L’ACCIDENT DE CHASSE de David L. Carlson et Landis Blair

On peut pas dire que je me sois ruée dessus.

Lors de sa sortie en France en 2020, cette BD, que dis-je, ce roman graphique, a raflé plusieurs prix et toutes les critiques (du moins celles que j’ai lues) étaient unanimes : on frôlait le chef-d’œuvre. 

Je n’avais pas le début d’une idée du sujet. Je me disais bêtement qu’il devait s’agir d’un plaidoyer sur les dangers de la chasse.

Bon. 

Pourquoi pas ? 

C’est vrai que c’est dangereux, la chasse.

C’est pas le sujet qui me passionne le plus mais ça serait ballot de passer à côté d’un chef-d’œuvre. Je me le note donc dans un coin et finalement, Noël arrivant, je le trouve sous le sapin.

Et dans le genre cadeau, ça envoie du bois. C’est un bon pavé, bien épais, bien lourd qui bouffe son pesant de papier d’emballage et Bolduc.

Je suis toute excitée… et le mets sur ma pile à lire.

Deux ans après, je viens de le terminer (non, je n’ai pas mis deux ans à le lire, j’ai mis deux ans à le commencer).

Sacrebleu ! Ça ne parle pas du tout de chasse.

Chicago, 1959. Charlie Rizzo débarque avec sa petite valise. Sa mère vient de mourir, il quitte la Californie pour rejoindre son père, Matt Rizzo, à Chicago. Il le connaît peu. Sa mère l’a quitté quand Charlie avait 4 ans.

Père et fils vont devoir cohabiter, se livrer, s’apprivoiser, se faire confiance.

Charlie veut tout savoir de son père et d’abord, comment est-il devenu aveugle ? Est-ce vraiment à cause d’un stupide accident de chasse ?

Ça commence fort. Pas besoin de beaucoup de mots, en tous cas au début. Une planche de dessin suffit à montrer la distance entre le père et le fils à l’arrêt de bus où ils se retrouvent. Charlie, minuscule et perdu avec sa valise, levant les yeux vers son père, immense et raide dont on sent qu’il ne sait pas trop comment faire une place dans sa vie à ce gamin.

En y regardant de plus près, tous les ingrédients sont là, dès les premières pages : 

  • la bibliothèque, 
  • la relation père-fils,
  • l’accident de chasse, 
  • et enfin, ce fameux fait divers datant de 1924, baptisé « Le crime du siècle » par la presse. Deux jeunes gens, Leopold et Loeb, issus d’un milieu aisé et cultivé, avaient sauvagement assassiné un adolescent de 14 ans. Sans raison.  La barbarie et l’incompréhension de ce crime lui avaient donné une résonance mondiale.

À ce moment du pitch, certains vont se demander : « mais quel foutu rapport entre tous ces éléments ? ».

Et c’est justement tout l’enjeu du récit, révéler la vraie histoire du père, bien malgré lui. Mais voyant son fils grandir et attiré par les gangs, il n’aura d’autre choix que de lui dire la vérité.

On est tellement riche après avoir lu ce livre !

C’est un roman initiatique d’une richesse incroyable. On en prend plein la tête, les yeux, l’esprit.

Ça parle du pouvoir de la littérature, de Keats, de Nietzche, de Dante.

Ça parle de la vie intérieure, de la vérité de l’imagination qui est aussi authentique que la réalité.

Ça parle de l’histoire qui se répète, du refus de la fatalité, de résilience et de rédemption.

Ça parle aussi d’amour, l’amour paternel, maladroit, entêté, pudique.

Et c’est tout sauf chiant ou pompeux. C’est fluide, tout s’imbrique, tout s’explique.

À chaque page, j’apprends.

Et pourtant, je ne suis pas au bout de mes surprises.

Je termine le livre complètement sonnée, remplie de ce que je viens de lire. Cette BD au traité graphique noir, de 450 pages m’a envoûtée. Les auteurs réussissent à mettre de la magie, de la poésie, du merveilleux et de l’espoir, là où il n’y en a pas.

Tout concourt à l’intensité et la singularité du récit : le découpage, la mise en page, les parti-pris graphiques… jusqu’à la personnification de nos démons à tous qui apparaissent en fil rouge.

Je lis les dernières pages en me disant que certaines personnes ont une imagination folle pour réussir à inventer une histoire comme celle-ci.

Puis, je tombe sur la postface.

Tout est vrai. TOUT EST VRAI ! 😱

Bordel, je ne m’en remets pas. Matt, Charlie, Leopold, Loeb et tous les autres ont vraiment existé.

C’est leur vie que je viens de lire.

Je n’arrive pas à le croire.

On touche au prodige. C’est un sentiment encore plus fort de savoir que c’est vrai. Comme si on m’avait révélé un secret, comme si cette histoire prenait une perspective nouvelle et devenait plus précieuse.

Bien sûr, les auteurs, malgré de nombreuses recherches, ont dû romancer quelques passages mais c’est la vérité. La vérité historique et celle de l’imagination, qui n’a aucune limite.

La vie est tellement plus puissante et surprenante que l’on croit.

 Je vous souhaite à tous une vie intérieure riche, une imagination débordante et une soif d’apprendre.

J’SUIS FRIVOLE

J’suis frivole

Je m’envole

Pas envie de creuser

Sur tous plein de sujets 

Rester en surface

Sans briser la glace

Et prendre mon élan

Juste pour foutre le camp

J’suis frivole

Peut-être un peu folle

Être d’accord sur tout

Tellement je m’en fous

Toujours à sourire

Pour éviter le pire

Rester en retrait 

Jamais rien de concret

J’suis frivole

Je cabriole

Rester sur le bord,

Sans le moindre effort 

Ne pas s’impliquer 

Bien trop compliqué 

Jouer à domicile

Tellement plus facile

J’suis frivole

Ça m’désole

Je suis lâche

Je me cache

Au balcon

Jamais sur le front

Choisir l’illusion

Chacun sa prison

IL Y A LONGTEMPS QUE JE T’AIME de Philipe Claudel

Les Césars, un rendez-vous immanquable !

À quatorze ans, j’ai décidé de devenir actrice. J’avais pris des cours de théâtre au collège. J’adorais ça ! Mon interprétation de Britannicus ayant laissé tout le monde sans voix 🤣, j’avais trouvé ma vocation ! Vocation totalement désapprouvée par ma mère, qui reconnaissait cependant mes talents de comédienne 😤, mais restait d’un terre à terre affligeant pour l’adolescente que j’étais. Chaque discussion sur le sujet se terminait invariablement par un « passe ton bac d’abord ». Des années plus tard, j’ai compris – et moi-même pratiqué – cette feinte qu’on pourrait appeler « gagner du temps sans braquer son mioche ».

Finalement, cette vocation disparut aussi vite qu’elle était venue, mais j’en ai gardé un amour inconditionnel pour le cinéma et tout ce qui s’y rapporte.

Chaque année, je regarde donc les Césars. La cérémonie est de plus en plus mauvaise au fil du temps, mais j’y crois toujours. 2019 n’a pas dérogé à la règle. Le pauvre Kad Merad a fait ce qu’il a pu, Jérôme Commandeur aussi, mais c’était chiant !

Seule consolation : la présidente de cérémonie, Kristin Scott Thomas. J’ai toujours aimé cette actrice qui apporte un zeste de fantaisie British dans ses rôles. Puis, j’ai vu Il y a longtemps que je t’aime.

Un film, un pitch !

Juliette sort de prison après 15 ans passés derrière les barreaux. 15 années passées seule, sans visite, ses parents et ses proches ayant totalement coupé les ponts. Dans le cadre de sa réinsertion, sa jeune sœur, Léa, mariée et mère de deux fillettes, accepte de l’accueillir chez elle. Léa souhaite enfin connaître cette grande sœur dont elle n’a que quelques souvenirs épars et flous et qu’il était interdit d’évoquer dans la famille. La cohabitation s’organise. Juliette réapprend à vivre entre la bienveillance maladroite et étouffante de sa petite sœur et la suspicion de son beau-frère. Elle retrouve des gestes, des sensations oubliés, participe à la vie de famille avec bonne volonté mais sans envie ni plaisir. Elle est là sans être là, toujours en retrait, ailleurs, avec une vérité qu’elle seule connaît.

On découvre peu à peu cette vérité, incompréhensible, innommable, inexpiable. Jusqu’au dénouement final qui vous achève.

Elle en pense quoi, la bibliothécaire ?

Elle a adoré ! Certains films, comme certains livres, ne vous quittent jamais. Ils restent près de vous. Vous pensez les avoir oubliés, ils sont juste enfouis, prêts à ressurgir à l’occasion d’un mot, d’une phrase, d’une sensation. Il y a longtemps que je t’aime fait partie de ces films.

C’est un premier film, écrit et réalisé par l’écrivain à succès, Philippe Claudel. Alors, oui, il y a des maladresses, mais il y a aussi des instants absolus de beauté douceâtre.

Ce film est d’une douceur et d’une mélancolie magnifiques. Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein sont d’une justesse incroyable. Le début du film est aride, sec, pas de grands effets, une économie de moyens au service de situations les plus réalistes possibles. Ça parle de la trace indélébile que laisse la prison sur un être humain, du jugement des autres qui constitue une double peine, de la difficulté de la réinsertion qui tient plus du chemin de croix que de la deuxième chance.

Puis, au fil des révélations, le film évolue, délaissant les thèmes de société pour tendre vers l’intime des personnages. C’est là qu’il y a certaines erreurs : on n’échappe pas aux clichés, aux bons sentiments, à la justification à tout prix. Ça ressemble à un virage mal négocié, mais ce n’est en aucun cas une sortie de route. Je me suis laissée happer par cette histoire.

Si vous ne l’avez jamais vu, n’hésitez pas ! C’est beau, c’est fort et Kristin est décidément la plus incroyable des actrices que l’Angleterre nous ait envoyé (avec Tilda Swinton 😉) !

SI JE MOURAIS LÀ-BAS de Guillaume Apollinaire

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée

Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée

Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt

Un obus éclatant sur le front de l’armée

Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace

Couvrirait de mon sang le monde tout entier

La mer les monts les vals et l’étoile qui passe

Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace

Comme font les fruits d’or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses

Je rougirais le bout de tes jolis seins roses

Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants

Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses

Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde

Donnerait au soleil plus de vive clarté

Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde

Un amour inouï descendrait sur le monde

L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie

— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie

De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —

Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur

Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

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