LA PROSE DU TRANSSIBÉRIEN ET DE LA PETITE JEHANNE DE FRANCE poème de Blaise Cendrars, couleurs de Sonia Delaunay

La probabilité que je tombe sur ce livre était quasi nulle.

Mais c’est sans compter sur les hasards de la vie… et la merveilleuse programmation d’Arte !

L’émission « Au fil des enchères » raconte l’histoire d’un objet. D’où vient-il ? Quel est son parcours ? Pourquoi déchaîne-t-il les passions dans une salle des ventes ? Bref, comment en est-on arrivé là ma pov’dame ?

On se retrouve lors de la vente de la bibliothèque de Pierre Bergé. Un livre attise toutes les convoitises. C’est un recueil de poèmes de Blaise Cendrars. Jusque là, pas de quoi faire un AVC. Je vais à la Fnac et moi aussi je l’ai dans ma bibliothèque.

Sauf que la caméra s’approche, tourne autour et ça ne ressemble pas du tout aux livres de la Fnac.

Ça ressemble à un vieux carnet jauni, épais, qui se ferme par un bouton pression. On sent une certaine fragilité, pas le genre de bouquin qui va se bonifier au gré des prises en main. Mieux vaut le manier avec délicatesse. Sur la tranche, ce ne sont pas des pages mais des feuillets repliés. Sur la couverture, aucune inscription, ni titre, ni auteur, juste des aplats de couleur. De loin, dans le brouillard, on pourrait penser à un agenda Desigual 😱.

En plus, il vaut un rein. C’est quoi ce bordel ?

Où je découvre l’histoire de ce livre…

… et c’est passionnant !

1913. Un poète inconnu, Blaise Cendrars, rencontre un couple de peintre à la renommée déjà installée, les Delaunay. Sonia adore son poème « La prose du Transsibérien » et souhaite l’illustrer, voire un peu plus. En effet, leur projet est ambitieux : inaugurer un langage nouveau où le texte et l’image se répondraient, se mêleraient jusqu’à fusionner. Leur imagination déborde. Le poème parle de voyage ? Pourquoi ne pas faire un dépliant à la manière des cartes topographiques ? La destination est Paris ? Tout sera abstrait, sauf une petite Tour Eiffel, seul élément figuratif. Déplié, le livre fera deux mètres. Pourquoi ne pas l’éditer à 150 exemplaires qui, mis bout à bout, feront la hauteur de la Tour Eiffel ? Tout est pensé, tout est vecteur : la typographie, la couleur, la mise en page. Ce livre sera une œuvre d’art, absolue, moderne, le premier poème simultané. Idée géniale…

… mais qui coûte cher. Il nécessite des matières précieuses comme le parchemin, le papier japon, des techniques authentiques telles l’aquarelle, le pochoir, et requiert une fabrication complexe.

Qu’à cela ne tienne, Blaise et Sonia lancent une souscription pour le financer (première cagnotte Leetchi ever 😉). Échec total ! Finalement, on commencera par 70 exemplaires, le reste sera édité plus tard. La Tour Eiffel attendra !

La première guerre mondiale mettra brutalement fin au projet.

Y’a tout plein de choses dans ce livre : de la poésie, de la peinture, de l’histoire, des voyages, de l’amour…

Autant vous dire qu’à ce stade de l’histoire, je suis comme une dingue. JE DOIS lire ce livre. Je fonce sur le site de la Fnac qui me donne le choix entre une version à 650€ et une autre, certes plus basique, à 4€. Contre toute attente, j’opte pour celle à 4€.

C’est l’histoire d’un voyage. On y parle de New-York, Moscou, la Sibérie, Berlin, on y parle même de la Patagonie. Et enfin, Paris, destination finale, ville éternelle et féconde, comme un refuge, une délivrance. C’est l’histoire d’un jeune homme qui rencontre une petite prostituée. C’est le mouvement du train, les gares qu’il traverse, la violence et la puissance de la machine. Ce sont les odeurs, les bruits, les couleurs. Ce sont les rencontres. C’est la guerre. C’est le monde qui change et qui défile à toute allure. C’est la vie qui passe.

Cendrars parle de ce monde qui rugit et menace d’exploser, des petites gens qui perdront quoiqu’il arrive. Il y a de la mélancolie, mais aussi du merveilleux, du féérique, de la magie.

Ce poème ne ressemble à aucun autre, ce livre non plus.

Il n’aura aucun succès à sa sortie, trop bizarre, trop inclassable (c’est un livre ? Un poème ? Un tableau ?), trop moderne. Ce n’est que bien des années plus tard que ce livre-objet sera reconnu comme un chef-d’œuvre.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :