LE LIVRE DES SŒURS d’Amélie Nothomb

Qu’y-a-t-il sous le chapeau d’Amélie ?

Certaines choses rythment nos vies, elles reviennent à intervalles réguliers, semblent immuables, comme les saisons. C’est le cas des livres d’Amélie. À chaque rentrée, qu’il pleuve, qu’il vente, peu importe que le monde soit au bord du précipice, elle est là, présence rassurante, repère connu. Aucun manquement depuis 30 ans, réglée comme du papier à musique. À se demander si elle est humaine ou, si, sous son chapeau, se cache un mécanisme horloger, délicat et aux rouages complexes. Bref, c’est l’automne, c’est Amélie !

Ça commence par un malentendu

Je vois qu’elle est l’invitée de La Grande Librairie en compagnie de sa sœur. Sans regarder l’émission, j’en déduis que son livre va être autobiographique, rempli d’anecdotes singulières sur leur enfance, leur complicité et je lui fais confiance pour nous narrer la relation hors-norme qu’elle entretient avec sa frangine.

Que nenni ! Peut-être s’est-elle inspirée de sa propre histoire, mais ce livre est bel et bien un roman.

Le livre des sœurs

Tristane est une enfant esseulée. Ses parents s’aiment trop, exclusivement. Ils se regardent dans le blanc des yeux toute la journée, ne s’émerveillent que d’eux et ne savent que faire de ce petit être qui les dérange plus qu’autre chose.

Il n’y a pas de place pour elle, elle ne compte que pour elle-même et ne peut compter que sur elle-même. Face à ce constat, elle va faire preuve d’une incroyable maturité. Si elle ne peut se nourrir de l’amour de ses parents, elle se nourrira du monde extérieur. Sa curiosité est insatiable, sa solitude aussi. Jusqu’à sa cinquième année, jusqu’à la naissance de sa sœur. Elle va enfin pouvoir éprouver l’amour inconditionnel.

Amélie me perturbe

Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu de livres d’elle. Son style me déconcerte toujours autant.

Amélie ne s’embarrasse pas d’effets ampoulés, de figures de style, elle va à l’essentiel : l’histoire. C’est peut-être pour ça que ses livres sont courts et se lisent vite.

C’est un mélange de froideur clinique et de vocabulaire raffiné, une sobriété de style mais avec toujours le mot juste et intense (ça existe un mot intense ? On va dire que oui 🤪).

Sa narration distanciée embrasse les drames et les joies de manière égale et pourtant on sent une violence contenue qui affleure tout au long des récits.

Et son humour ? Parce qu’elle est drôle, cette petite effrontée ! J’ai ri, mais ri en lisant le nom du groupe de rock… et regretté de ne pas avoir eu cette brillante idée (j’ai pas de groupe de rock 😭). L’humour est la politesse du désespoir : cette phrase lui va bien, je trouve.

Ce livre a touché la fille unique que je suis (que j’aurais aimé avoir une petite sœur, une grande sœur, une sœur jumelle, un chien, qu’importe mais ne pas être seule). J’ai passé un excellent moment en compagnie d’Amélie… jusqu’à l’automne prochain 😉

Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne. À vous de voir quel pouvoir vous donnez à ceux d’Amélie.

🤣 de Frédéric Beigbeder

L’éternel noceur…

Un dandy déjanté traversant la vie, une coupe de champagne à la main : voilà l’image que je me fais de Frédéric. Son fond de commerce est un parfait mélange de flegme, d’excès, d’arrogance et de talent. Beigbeder, c’est une valeur sûre : on sait qu’on va passer un bon moment, ça se lit facilement et vite, sans prise de tête. Le temps passe mais sa plume reste toujours aussi talentueuse et acérée. Il est divinement cynique, délicieusement cruel, il traverse les époques en en extrayant la substantifique moelle et pas dans ce qu’elles ont de meilleur. Il le sait, il les a vécues. Comme si, pour se livrer à une critique de notre société, l’observer ne lui suffisait pas : il doit s’y plonger, en expérimenter les excès, qu’il finit par condamner. J’en suis, j’en profite, j’en abuse… mais je ne suis pas dupe. En bon publicitaire qu’il a été, il vise toujours juste tant dans le fond que dans la forme. Percutant et efficace. Preuve en est le titre de son dernier livre : un emoji.

Comme en pub, l’important c’est d’y avoir pensé en premier…

Et, c’est Beigbeder qui l’a fait ! Pour la première fois, le titre d’un roman n’est pas constitué de mots mais d’une unique émoticône. « Les ennemis de l’intelligence auront gagné quand les romans auront pour titre ces petits visages à la symétrie stupide« . Comme pour signifier l’issue inexorable, c’est lui qui ouvre le bal. Tant qu’à aller dans le mur, autant y aller avec panache ! Les médias ne s’y trompent pas. Il squatte TV, radio et presse pour la promotion de son livre. C’est un excellent client, spirituel, acerbe et surtout malin comme un singe. Il anticipe parfaitement les critiques… en leur coupant l’herbe sous le pied. Il est méchant tout d’abord envers lui-même. Cela fait partie des avantages de l’auto-dérision : on s’en envoie d’abord plein la gueule, ne laissant que quelques miettes aux détracteurs et ensuite, on a une autoroute pour distribuer les bourre-pifs. Je le sais, je fonctionne comme ça. 

Haro sur les médias !

Après la pub, la mode… TADAM… Frédéric s’attaque donc aux médias, mètre étalon par excellence de la société. Et Dieu sait s’ils s’en prennent plein la figure en ce moment. Le timing est donc parfait. Ces médias, qui, à l’image de la société, tourneraient tout en dérision, à la recherche de la vanne ultime qui tue le game et si possible l’adversaire. Tout ne serait plus qu’humour et l’on vivrait tous dans un immense cirque, au milieu de battles de sarcasmes. Plus de réflexion, de profondeur ni d’humanité, seule subsisterait la tyrannie du rire.

Ça ne vous rappelle pas un film ? Une autre époque ? Ridicule, où une vie pouvait se retrouver brisée sur l’autel d’un bon mot.

Frédéric (ou Octave ?) raconte donc sa chute. Il retrace la soirée et la nuit précédant son éviction de France Inter.

J’ai beaucoup aimé ce livre. Il est brillant. Même si, plus la nuit avance, plus la narration devient foutraque, répétitive, jusqu’à cette fin qui fleure un peu trop la rédemption « bon teint ». J’aurais aimé qu’Octave (ou Frédéric ?) assume jusqu’au bout ce qu’il a été.

Je vous conseille de lire ce livre, il fait rire (sans tyrannie) et réfléchir… c’est déjà énorme.

PROPRIÉTÉ PRIVÉE de Julia Deck

François avait dit que c’était drôle…

… Et tout ce que dit François est parole d’évangile. De plus, j’ai trouvé Julia Deck charmante lors de son passage à La Grande Librairie, un brin caustique, des yeux rieurs, n’en faisant pas trop. Elle parlait de son livre de façon simple, avec un mélange d’assurance et de retenue des gens qui se plient à la promo mais dont ce n’est pas la tasse de thé. Son sujet se prêtait parfaitement à la satire : un couple de bobos parisiens qui se rêve propriétaire, qui plus est, dans une résidence écologique dernier cri alliant proximité de la nature et des commodités.

On notera que le bobo parisien est la cible de choix de l’époque, l’ennemi commun, l’insulte suprême de tous ceux qui ont des griefs sur tout et n’importe quoi mais ne savent pas trop qui incriminer, « c’est la faute aux bobos ». C’est dit d’une façon tellement définitive que ça doit bien être vrai. Ça me fait toujours un peu mal. J’avoue que je les aime bien les bobos, au moins ils n’avancent pas masqué… et puis j’en suis une et de la pire espèce 😱!

Bref, ça fleurait la caricature mais plutôt maline et subtile sur fond de réalisme. Je me suis laissée tenter.

Quand la mayonnaise veut pas monter…

Y’a tout les ingrédients, vous avez suivi la recette à la lettre, fait tout comme c’était marqué… mais ça veut pas prendre.

Là, c’est pareil ! Julia écrit bien, c’est mordant à souhait, pas de palabres, elle rentre tout de suite dans le vif du sujet qu’elle déroule avec maîtrise. Ça se lit agréablement et rapidement car le récit est court.

Alors quoi ?

Déjà, je n’ai ressenti aucune attirance pour les personnages. Le couple principal est totalement atone, cohabitant, sans envie, ni projet, ni désir, si ce n’est aspirer au calme (cela dit, au moment où je l’écris, je me dis que le calme peut être un projet de vie totalement honorable…. mais ce n’est pas encore le mien).

Ensuite, la satire est un peu légère, tout est survolé et tout est attendu. Julia se limite à planter le décor et les personnages. Elle installe un minimum d’interactions pour bien faire comprendre que « l’enfer, c’est les autres » mais les situations sont assez convenues, entre travaux, fêtes et vide-greniers et souvent expédiées. Finalement la caricature n’est pas si subtile que ça.

Enfin, je reconnais qu’il y a bien un embryon d’intrigue, genre thriller. J’avoue que je suis totalement passée à côté. Franchement, je n’ai compris ni en quoi les voisins étaient démoniaques et machiavéliques (chiants tout au plus), ni l’utilité d’une telle histoire dans l’histoire puisque de toutes façons tout est laissé en suspens.

Je n’ai pas détesté… je n’ai pas aimé. C’est un livre que j’ai lu rapidement et que j’oublierai tout aussi rapidement. Dommage car Julia a un vrai style qui pourrait donner des pépites.

LA MAISON de Emma Becker

Ce livre n’est pas un bonbon.

Dans ma dernière chronique je vous parlais de livres qui étaient comme des bonbons, doux, agréables et sucrés.

Et puis il y en a d’autres. Qui picotent, râpent la langue, font grimacer.

La Maison en fait partie.

C’est un récit qu’on n’attend pas, qui va à contre-courant de la pensée dominante de l’époque, et qui dérange. Pourtant, ça parle de choses qui existent, qui sont vraies, pas d’une vérité absolue mais tout du moins réelles. On fait quoi face à une réalité qui ne correspond pas à notre schéma de pensée ? On réfute ? On oublie ? On fuit ?

La Maison d’Emma Becker

Une femme décide de se prostituer, le revendique, l’assume, en retire même des plaisirs et des moments de bonheur. Ça chatouille hein ?

Si, encore, il s’agissait d’une femme lambda, personnage imaginaire tout droit sortie du cerveau d’Emma… ou à la limite (mais vraiment extrême limite) d’une femme qu’elle a rencontrée et dont elle raconte l’histoire. On pourrait mettre le récit à distance, le balayer d’un revers de main : « c’est totalement inventé, c’est l’exception qui confirme la règle, c’est une nymphomane, elle fait genre mais elle est profondément malheureuse… ». Et on replongerait nos mains allègrement dans le paquet de bonbons avec la satisfaction que rien ne peut troubler nos convictions.

Mais non ! C’est d’elle dont elle parle ! Pas de mise à distance possible, pas de dédain à opposer, parce qu’en plus, elle a de la répartie, Emma ! Elle est là, à vous regarder droit dans les yeux : « c’est mon histoire, c’est mon choix et je ne suis pas la seule ».

La première fois que je l’ai vue c’était à La Grande Librairie (bon sang, je devrais me faire payer tellement je fais de pub à cette émission). Et, croyez-moi, Emma a picoté tous les invités, hommes et femmes. Et c’est parti pour une série de réactions empruntées : « oui, le livre est vraiment intéressant mais attention à ne pas glorifier la prostitution », « je suis un peu dérangée quand même ». Comme si ce livre était forcément plus qu’un témoignage et légitimait toutes formes de prostitution, la recommandait comme une voie royale. Allez zou ! Cursus en 5 ans chez Sup de Pute, c’est l’assurance d’une carrière d’avenir !

Parce que c’est bien connu, une pute, ça doit être exclusivement une victime, faut quand même flatter un minimum notre moralité, nos valeurs. OK, c’est une pute mais elle n’a pas le choix, on la force. Elle attend d’être sauvée.

Mais une pute qui n’attend rien, ça met méchamment à mal nos certitudes, nos batailles, les avancées de la condition féminine passées et à venir. Et si la véritable avancée c’était la liberté ? Liberté pour les femmes de disposer de leur corps sans être jugée y compris par leurs sœurs ? Liberté de se défaire des règles et injonctions du patriarcat sans tomber dans celles des féministes ?

Et le livre, dans tout ça ?

Je comprends le malaise qui se déroule en 2 temps :

  • Le sujet. Il serait somme toute assez commun, avec son charme belle époque si justement l’époque n’était contemporaine (il existe donc encore des maisons closes de nos jours ?).
  • Ce que l’auteure a fait pour écrire ce livre, ou plutôt ce que ce livre lui a permit (autorisé) de faire
  • Enfin, l’atmosphère du livre et de la Maison, un univers caché, feutré, protégé du monde, bruissant d’une charmante ambiance féminine. On a envie d’y être.

Que c’est agréable de lire un livre bien écrit avec un beau style.

Et drôle, ce que je ne soupçonnais pas, car en promotion, Emma becker est beaucoup de choses – belle, énigmatique, (on la regarde comme une bête curieuse) douce et forte (pas besoin de parler plus fort et il ne viendrait a personne l’idée d’être malotru avec elle) – mais pas drôle

SAN-ANTONIO – Aux frais de la princesse – de Frédéric Dard

Si tu n’as pas lu un San-Antonio avant tes cinquante ans, tu as raté ta vie !

Autant vous dire qu’il y avait un chouïa urgence pour moi !

  • Bien évidemment que je connais de nom.
  • Bien évidemment que je sais de quoi ça parle (enquêtes policières du Commissaire San-Antonio).
  • Bien évidemment que je sais que l’écriture de Frédéric Dard est truculente, fleurie, argotique et tout le tintouin.
  • Bien évidemment que je sais que la série des San-Antonio est devenue un classique.

Mais (je ne me repose jamais 🥳) :

  • Les San-Antonio sont systématiquement rangés dans le secteur « testostérone » des rayons des Maisons de la Presse, au mieux à côté des SAS, au pire entre les revues pornographiques et de musculation (et oui, avant de soulever des filles faut soulever de la fonte – c’est pas ma meilleure mais je l’aime bien 🥳).
  • Les titres me font rire (« Le pétomane ne répond plus« , « L’année de la moule« …) mais pas de là à déclencher l’acte d’achat (ici, le marketing pour les nuls 🤣).
  • Les couvertures sont délicieusement vintages, certaines frôlant le collector, mais elles fleurent aussi le grossier roman de gare. Bon sang, non, je ne suis pas prête pour ça !

Et Frédéric, alors ?

  • J’ai toujours eu une grande sympathie pour lui, bien que ne l’ayant jamais lu et ne connaissant pas son univers. Quand il passait à la télé, c’était un vrai plaisir de le regarder et de l’écouter parler.
  • Il avait le regard tendre, parfois triste ou plutôt inquiet, mais jamais cynique ni désabusé.
  • Il était drôle, un humour qui rassemble, élégant. Un humour comme une politesse.
  • Il était cultivé, avait un vocabulaire extrêmement riche (contrairement à ce qu’il pouvait dire « J’ai commencé avec 300 mots, tous les autres je les ai inventés »).
  • Et il vénérait Céline 🤗 !
  • Comment pouvais-je ne pas aimer Frédéric 🥰 ?

Il était donc dit que je devais le lire un jour… Et ce jour est arrivé cet été.


Mais il n’était pas dit que j’aimerais !

Ben non, j’ai pas aimé.

Pourtant ça commençait bien ! J’adore les romans policiers et l’humour 🤗.

Les soixante premières pages me comblent. Je découvre une écriture qui guérirait une vache neurasthénique (non, je ne parle pas de moi 😜).

Bref, je souris, je ris aussi. L’intrigue est intrigante, le style est stylé. Les personnages sont hauts en couleur, le sexe est récurrent et au-delà du burlesque. Jouer avec les mots comme il le fait demande une culture et une maîtrise phénoménales. Je comprends qu’on puisse être fan….
Sauf que… j’ai fini par trouver ça toujours pareil, j’ai commencé à tourner en rond, lentement puis de plus en plus vite. Tant et si bien que je ne l’ai pas fini 😱.

Je ne saurai jamais ce qui est arrivé au Vieux… et franchement, je m’en fous.

Je continue d’avoir une grande tendresse pour Frédéric… Et c’est le principal !


RHAPSODIE DES OUBLIÉS de Sofia Aouine

La Grande Librairie a encore frappé !

Mercredi 18 septembre. François annonce depuis plusieurs jours, sur les réseaux sociaux, une interview exclusive de Joyce Carol Oates, MA Joyce, que j’adore, que je vénère 🤩 !

Autant vous dire que mieux installée que moi sur le canapé, ce n’est pas possible. Zou ! C’est parti !

L’interview sera diffusée en fin d’émission (malin, le François 😤). Pas le choix, je vais donc regarder l’intégralité du programme. Je ne connais aucun des invités. Le thème, « Sexe et pouvoir » est alléchant bien comme il faut et promet une émission passionnante. Promesse tenue ! Ça a été un des numéros les plus enthousiasmants de la rentrée ! Mais, surtout, j’ai découvert Sofia.

Comment ai-je pu vivre sans Sofia ?

Quand elle arrive sur le plateau, on ne voit qu’elle !

  • Sofia, c’est d’abord un physique. Elle ne répond à aucun des canons de beauté en vigueur, elle est grosse (ce n’est pas une insulte, c’est factuel), sa tenue chatoyante jure parmi le trio de teintes « Bleu / Gris / Noir » des autres invités. Bref, elle est sublime ! Elle sourit, plante ses yeux droits dans ceux de son interlocuteur, a le regard teinté de malice même si on n’est pas forcément là pour rigoler. Elle est magnifique, je VEUX que ce soit ma copine  🥳 !
  • Elle n’est pas connue (enfin, par moi), ne bénéficie d’aucune notoriété, c’est son premier roman.
  • Elle a 41 ans, n’a plus la candeur de la prime jeunesse (si tant est qu’elle l’ait eu un jour vu son parcours). Elle a mieux ! L’énergie et la rage de ceux qui ont bien galéré pour s’en sortir.
  • Peu importe, elle irradie. Vous êtes irrésistiblement attirée dans son sillage, vous avez envie de la connaître, de profiter de son aura, comme si cela pouvait vous donner un peu de sa détermination que vous devinez, de son appétit de vivre, de son audace. Elle me fait penser à une ogresse, une sorcière, une guérisseuse, tous ces noms qui ont servi à dévaloriser, détruire, soumettre les femmes mais qui, au contraire, devraient les libérer, les définir. Elle est LA femme !

Quand elle parle, tout le monde se tait !

  • Elle dit ce qu’elle veut, comme elle veut. François, les invités, moi, (la France entière 😂) sommes suspendus à ses lèvres, à ses mots.
  • Des mots justes, précis et précieux pour se raconter et raconter son livre.

Et son livre, alors ?

François annonce la couleur très rapidement en précisant qu’il s’agit de son coup de  ❤️ de la semaine. Je l’ai lu, j’ai adoré ! Et je comprends maintenant les références à La vie devant soi, faites au cours de l’émission. Abad, le jeune héros de 13 ans est le frère de Momo. Le quartier a changé, les protagonistes aussi mais la misère humaine reste la même. Injuste, rageante, triste… et drôle aussi, d’autant plus qu’elle est vue par l’œil d’un adolescent qui apporte sa franchise, son bon sens et son effronterie.

Facile à aborder, facile à lire, ce livre se dévore. Le langage peut être cru ou drôle ou plein d’amour, mais il m’a toujours touché.

C’est aussi une formidable déclaration d’amour :

  • à la Goutte-d’Or, ce quartier mal-aimé de Paris et à ceux qui le peuplent. Ces invisibles qui ne me ressemblent pas, qui me font peur et que, souvent, je préfère ignorer. C’est vrai, c’est tellement plus facile et confortable de les aimer au travers d’un livre.
  • et surtout aux femmes, les premières victimes mais surtout les seules capables d’assez d’abnégation pour distiller de l’espoir.

Ce n’est pas le roman du siècle, ce n’est pas La vie devant soi, c’est Rhapsodie des oubliés et c’est bien !

BAISE-MOI de Virginie Despentes

Entre Virginie Despentes et moi, c’était pas gagné !

Il y a deux ans, je me suis résignée (oui, vous avez bien lu, RÉ-SI-GNÉE) à lire un livre d’elle. Elle fait partie des auteur·e·s incontournables en France, elle est régulièrement invitée dans les émissions littéraires ou dites de « divertissement ». Elle se retrouve plus souvent qu’à son tour en tête de gondole à la Fnac. Bref, j’étais obligée ! Histoire de l’avoir lue, « comme tout le monde » et d’avoir un avis, « comme tout le monde » (paradoxalement, j’aime bien le concept « être comme tout le monde » de temps en temps🥺).

Restait le choix du bouquin ! Ça allait se jouer entre les trois titres les plus connus : Baise-Moi, King Kong Théorie ou, le dernier en date, Vernon Subutex.

La sélection se fait naturellement. King Kong Théorie est un essai, je veux un roman. Baise-Moi traîne une réputation sulfureuse, c’est peut-être un peu too much pour moi, petite chose sensible. Je pars sur Vernon Subutex tome 1 (sensible, mais logique 🤪) !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le coup de foudre ! Je me suis traînée jusqu’à la fin. La lente descente aux enfers de Vernon m’a paru interminable. Le genre de type attachant mais qui s’incruste et qu’on n’arrive plus à dégager. Même l’intrigue n’a pas suffit pour que je rentre dans cette galerie de portraits d’une génération déchue. Même ses errances dans Paris, même les multiples références aux années 80, qui sont trop pointues pour moi. Je n’ai pas détesté, j’ai aimé l’écriture brute, sans concession, qui exprime tellement bien la désillusion, la détresse, le dégoût, la marginalisation. Mais j’ai refermé le livre en ne sachant pas trop quoi en penser. Et c’est mauvais signe…

Il ne faut jamais dire « jamais » !

Il y a quelques semaines, je tombe par hasard sur une interview croisée entre Virginie Despentes, Béatrice Dalle et Casey sur le féminisme. Chaque intervention de Virginie est juste, brillante, radicale. Première étape du coup de foudre. Je ne peux pas rester sur un avis tiède, je décide de lire Baise-Moi !

Coup de foudre définitif et irréversible ! Je l’ai terminé depuis cinq jours et Nadine et Manu sont toujours avec moi. Je n’ai démarré aucune autre lecture tant j’ai peur que leur présence s’estompe, tant j’ai envie de rester avec elles, tant ça m’a pris aux tripes.

Et pourtant, c’est tout sauf amazing 🥳🥳🥳 !!!

Une banlieue sinistre, qui transformerait n’importe quel winner en paumé toxico et alcoolo. Une banlieue que même quand t’as encore l’envie et une chance de t’en sortir, elle te calme bien comme pour te signifier qu’on ne perturbe pas indûment la hiérarchie sociale. N’Y PENSE MÊME PAS !

Et puis, il y a Nadine et Manu. Elles ne se connaissent pas, mais ont la même histoire. Deux filles à qui personne n’a jamais fait de cadeau et encore moins la vie. Elles ont appris à esquiver les coups, si besoin à les encaisser. Elles ne se laissent pas marcher sur les pieds mais savent faire profil bas quand il le faut. Elles ont des plaisirs simples, baise et alcool, l’un finançant l’autre. Elles tiennent à leur tranquillité ; se défoncer nécessite un minimum de sérénité. Ça pourrait les faire passer pour asociales et amorales, mais ce n’est pas le cas : elles ont des accointances (le terme « amitiés » serait un chouïa exagéré) et leur propre code d’honneur.

Quand elles se rencontrent, elles ont déjà savouré la violence chacune de leur côté, elles vont juste mettre en commun leur savoir-faire, parfaire leur technique, une sorte de joint-venture du sang.

Elles assument tout,  en cela ce sont les personnages les plus féministes que j’ai jamais croisés. Elles sont libres. Une liberté grisante, choquante, absolue, qui s’obtient au détriment des autres par ceux qui n’ont plus rien à perdre. C’est totalement gratuit, c’est totalement flippant, c’est totalement enivrant ! Des Thelma et Louise trashs. « On est en train de rattraper toute une vie en quelques jours ».

Il est des livres que vous ne voudriez jamais finir. J’aurais pu les suivre au bout du monde.

Je laisserai la phrase de fin à Nadine : « ce qui convient à la main, c’est le flingue, la bouteille et la queue ».

Ni plus… ni moins. 

MORALES ESPIEGLES de Michel Serres

Commençons par un peu de douceur et de consensualisme !

En six mois, j’ai vu ou lu de nombreuses interviews de Michel Serres. A chaque fois, j’étais en pâmoison devant ce vieillard !

D’abord, je lui trouvais un charme fou. Il souriait tout le temps et je suis très sensible aux sourires, voire même aux rires, aux éclats de rire, aux fous rires, aux rires subtils, aux rires cons. Je prends tout ! J’expérimente tout 🤪 ! A une époque où beaucoup s’astreignent à tirer des tronches de trois mètres de long, où l’agressivité devient une norme comportementale, je trouve qu’on sous-estime beaucoup le pouvoir du sourire.

Il avait le regard malicieux et c’est très difficile. Pour avoir l’œil malicieux, il faut avoir l’esprit malicieux. J’ai essayé et ça ne marche pas à tous les coups. J’oscille entre l’œil moqueur, cynique, bovin, mais la malice ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval ! Vous me suivez toujours ? 😱

Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était sa curiosité et son intelligence bienveillante. Lorsqu’on arrive à un âge avancé, on est très souvent enclin à se barricader face au monde qui change, à seriner des « c’était mieux avant », « de mon temps c’était autre chose », « les jeunes d’aujourd’hui, c’est des bons à rien » et autres « halala, le pauvre Général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe ». Bon, ce n’est pas l’apanage des vieux, il y a des jeunes qui font ça très bien aussi (d’ailleurs Brassens en a fait une chanson), mais c’est quand même une petite tendance chez les plus de 70 ans. Et ça m’a toujours gonflée… et effrayée. Car qui me dit que dans quelques années, je ne deviendrai pas, moi aussi, une parfaite Tatie Danielle ? Michel, c’était tout le contraire, je le trouvais ouvert, optimiste, tolérant.

Bref, j’aimais beaucoup Michel Serres. Donc, forcément, j’étais mûre pour lire un de ses livres.

Putain ! Que je me suis fait chier !

Voilà, c’est dit ! Je sais que je vais choquer plein de gens, que ce n’est pas Michel qui est en cause, c’est moi qui n’ai rien compris… Mais ça ne change rien. Le livre était minuscule et j’ai fait péter le champagne de soulagement quand je l’eus terminé.

Est-ce que j’avais oublié que j’avais affaire à un philosophe ? Est-ce qu’il avait déjà tout dit dans ses interviews, le livre n’apportant pas grand chose de plus ?

Les deux ! Et pourtant, j’adore la philosophie (je lis Frédéric Lenoir, c’est vous dire) ! Mais Michel avait déjà tout dévoilé dans ses interviews… en beaucoup mieux ! Ce qui était simple, fluide, évident, quand vous l’écoutiez à la télévision ou le lisiez dans un magazine, devenait ampoulé, poussif, répétitif dans son livre.

Pourtant, sa pensée a tout pour me plaire. Il ne se prend pas au sérieux, il réhabilite la désobéissance à la hiérarchie, le chahut, l’espièglerie, il loue des valeurs telles l’empathie, l’humilité, le respect de la nature, la transmission… tout ce à quoi j’essaie d’être fidèle (notez que le verbe « essayer » est primordial dans cette phrase 😜). Ce recueil de petites leçons de vie, tirées de son expérience, ne POUVAIT PAS ne pas me séduire.

Mais, c’est oublier que rien n’est prévisible et c’est justement un des plus beaux attraits de la vie. Je ne me décourage pas (moi ? Jamais !) ! Prochaine lecture : Petite Poucette !

AVEC TOUTES MES SYMPATHIES de Olivia de Lamberterie

Olivia et moi, c’est une longue histoire…

Je regarde régulièrement ses chroniques littéraires. Elle a un don pour vous donner envie de lire. Un mélange de douceur, de conviction et d’exigence. Comme si la littérature lui semblait être un sujet trop vital pour être galvaudé.

Elle ne fait pas de bruit, pas d’effet de manche, pas d’entertainment. Elle ne se plie pas au jeu de l’époque. Comme tous ceux qui ont des choses importantes à dire, elle parle avec mesure.

Elle pense que les livres doivent vous toucher l’âme, vous bousculer, vous heurter.

Comme moi. Il faut que ce soit âpre, que ça vous questionne, vous bouleverse, vous hante, bien après avoir refermé le bouquin.

J’ai découvert des trésors grâce à elle. Des livres qui sont venus s’ajouter à mon Panthéon personnel. Je pense à En ce lieu enchanté, Le chant de la Tamassee ou encore Le Chardonneret.

Je pense à Joyce Carol Oates, à son livre Les Chutes qui m’a donné le vertige. Certains livres peuvent transformer la réalité. Désormais, les chutes du Niagara, ne sont plus, pour moi, un lieu touristique et spectaculaire, mais un espace envoûtant, maudit, un endroit doté d’une volonté propre, qui me perdra si je m’en approche. Je les imagine, toujours aux premières heures du jour, désertes, signalées uniquement par un brouillard d’eau et un bruit agressif, entêtant. Je n’irai jamais, je serai trop déçue de les voir domestiquées, sous un soleil de plomb, avec une horde de touristes.

Cette fois, ce n’est pas Olivia, critique littéraire, mais Olivia auteure. Elle sort son premier livre.

Son petit frère est mort. Pas d’une longue maladie, ni d’un accident. Il a choisi de mourir, il s’y est préparé, entraîné même ; il s’est suicidé.

Ce livre le raconte, sa vie, sa mort. Et la vie de ceux qui restent.

Parce que c’est ça, la mort, uniquement ça. Ceux qui restent et leurs souvenirs. La mort, c’est ce qu’en font les vivants. Comment on supporte. Comment on se raccroche à des histoires dignes du père Noël, comment on scrute le moindre signe.

Son frère pouvait être flamboyant, lumineux et l’instant d’après totalement absent, perdu dans sa mélancolie. Il fait partie de ces gens dont on dit qu’ils n’arrivent pas à vivre, qu’ils n’ont pas le mode d’emploi. Tout leur est effort, jusqu’au jour où, épuisés, vidés, la mort leur semble plus douce que la vie.

Olivia raconte leur histoire, leur enfance, leur famille, bourgeoise et taiseuse. Elle raconte son amour inconditionnel pour son frère. Elle raconte sa douleur, sa révolte, sa colère, ses efforts pour donner le change à ses enfants, pour se maintenir dans une illusion de quotidien.

Son récit est sans filtre, bouleversant, drôle parfois, digne et sincère, toujours. Il vous ramène à vos propres deuils. Se tenir droit, ne rien montrer alors qu’autour de vous tout vous semble dérisoire, que vous en voulez aux autres qui continuent leur petite vie, au monde qui continue de tourner. Car si chaque histoire est intime, les sentiments face à un décès sont universels. Le choc, l’incompréhension, la souffrance, la rage, puis enfin l’acceptation.

En refermant le livre, je chialais comme une gosse, je pleurais sur toutes les morts, celle de son frère et celle des miens.

ÇA RACONTE SARAH de Pauline Delabroy-Allard

2019 commence merveilleusement bien…. Première lecture, premier (E-NOR-ME) coup de ❤️ !

On trouve de tout sur LinkedIn !

Et pourtant, j’ai mis du temps à y aller ! Un réseau social de plus ? Pas possible ! Fusse-t-il professionnel (surtout s’il est professionnel 😂).

Pourquoi ?

  • Je passe déjà trop de temps sur Twitter,
  • LinkedIn, ça doit être sérieux à mourir, l’endroit où tout le monde parle de data, de performance et d’efficacité. Pas du tout ma ligne éditoriale 😫.
  • Et surtout, il faut se montrer sous son meilleur jour, se valoriser, nourrir son compte avec du contenu intelligent et pertinent 😱.

Bref, ce n’est pas pour moi !

Sauf qu’entendre presque chaque semaine pendant trois ans : « Quoi ???!!! T’es pas sur LinkedIn ??!! Mais faut absolument y être, c’est IN-DIS-PEN-SA-BLE ! », c’est fatiguant. Donc, un jour, j’ai craqué et j’ai créé mon compte. Je vous passe les différentes étapes (ben non, je ne vous les passe pas 😜) :

  • Ça commence par le petit texte censé vous présenter. Il doit être concis et attractif, sérieux mais en même temps décontracté (genre la fille qui maîtrise tellement qu’elle peut se permettre une bonne tranche de rigolade 🥳🥳🥳) et si, en plus, il est original alors là c’est le Graal.
  • Ensuite vient la photo de profil, étape angoissante s’il en est. Une fois éliminées les photos de soirées (trop d’alcool), celles où je fais la grimace (trop incompréhensible) et celles où je suis en vieux tee-shirt pourri et en chaussons licorne (trop fashion), il ne reste plus grand-chose.
  • Enfin, le grand moment de solitude : j’ai nommé, les compétences. C’est parti pour la brosse à reluire !

Bref, j’avais l’impression de me préparer pour un speed dating… mais c’est le jeu, alors jouons !

Finalement, je me suis familiarisée avec la bestiole, j’ai essayé d’être la plus authentique possible… et j’aime bien ! Chaque jour m’apporte son lot de découvertes.

Ma plus belle découverte sur LinkedIn, c’est ce livre !

Je tombe sur un partage d’article de Télérama. Ça parle d’un premier roman. Ce qui m’intrigue, c’est la photo de l’auteure. Une jeune femme, mignonne tout plein, la trentaine, un sourire franc, pas de pose apprêtée, un dress code totalement décontracté, un air ingénu et inoffensif de petite fille. Bref, la girl next door façon Jennifer Aniston, la copine de fac hyper sympa que vous retrouvez dix ans après. Le genre de fille qui vient de sortir un livre pour enfants ou des recettes de cupcakes.

Bon sang ! Qu’elle cache bien son jeu, Pauline !

On est très loin des enfants et des cupcakes 😱😱😱 ! On ne connaitra pas le prénom de la narratrice. Elle mène une vie tranquille, normale, douceâtre, entre son enfant qu’elle élève seule et son métier de professeure. Une vie balisée, ni heureuse, ni malheureuse, juste sans intensité. À un dîner d’amis, elle rencontre Sarah, femme fantasque, imprévisible, indomptable et seule. C’est l’amour fou, un embrasement qui consume une existence atone… jusqu’à épuisement.

Ça m’apprendra à me fier aux apparences !

Ce livre vous brûle les doigts de la première à la dernière page ! L’auteure vous attrape les tripes et ne les lâche plus, vous forçant à la suivre, vous obligeant à vivre cette passion, à jouir, à souffrir. C’est vous qui êtes face à Sarah, contre elle, en elle ! C’est vous qui allez en prendre plein la gueule ! C’est intense, fiévreux, charnel, douloureux. Vous tombez, vous vous relevez. Ça va de plus en plus vite, ça devient incontrôlable. Vous savez que vous allez dans le mur avec l’héroïne mais c’est trop tard, impossible d’arrêter ce putain de livre. Parce qu’elle est belle cette histoire, parce qu’on a envie d’y croire, parce que ne plus raisonner, perdre pied, se brûler, c’est presque un fantasme dans nos existences si bien réglées. Parce que c’est rugueux. Parce que c’est doux. Les scènes d’amour sont magnifiques, d’une beauté éprouvante, crues mais sans vulgarité. Ça dit le désir, la sensualité, les tremblements, les souffles courts, les draps froissés, le sexe et la sueur. Ça raconte Sarah.

Pauline Delabroy-Allard avance masquée ! C’est une écrivaine redoutable, dangereuse et diablement talentueuse. Vivement son deuxième roman !


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