusement sur quels critères je vais pouvoir faire mon choix. Foutu pour foutu, je prends le titre le plus long et le plus impénétrable. Ça tombe sur Mehdi !

Quelques jours après, je reçois l’ouvrage. Je déteste la couverture, heureusement, la tranche est mince (la tranche du livre, je précise). Au moins, ça ira vite ! Je commence, ce sont des nouvelles et j’ai horreur des nouvelles 😭. L’éventualité d’un karma pourri me traverse l’esprit avant que mon professionnalisme légendaire ne prenne le dessus.

Arrêtez tout ce que vous êtes en train de faire et LISEZ CE LIVRE !

Je doute que cette chronique réussisse à exprimer l’immense talent de l’auteur et le maelström d’émotions que j’ai ressenti à la lecture de son livre. J’imagine que ça doit être comme ça, d’assister à un miracle. Un miracle, qu’en plus, vous n’attendiez pas et qui n’en a que plus de puissance.

Plus que des nouvelles, ce sont des instantanés. Aucune logique ne les relie. Seul fil rouge : les récits écrits à la première personne du singulier, qui racontent des bouts d’autobiographie.

Ici, pas d’histoire, de début, milieu ou fin. Pas de héros à sauver. Juste des scènes, comme des Polaroïds pris sur le vif. Les personnages sont aussi différents que possible. Leur point commun ? L’absurdité du monde, dont ils tentent de s’accommoder comme ils peuvent. C’est ce qui les rend si attachants. Pas de bons, pas de méchants, pas de crétins. Rien que des gens qui mènent tous une lutte intérieure, chacun à leur façon. Sans grands discours, sans belles phrases à la con, juste avec l’égoïsme nécessaire pour vivre et prendre ce qu’il y a à prendre.

Mehdi’s style

Bon sang, c’est pas possible, c’est pas comme ça qu’on écrit ! On a envie de lui dire de revoir ses fondamentaux. De la structure, Mehdi, merde ! Et pourtant, ça fonctionne ! En trois phrases, vous êtes dans le Polaroïd ou plutôt vous vous prenez le flash en pleine gueule. C’est tour à tour drôle, jouissif, cruel, absurde, tendre. C’est génial ! Il est fort, très fort. Il maîtrise tellement qu’il peut tout se permettre. Il vous entraîne dans son rythme, ça fuse, ça jaillit, ça claque, ça secoue. C’est désabusé, mais ça file une énergie incroyable. Ça pourrait ressembler à du Houellebecq si ce n’était beaucoup mieux.

J’étais tellement à fond que j’ai même cru que les phrases en gras à chaque début de nouvelles, en formaient une autre, d’histoire. Genre, un secret que personne n’a vu, comme Bowie dans son dernier album, et que j’allais être seule à découvrir. Ben non, ou peut-être que si, après tout. 

Mais pourquoi est-il si peu connu ? Qu’on lui file le Goncourt, que tous les critiques littéraires se prosternent devant lui, qu’il soit l’invité d’honneur des fêtes parisiennes les plus décadentes, que sais-je ! Et par la même occasion, qu’on invite l’éditeur qui a découvert cette pépite !

Bon, là, si je vous ai pas donné envie de lire ce livre, j’y arriverai jamais. Mais une dernière chose : je lis pour vivre plus grand, pour ressentir des choses qui sont rares dans la vraie vie. C’est pour ce genre de livres que je lis.

C’est bientôt Noël, lisez-le, offrez-le ! Vous ne trouverez pas de cadeau à meilleur rapport qualité/prix (je précise que cette chronique est indépendante et non rétribuée, des fois que vous pensiez que je touche un pourcentage 😁).

Forcément, « Poussière d’étincelles & Verres fumés » ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval mais ce n’est pas insurmontable non plus. Vous pouvez le commander chez votre libraire ou via le site de l’éditeur http://www.crispation-editions.fr

Ah, au fait, j’ai jamais lu Cioran 😭😱.

MORALES ESPIEGLES de Michel Serres

Commençons par un peu de douceur et de consensualisme !

En six mois, j’ai vu ou lu de nombreuses interviews de Michel Serres. A chaque fois, j’étais en pâmoison devant ce vieillard !

D’abord, je lui trouvais un charme fou. Il souriait tout le temps et je suis très sensible aux sourires, voire même aux rires, aux éclats de rire, aux fous rires, aux rires subtils, aux rires cons. Je prends tout ! J’expérimente tout 🤪 ! A une époque où beaucoup s’astreignent à tirer des tronches de trois mètres de long, où l’agressivité devient une norme comportementale, je trouve qu’on sous-estime beaucoup le pouvoir du sourire.

Il avait le regard malicieux et c’est très difficile. Pour avoir l’œil malicieux, il faut avoir l’esprit malicieux. J’ai essayé et ça ne marche pas à tous les coups. J’oscille entre l’œil moqueur, cynique, bovin, mais la malice ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval ! Vous me suivez toujours ? 😱

Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était sa curiosité et son intelligence bienveillante. Lorsqu’on arrive à un âge avancé, on est très souvent enclin à se barricader face au monde qui change, à seriner des « c’était mieux avant », « de mon temps c’était autre chose », « les jeunes d’aujourd’hui, c’est des bons à rien » et autres « halala, le pauvre Général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe ». Bon, ce n’est pas l’apanage des vieux, il y a des jeunes qui font ça très bien aussi (d’ailleurs Brassens en a fait une chanson), mais c’est quand même une petite tendance chez les plus de 70 ans. Et ça m’a toujours gonflée… et effrayée. Car qui me dit que dans quelques années, je ne deviendrai pas, moi aussi, une parfaite Tatie Danielle ? Michel, c’était tout le contraire, je le trouvais ouvert, optimiste, tolérant.

Bref, j’aimais beaucoup Michel Serres. Donc, forcément, j’étais mûre pour lire un de ses livres.

Putain ! Que je me suis fait chier !

Voilà, c’est dit ! Je sais que je vais choquer plein de gens, que ce n’est pas Michel qui est en cause, c’est moi qui n’ai rien compris… Mais ça ne change rien. Le livre était minuscule et j’ai fait péter le champagne de soulagement quand je l’eus terminé.

Est-ce que j’avais oublié que j’avais affaire à un philosophe ? Est-ce qu’il avait déjà tout dit dans ses interviews, le livre n’apportant pas grand chose de plus ?

Les deux ! Et pourtant, j’adore la philosophie (je lis Frédéric Lenoir, c’est vous dire) ! Mais Michel avait déjà tout dévoilé dans ses interviews… en beaucoup mieux ! Ce qui était simple, fluide, évident, quand vous l’écoutiez à la télévision ou le lisiez dans un magazine, devenait ampoulé, poussif, répétitif dans son livre.

Pourtant, sa pensée a tout pour me plaire. Il ne se prend pas au sérieux, il réhabilite la désobéissance à la hiérarchie, le chahut, l’espièglerie, il loue des valeurs telles l’empathie, l’humilité, le respect de la nature, la transmission… tout ce à quoi j’essaie d’être fidèle (notez que le verbe « essayer » est primordial dans cette phrase 😜). Ce recueil de petites leçons de vie, tirées de son expérience, ne POUVAIT PAS ne pas me séduire.

Mais, c’est oublier que rien n’est prévisible et c’est justement un des plus beaux attraits de la vie. Je ne me décourage pas (moi ? Jamais !) ! Prochaine lecture : Petite Poucette !

KHOMEINY, SADE ET MOI de Abnousse Shalmani / JUSTINE OU LES MALHEURS DE LA VERTU de Sade

Aujourd’hui je vous parle de deux livres !

KHOMEINY, SADE ET MOI

Coup de foudre confirmé. Je répète : coup de foudre confirmé ! Abnousse me fait tourner la tête !

Ce livre démarre par une énorme surprise : un court texte qui emporte ma totale adhésion. Quel n’est pas mon étonnement de découvrir qu’il s’agit d’un extrait tiré de La Philosophie dans le boudoir de Sade.

Je suis un peu sonnée car, Sade, je connais de nom et de loin. Pour moi, c’est un taré sexuel de première classe qui n’a vécu que pour le cul tendance supplice et qui n’a écrit que sur le cul tendance supplice. Eh bien non, j’entraperçois l’homme philosophe et politique. La bibliothécaire va devoir creuser !

Mais revenons à Abnousse ! Son livre est tellement riche que je ne sais pas par quoi commencer. Et encore, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris🤪, ni d’être d’accord avec tout 😱 ! En tout cas, il remue ! Tous les sujets y passent, le féminisme, la religion, la République, la laïcité, le courage, l’engagement… Le ton est tranché, entier, pas de demi-mesure. Le lecteur pourrait se sentir heurté, mais non ! Tout est raisonné, argumenté, rien n’est imposé, loin des idées toutes faites et tellement faciles à s’approprier.

C’est d’abord l’histoire d’un parcours, de son parcours.

Iran, 1979, instauration de la république islamique. Une petite fille, issue d’une famille aisée, ne comprend pas le port du voile, rendu obligatoire, et la surveillance quotidienne de la police des moeurs dans l’espace publique. Ce que l’on ne comprend pas, on ne l’accepte pas.

C’est le début d’une insoumission et d’une révolte.

Abnousse débute son long combat, d’abord, avec une arme enfantine, instinctive, innocente : la provocation (montrer son cul à l’école). Puis, vient l’exil en France, le déclassement, la pauvreté. Et surtout l’incompréhension qu’elle ressent face à des femmes qui choisissent librement le voile, face aux réactions que suscite son statut d’exilée, face à une société qui se veut tolérante mais qui pratique l’entre-soi.

La provocation ne suffit plus, au mieux elle amuse, au pire elle nourrit le malentendu. Sa lutte va devoir devenir plus raisonnée, structurée. 

Vient alors l’émancipation.

Apprendre, lire, comprendre pour pouvoir construire sa propre pensée, l’exprimer et combattre les faux-semblants. Cela va passer par plein de choses dont le plus surprenant est la découverte de la littérature libertine du XVIIIe siècle.

C’est parfois dérangeant, parfois étonnant mais toujours passionnant ! J’ai énormément appris et, surtout, elle m’a donné l’envie de découvrir Sade.

JUSTINE OU LES MALHEURS DE LA VERTU de Sade

D’abord il y a eu le choix du livre. Gros dilemme ! J’étais tellement prévenue contre lui que je voulais commencer par l’ouvrage le plus soft possible. Bref, tout faire pour éviter Les 120 journées de Sodome.

Mon choix s’est porté sur Justine (ah ah ah – rire nerveux – grosse erreur).

C’est l’histoire de deux soeurs orphelines, Juliette et Justine qui, abandonnées à elles-mêmes, vont faire des choix radicalement opposés. Juliette choisira le vice, l’individualisme, la recherche des plaisirs. Le paradis sur terre étant le seul qui nous est garanti, sa recherche excuse tout, absout tout. L’absence de justice, divine ou sociale, gratifie les plus dépravés.

Justine est LA vertueuse par excellence (franchement, à ce point ça confine à la connerie), ne voulant jamais sacrifier ses principes, ses croyances, persuadée que seules les bonnes actions comptent et qu’elle trouvera son salut dans l’au-delà. Mais la vertu ne paie pas et tous les malheurs s’abattront sur elle (jamais vu une fille aussi souvent à genoux).

Sade écrit bien, très bien même, c’est un pur bonheur. A tel point qu’il peut décrire les pires sévices, ça passe tout seul (oui, j’exagère un peu 😫).

Effectivement, ma méconnaissance de l’auteur m’a induite en erreur. Limiter Sade à un  gros pervers est réducteur. En réalité, les passages érotico-pornos sont même très décevants. Je découvre avant tout un être libre, persuadé que seuls des individus éclairés et critiques peuvent devenir des citoyens raisonnés.

Quel que soit le parti-pris qu’il expose, il l’argumente avec une construction assez impressionnante. Que ce soit le point de vue des débauchés ou celui des apôtres de la vertu. La nature toute puissante contre Dieu. Peu importe qui a raison qui a tort, que vous adhériez à son propos… ou pas ; tout tient dans l’implacabilité (ça existe, j’ai vérifié 😉) de son raisonnement qui fait la force de son discours.

C’est un livre totalement amoral, le triomphe du vice sur la vertu. La religion est vue comme un instrument politique pour dominer le peuple. Il place le droit à la jouissance au-dessus de tout, tant pour les hommes que pour les femmes (en ce sens il est le précurseur d’une parfaite égalité entre les sexes tant d’un point de vue social que sexuel). Il revendique la liberté la plus extrême même la plus noire.

C’est une réelle découverte… Je vais quand même faire une petite pause et me rabattre sur un livre complètement con et inoffensif 😂, histoire de bien me vider la tête.

À la semaine prochaine !



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